9C_203/2021 (f) du 02.02.2022 – Changement de caisse-maladie en cas de retard de paiement / Non-paiement des primes et des participations aux coûts / Compensation entre dette et dommage / Responsabilité de la caisse-maladie / Violation du devoir d’information de la caisse-maladie

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_203/2021 (f) du 02.02.2022

 

Consultable ici

 

Changement de caisse-maladie en cas de retard de paiement / 7 LAMal – 105l OAMal

Non-paiement des primes et des participations aux coûts – Procédure de sommation / 64a LAMal – 105b OAMal

Compensation entre la dette des assurés et l’éventuel dommage causé à ceux-ci par la caisse-maladie / 120 al. 1 CO

Responsabilité de la caisse-maladie ayant empêché le changement d’assureur – Dommage / 78 LPGA – 7 al. 6 LAMal – LRCF

Violation du devoir d’information de la caisse-maladie de chiffrer concrètement le montant des arriérés

 

Affiliés à Helsana Assurances SA (ci-après: Helsana) pour l’assurance obligatoire des soins depuis le 01.01.2012, les conjoints A.__ et B.__ ont reçu différents rappels de paiement de primes arriérées en 2014. Ils ont résilié leur contrat respectif pour le 31.12.2014 (lettres du 25.11.2014). Helsana a pris acte de ces résiliations et informé les assurés que celles-ci ne seraient effectives que si elle était en possession d’une attestation d’assurance du nouvel assureur et s’il ne subsistait aucun arriéré de paiement au moment de la fin des contrats (lettres du 03.12.2014).

Le nouvel assureur, Assura-Basis SA (ci-après: Assura) a communiqué à Helsana qu’il acceptait A.__ et B.__ comme nouveaux assurés. Helsana a toutefois refusé les résiliations dans la mesure où les assurés ne s’étaient pas acquittés de toutes les factures émises en 2014; elle leur a indiqué que la résiliation n’était pas valable et qu’ils ne pouvaient changer d’assureur qu’à la condition d’une nouvelle lettre de résiliation pour la prochaine échéance (courrier du 09.01.2015 à chacun des assurés). Elle en a informé Assura (lettre du 09.01.2015), qui a annulé les contrats d’A.__ et de B.__ (lettres du 03.02.2015, dont copies ont été adressées aux assurés). Par la suite, Helsana a indiqué aux intéressés qu’elle acceptait leur résiliation rétroactive avec effet au 31.12.2014 dès réception de l’attestation du nouvel assureur (lettre du 02.06.2015). Sans nouvelle de la part des assurés avant le mois de mars 2017, Helsana a alors demandé à Assura de « réactiver » les contrats mentionnés (lettre du 15.03.2017). Cette dernière n’a cependant pas donné suite à cette demande (lettre du 18.04.2017 dont copie a été adressée à A.__). Le changement d’assureur n’a pas eu lieu.

A l’issue de procédures de poursuites relatives à des primes impayées par A.__ ou B.__ entre novembre 2016 et janvier 2019, Helsana a singulièrement levé leurs oppositions formées dans les poursuites nos xxx (décision du 25.10.2018), yyy (décision du 28.01.2019) et yyy (décision du 20.08.2019). Ces décisions ont dans une large mesure été confirmées sur opposition le 13.11.2019. L’assureur-maladie a encore formellement refusé de résilier les contrats des assurés avec effet au 31.12.2014 (décisions du 21.06.2019, confirmées sur opposition le 28.02.2020).

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/126/2021 – consultable ici)

A.__ et B.__ ont déféré les trois premières décisions évoquées au tribunal cantonal. Trois causes ont été enregistrées. Les assurés ont aussi recouru contre les deux dernières décisions mentionnées. Deux nouvelles causes ont été enregistrées.

La juridiction cantonale a considéré que Helsana avait indûment refusé le changement d’assureur voulu par les assurés pour le 01.01.2015. A cet égard, elle a relevé que ceux-ci avaient par lettre du 25.11.2014 valablement manifesté leur volonté de changer d’assureur, en agissant dans les délais et en produisant les attestations d’un nouvel assureur. Elle a également constaté qu’on ne pouvait pas reprocher aux assurés un retard de paiement au 31.12.2014 dès lors que, même s’ils n’avaient pas acquitté toutes les primes dues jusqu’alors, la caisse-maladie n’avait pas pu prouver l’envoi d’une sommation de paiement valable au sens de la loi. Elle a encore retenu que la caisse-maladie avait violé son devoir d’information, en n’indiquant pas aux assurés le montant de l’arriéré de primes, et avait ainsi rendu impossible le changement d’assurance. Par ailleurs, elle a considéré que le refus de la résiliation de leurs contrats était injustifié et avait causé aux assurés un dommage que la caisse-maladie était tenue de réparer. Constatant toutefois qu’elle ne disposait d’aucun élément pour évaluer le montant du dommage, elle a annulé les décisions des 13.11.2019 ainsi que 28.02.2020 et renvoyé la cause à la caisse-maladie pour qu’elle complète l’instruction sur ce point (notamment pour qu’elle établisse la différence entre le montant des primes facturées et celui dû si la résiliation des contrats des assurés avait été acceptée) et rende une ou des nouvelles décisions.

Par jugement du 16.02.2021, le tribunal cantonal a joint les cinq causes, admis les recours, annulé les décisions sur opposition des 13.11.2019 et 28.02.2020 et renvoyé la cause à Helsana pour instruction puis nouvelle(s) décision(s) dans le sens des considérants.

 

TF

Consid. 5
L’obligation faite à toute personne domiciliée en Suisse – comme les assurés en l’espèce – de s’assurer pour les soins en cas de maladie (art. 3 al. 1 LAMal) implique l’obligation de payer des primes (art. 61 al. 1 LAMal). Les personnes tenues de s’assurer sont libres de choisir leur assureur (art. 4 LAMal) et d’en changer (art. 7 LAMal). Lorsque la volonté de changer d’assureur résulte de la communication de la nouvelle prime, comme en l’espèce, les assurés doivent respecter un délai de résiliation de leur contrat d’un mois (art. 7 al. 2 LAMal), ne pas être en retard dans le paiement des primes, des participations aux coûts, des intérêts moratoires ainsi que des frais de poursuites (art. 64a al. 6 LAMal) et être affilié à un nouvel assureur qui en a fait la communication à l’ancien assureur (art. 7 al. 5 première phrase LAMal). Le retard de paiement survient lors de la notification de la sommation visée aux art. 64a al. 1 LAMal et 105b al. 1 OAMal (art. 105l al. 1 OAMal). L’assureur doit d’une part informer l’assuré des conséquences d’un retard de paiement sur la possibilité de changer d’assureur (art. 105l al. 2 OAMal). Il doit d’autre part informer l’assuré et le nouvel assureur du maintien de l’affiliation en cas de non-paiement de l’arriéré avant l’expiration du délai pour changer d’assureur (art. 105l al. 3 OAMal). Si le changement d’assureur est impossible du fait de l’ancien assureur, celui-ci doit réparer le dommage qui en résulte, en particulier la différence de prime (art. 7 al. 6 LAMal).

 

Consid. 6.2.1
Il est exact qu’en considérant que l’autorité administrative avait rendu impossible le changement d’assureur voulu par les assurés pour le 01.01.2015, notamment en raison d’une violation de son devoir d’information, et en la condamnant à réparer le préjudice en résultant, la juridiction cantonale a implicitement retenu que les assurés étaient restés affiliés à la caisse-maladie à compter de la date indiquée.

En effet, toute autre interprétation serait contraire au droit dans la mesure où les différentes modalités prévues par l’art. 7 LAMal excluent que le candidat au changement d’assureur puisse se trouver sans couverture d’assurance ou subir une interruption de sa couverture d’assurance: le refus – bien fondé ou pas – opposé par un assureur à un candidat au changement d’assureur n’entraîne dès lors pas une interruption de la protection d’assurance, mais le maintien de la couverture d’assurance auprès de l’ancien assureur (cf. ATF 128 V 263 consid. 3b). Ce maintien est du reste conforme à l’obligation de s’assurer prévue par l’art. 3 al. 1 LAMal. Les assurés ne contestent en outre pas le maintien de leur affiliation à la caisse-maladie ni leur obligation de payer les primes, puisqu’ils admettent en instance fédérale qu’ils restaient, et sont toujours, affiliés à la caisse-maladie, puisqu’elle n’avait pas accepté le changement d’assureur au 01.01.2015 (ni au début 2015, ni à un moment ultérieur).

Consid. 6.2.2
Dans la mesure où, en conséquence, les assurés sont restés affiliés à la caisse-maladie postérieurement au 31.12.2014, cette dernière avait l’obligation de percevoir des primes et, en cas de non-paiement, de procéder à leur recouvrement par voie de poursuites (art. 64a LAMal). Or l’assureur n’est pas libre de fixer le montant des primes. Il doit notamment prélever des primes égales auprès de ses assurés (art. 61 al. 1 seconde phrase LAMal), échelonner les montants des primes selon les différences des coûts cantonaux (art. 61 al. 2 première phrase LAMal) ou fixer des primes plus basses pour les enfants et les jeunes adultes (art. 61 al. 3 LAMal). Il peut aussi réduire les primes d’assurances impliquant un choix limité de fournisseurs de prestations (art. 62 al. 1 LAMal) ou pratiquer d’autres formes d’assurances, mais doit s’en tenir aux formes autorisées et réglementées par le Conseil fédéral (art. 62 al. 2 et 3 LAMal). Dans ces circonstances, l’autorité administrative n’avait pas le choix du montant – du reste non contesté – des primes dues par les assurés. Elle n’avait donc ni à réduire les primes ni à renoncer à les réclamer dans le cadre des poursuites intentées sous peine de violer le droit fédéral. Les considérations contraires de la juridiction cantonale sur ce point ne peuvent être suivies.

Consid. 6.3
Le tribunal cantonal ne pouvait dès lors pas annuler les décisions du 13.11.2019 concernant les mainlevées d’opposition formées dans les poursuites nos xxx, yyy et yyy, même s’il semble qu’il n’entendait pas nier l’existence de la dette des assurés, mais obliger la caisse-maladie à recalculer le montant de cette dette en tenant compte du dommage causé par la caisse-maladie aux assurés lors du changement d’assureur. C’est le lieu de préciser à cet égard que la compensation (au sens de l’art. 120 al. 1 CO) entre la dette des assurés et l’éventuel dommage causé à ceux-ci par la caisse-maladie suppose notamment une déclaration du débiteur (art. 124 al. 1 CO) et que les deux dettes soient exigibles. Malgré le texte de l’art. 120 al. 1 CO, la condition d’exigibilité ne concerne pas les deux créances, mais uniquement la créance compensante, soit la créance de celui qui exerce la compensation. Celui-ci ne peut en effet compenser sa dette qu’avec une créance dont il pourrait réclamer le paiement de l’autre partie. Il suffit en revanche que la créance compensée, soit la dette du compensant et créance de l’autre partie, soit exécutable (arrêt 2C_451/2018 du 27 septembre 2019 consid. 7.4.1 et les références; ATF 132 V 127 consid. 6.4.3.1). Or tel n’est pas le cas en l’occurrence dans la mesure où le montant du dommage doit encore être déterminé. De plus, la compensation ne peut être un motif permettant de s’opposer valablement au prononcé d’une mainlevée définitive à une opposition formée dans le cadre d’une poursuite que si la créance en compensation est prouvée par un jugement au sens de l’art. 81 al. 1 LP ou par une reconnaissance inconditionnelle (ATF 115 III 100 consid. 4); ces exigences font défaut en l’espèce, alors qu’il aurait été au demeurant loisible aux débiteurs d’invoquer non seulement des moyens de fond mais également les exceptions propres au droit des poursuites en instance cantonale (ANDRÉ SCHMIDT, in: Commentaire romand, LP, 2005, n° 29 ad art. 79 LP). Il convient dès lors d’admettre le recours sur ce point et d’annuler le ch. 4 du dispositif de l’arrêt attaqué en tant qu’il porte sur l’annulation des décisions du 13.11.2019. Celles-ci doivent être confirmées.

 

Consid. 7.2.1
Si l’ancien assureur est responsable de l’impossibilité de changer d’assureur, il doit réparer le dommage subi par l’assuré, en particulier compenser la différence de prime (cf. art. 7 al. 6 LAMal). Il s’agit d’une disposition légale spéciale relative à l’obligation de l’assureur-maladie de réparer le dommage conforme à la loi fédérale du 14 mars 1958 sur la responsabilité de la Confédération, des membres de ses autorités et de ses fonctionnaires (LRCF; RS 170.32; arrêt du Tribunal fédéral des assurances K 86/01 du 17 juillet 2003 consid. 4.1, non publié in: ATF 129 V 394, mais in: SVR 2004 KV n° 1 p. 1; cf. aussi ATF 139 V 127 consid. 3.2 et 5.1) et, en principe, à l’art. 78 LPGA (arrêt 9C_367/2017 du 10 novembre 2017 consid. 5.2.1; Gebhard Eugster, Krankenversicherung, in: Soziale Sicherheit, SBVR vol. XIV, 3e éd. 2016, p. 462 n° 194).

Consid. 7.2.2
La conséquence légale de l’impossibilité de changer d’assureur du fait de l’ancien assureur n’est pas la reconnaissance rétroactive du changement d’assureur, mais le devoir de l’ancien assureur de verser des dommages-intérêts conformément aux principes généraux du droit de la responsabilité civile. Elle suppose donc un acte ou une omission illicite, un dommage, un lien de causalité entre l’acte ou l’omission d’une part et le dommage d’autre part, ainsi qu’une faute (cf. art. 41 CO; ATF 130 V 448 consid. 5.2). Selon l’art. 7 al. 6 LAMal, l’assureur répond du dommage qui est la conséquence d’un comportement fautif de ses collaborateurs, d’une organisation d’entreprise inadéquate ou d’un autre manquement relevant de sa responsabilité dans l’application de l’assurance obligatoire des soins. Tout dommage effectif et ayant un lien de causalité adéquat avec le comportement de l’assureur est déterminant pour l’évaluation de l’obligation de réparer. L’assureur fautif doit en particulier rembourser la différence par rapport à une prime plus basse du nouvel assureur (art. 7 al. 6 in fine LAMal; ATF 129 V 394 consid. 5.2 in fine; arrêt 9C_367/2017 cité consid. 5.2.2; Eugster, op. cit., p. 463 n° 193).

Consid. 7.3
Il n’est en l’occurrence pas contesté qu’au moment de la résiliation de leur contrat le 25.11.2014, soit dans le délai prévu par l’art. 7 al. 2 LAMal, les assurés ne s’étaient pas acquittés de toutes les factures émises en 2014. Il n’est pas davantage contesté qu’au moment indiqué, un nouvel assureur avait accepté l’affiliation des assurés pour le début de l’année 2015, qu’il avait cependant annulée quelque temps plus tard après avoir été informé par la caisse-maladie que les assurés devaient rester assurés auprès d’elle (cf. art. 105l al. 3 LAMal). Dans ces circonstances, l’autorité administrative était tenue d’informer les assurés que leurs résiliations ne déploieraient aucun effet si les primes, les participations aux coûts et les intérêts moratoires ayant fait l’objet d’un rappel jusqu’à un mois avant l’expiration du délai de changement ou si les frais de poursuite en cours jusqu’à ce moment n’avaient pas été intégralement payés avant l’expiration de ce délai (art. 105l al. 2 OAMal). Elle l’a certes fait d’une manière générale (courriers du 03.12.2014), ce qui ne suffisait cependant pas pour satisfaire à son devoir d’information. En effet, selon la jurisprudence, le devoir d’information implique de chiffrer concrètement le montant des arriérés dû par les candidats au changement d’assureur et de les en informer suffisamment tôt pour qu’ils soient en mesure de régler leurs dettes avant l’expiration du délai de résiliation (cf. arrêt 9C_367/2017 cité consid. 5.4). En ne chiffrant pas le montant des arriérés avant le 02.06.2015, la caisse-maladie a donc violé son obligation d’informer.

Consid. 7.4
Cette constatation suffit à démontrer qu’en violant son obligation d’informer, l’autorité administrative a rendu impossible le changement d’assureur en raison d’un comportement fautif de sa part (respectivement de ses collaborateurs) et est susceptible d’avoir causé aux assurés un dommage pouvant résulter d’une différence de primes favorable à ces derniers que, faute d’éléments d’évaluation disponibles, il convenait d’instruire. Il y a dès lors lieu de rejeter le recours sur ce point. Les ch. 4 et 5 de l’arrêt cantonal en tant qu’ils annulent les décisions du 28.02.2020 – dans la mesure où la caisse-maladie y niait implicitement toute faute de sa part – et renvoient la cause à l’autorité administrative pour instruction puis nouvelle (s) décision (s) au sens des considérants sont conformes au droit.

 

 

Le TF admet partiellement le recours de la caisse-maladie.

 

 

Arrêt 9C_203/2021 consultable ici

 

 

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