8C_545/2019 (d) du 14.11.2019 – Notion d’accident – Explosion d’un article pyrotechnique dans un stade de foot – 112dB – 4 LPGA / Rappel de la notion de facteur extérieur en cas de traumatisme acoustique (Knalltraumata) / Caractère extraordinaire du facteur extérieur nié

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_545/2019 (d) du 14.11.2019

 

NB : traduction personnelle, seul le texte de l’arrêt fait foi.

Consultable ici

 

Notion d’accident – Explosion d’un article pyrotechnique dans un stade de foot – 112dB / 4 LPGA

Rappel de la notion de facteur extérieur en cas de traumatisme acoustique (Knalltraumata)

Caractère extraordinaire du facteur extérieur nié

 

Assuré, chef d’exploitation agricole, a assisté, le 21.02.2016, à un match de football de Super League en tant que spectateur à la Swissporarena de Lucerne lorsque, peu après le coup d’envoi du match, B.__ a lancé deux feux d’artifice et de la fumée. Lors de l’explosion du deuxième pétard (« Kreiselblitz mit Silberperlenschweif »), plusieurs personnes ont quitté le stade, dont l’assuré, qui se trouvait à 20,3 mètres du pétard détonant. Il a déclaré plus tard qu’immédiatement après l’explosion, un sifflement fort, une pression dans la tête et une sensation de vertige s’étaient produits. Après avoir retrouvé sa famille quelques minutes plus tard, l’assuré a remarqué qu’il entendait moins du côté gauche et qu’une pression désagréable persistait dans l’oreille gauche. Sa veste avait des trous brûlés à cause de l’étincelle du pétard.

B.__ a été reconnu coupable, entre autres, de lésions corporelles graves (art. 122 al. 2 CP) au détriment de l’assuré (6B_1248/2017 / 6B_1278/2017 du 21 février 2019 consid. 5.4).

Dans le cadre de la procédure pénale, une expertise acoustique d’un Dr. sc. techn. ETH du département de physique de la Suva a été produit. D’un point de vue médical, l’assuré a été évalué par un spécialiste FMH en oto-rhino-laryngologie. Ce dernier a diagnostiqué une perte auditive bilatérale liée à l’âge, une perte auditive neurosensorielle sévère et un acouphène de degré II au côté gauche. Un spécialiste en psychiatrie et psychothérapie a diagnostiqué état de stress post-traumatique (ESPT).

Par décision, l’assurance-accidents a nié le caractère extraordinaire du facteur extérieur, indiquant que d’après l’avis d’expert du Dr. sc. techn. ETH l’engin explosif utilisé avait, à une distance de 20,3 mètres, un niveau d’exposition sonore de 112,2 dB avec une marge d’erreur de ± 4 dB. Sur opposition, l’assurance-accidents a confirmé sa décision et niant également l’obligation de prestation au titre de dommages corporels assimilés à un accident.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 06.06.2019, admission du recours par le tribunal cantonal et annulation de la décision litigieuse.

 

TF

Selon l’art. 4 LPGA, est réputée accident toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort.

 

Facteur extérieur

Le facteur externe est l’élément central de tout accident ; c’est la contrepartie de la cause interne qui constitue la notion de maladie (ATF 134 V 72 consid. 4.1 p. 76 s., consid. 4.3.2.1 p. 80 s. ; 118 V 283 consid. 2a). L’action de forces objectivement vérifiables indépendantes du corps humain est nécessaire (BGE 139 V 327 consid. 3.3.1 p. 329 ; Pra 2013 n° 101 p. 778). L’influence extérieure peut avoir différentes causes. Dans le cas des traumatismes dits « bang traumas » (Knalltraumata), il y a un effet acoustique sur l’oreille (interne) (voir arrêt du Tribunal fédéral U 245/05 du 1er décembre 2005 concernant un coup de timbale ; arrêt 8C_477/2007 du 10 septembre 2008 concernant un signal d’alarme ; arrêt 8C_403/2018 du 7 septembre 2018 concernant une bombe à confetti ; arrêts 8C_280/2010 du 21 mai 2010 et 8C_317/2010 du 3 août 2010 concernant un dispositif anti-martre).

L’émission de bruit a été causée par l’explosion du pétard. Cependant, la perte auditive de la personne assurée ne peut avoir été causée que par le bruit ou le niveau sonore et non par le pétard lui-même. L’assuré n’a pas fait valoir des atteintes à la santé tel que des brûlures, etc. Par conséquent, lorsque le pétard explose, l’article pyrotechnique ne doit pas être considéré comme un facteur externe, mais c’est bien le bruit ou le niveau sonore qu’il le réalise.

 

Caractère extraordinaire du facteur extérieur

Le facteur extérieur est considéré comme extraordinaire lorsqu’il excède, dans le cas particulier, le cadre des événements et des situations que l’on peut, objectivement, qualifier de quotidiens ou d’habituels (ATF 142 V 219 consid. 4.3.1 p. 221 ; 134 V 72 consid. 4.1 p. 76). Selon la jurisprudence, la notion du caractère extraordinaire ne se rapporte pas à l’effet du facteur externe, mais seulement au facteur externe lui-même. Il n’est donc pas pertinent pour l’examen du caractère extraordinaire que le facteur extérieur ait entraîné, le cas échéant, des conséquences graves ou inattendues (arrêt 8C_842/2018 du 6 mai 2019 consid. 3.3.1 et 8C_231/2014 du 27 août 2014 consid. 2.3 avec références).

Si la notion du caractère extraordinaire ne se réfère pas à l’effet du facteur externe, mais uniquement au facteur externe lui-même, le caractère extraordinaire du bruit ou de l’émission sonore est évalué principalement sur la base des valeurs du niveau d’exposition acoustique (voir à ce sujet U 245/05 du 1er décembre 2005 consid. 2.3 et 2.4 ; 8C_477/2007 du 10 septembre 2008 consid. 3.4 ; 8C_280/2010 du 21 mai 2010 consid. 3.2.1 ; 8C_317/2010 du 3 août 2010 consid. 3.2 et 8C_403/2018 du 7 septembre 2018 consid. 4.3).

Dans l’arrêt 6B_1248/2017 / 6B_1278/2017 du 21 février 2019, la Cour pénale du Tribunal fédéral a examiné si le tir de l’engin explosif (Kreiselblitz) avait causé des lésions corporelles graves au détriment de l’assuré. Pour ce faire, elle a d’abord obtenu l’expertise acoustique du Dr. sc. techn. ETH, selon laquelle on ne pouvait normalement pas s’attendre à des dommages auditifs permanents en cas d’exposition unique à un bruit de 112 dB. Selon les règles de la Suva, l’exposition à un seul de ces événements est encore autorisée sans protection auditive. La possibilité d’une lésion auditive permanente est bien inférieure à 1%, mais ne peut être exclue. Cela n’est possible que si un affaiblissement ou une lésion temporaire ou permanente de l’oreille interne a entraîné une susceptibilité accrue à un tel stress, qui devrait être évaluée par une expertise ORL. Dans l’expertise ORL, le spécialiste a conclu que l’assuré avait subi des dommages auditifs permanents et que ceux-ci avaient été causés par le traumatisme acoustique du 21.02.2016. Dans ce cas, 18% de la perte auditive était très probablement due à la perte auditive liée à l’âge préexistante à l’événement dommageable. La perte auditive supplémentaire de 67 % était attribuable à l’événement dommageable. Pour répondre à la question de savoir si un dommage corporel grave au sens de l’art. 122 CP était présent, la Cour pénale du Tribunal fédéral s’est appuyée sur l’avis médical de l’expert ORL. Elle a en outre expliqué qu’elle devait être pondérée plus fortement que l’expertise acoustique, car elle incluait les caractéristiques individuelles du cas.

L’expertise acoustique se concentre sur les valeurs objectivement mesurables du niveau d’exposition acoustique ou sur la question de savoir si la valeur du niveau d’exposition acoustique en question a un effet nuisible sur l’audition chez une personne saine n’ayant jamais souffert d’une maladie. D’autre part, l’expertise médicale a pour but d’évaluer la perte auditive spécifique de la personne assurée, si nécessaire en tenant compte d’une prédisposition qui peut conduire à une sensibilité accrue à un tel stress. La question de savoir si le facteur externe est extraordinaire, auquel il faut répondre selon un critère objectif, est donc déterminée par les valeurs du niveau d’exposition sonore indiquées dans le rapport acoustique. Quant à elle, l’expertise médicale ne devient pertinente au regard du droit de l’assurance-accidents qu’après l’admission de la notion d’accident pour l’examen du lien de causalité naturelle entre lésions auditives et le traumatisme sonore. Il faut tenir compte du fait que même si la perte auditive alléguée peut avoir été un lien de causalité naturelle avec le facteur extérieur d’un point de vue médical, aucune conclusion ne peut être tirée quant à la caractéristique du caractère extraordinaire (arrêt 8C_317/2010 du 3 août 2010 consid. 3.2).

L’expert acoustique a calculé un niveau d’exposition sonore d’au moins 112,2 dB à une distance de 20,3 mètres entre la source sonore et la personne assurée et, compte tenu de la marge d’erreur de 4 dB, un niveau maximal de 116,2 dB pour la personne assurée, lorsqu’elle a été exposée lors du déclenchement de l’engin pyrotechnique.

Dans de précédentes affaires d’exposition au bruit, le Tribunal fédéral a conclu qu’une valeur maximale de 111 dB n’est pas extraordinaire, car elle est nettement inférieure à la valeur limite pour un risque auditif dû à une exposition au bruit (arrêt 8C_280/2010 du 21 mai 2010 consid. 3.2). Cette affirmation a été confirmée dans un arrêt ultérieur en considérant qu’il en va de même pour les valeurs maximales de 108 et respectivement 113 dB (arrêt 8C_317/2010 du 3 août 2010 consid. 3.2). Le fait que les sources sonores soient de nature différente (p. ex. dispositif anti-martre) n’est pas pertinent pour la comparabilité des cas, d’autant plus que la notion du caractère extraordinaire ne concerne que le facteur extérieur (la charge sonore) lui-même.

Dans ce contexte, il convient également de se référer à la Loi fédérale sur la protection contre les dangers liés au rayonnement non ionisant et au son du 16 juin 2017 (LRNIS, RS 814.71) et à son ordonnance du 27 février 2019 (O-LRNIS ; RS 814.711). Selon l’art. 19 al. 1 let. b O-LRNIS, les manifestations avec des sons amplifiés par électroacoustique ne doivent à aucun moment dépasser le niveau sonore maximal de 125 dB (A). Bien que cette disposition s’applique principalement aux événements dont le son est amplifié électroacoustiquement, la valeur ci-dessus peut être utilisée à titre indicatif pour évaluer la nature extraordinaire d’un impact sonore. Il en va de même pour les valeurs acoustiques limites et indicatives pour les expositions sonores sur le lieu de travail publiées par la Suva, qui fixent une valeur limite de 120 dB(A) pour le bruit impulsif.

La question de savoir si, dans des cas tels que le cas d’espèce, l’évaluation de l’extraordinaireté, en plus du niveau sonore (qui peut causer des dommages à l’ouïe), doit également prendre en compte le lieu où l’émission sonore a lieu, en plus de l’aspect du domaine de vie respectif (cf. 8C_403/2018 du 7 septembre 2018 consid. 4.3 et U 245/05 du 1er décembre 2005 consid. 2.4), peut être laissé ouvert ici. Un seul niveau d’exposition sonore de 112,2 à 116,2 dB n’est pas extraordinaire dans un match de football avec une grande foule, où l’utilisation d’objets bruyants tels que des pétards, sifflets et vuvuzelas est courante. Ceci est vrai quelle que soit la source du bruit. Les autres circonstances mentionnées par le tribunal cantonal ne sont pas pertinentes car elles n’ont aucune influence directe sur le niveau sonore.

En résumé, le caractère extraordinaire du facteur externe doit être nié, ce qui signifie qu’il n’y a pas d’accident au sens juridique du terme.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et confirme la décision de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_545/2019 consultable ici

 

 

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