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4A_427/2019+4A_435/2019 (f) du 28.01.2020 – Indemnité journalière LCA – Somme de salaire fixe pour un indépendant – Assurance de sommes / Versement de rentes d’invalidité et concours avec les IJ LCA

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_427/2019+4A_435/2019 (f) du 28.01.2020

 

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Indemnité journalière LCA – Somme de salaire fixe pour un indépendant – Assurance de sommes

Versement de rentes d’invalidité et concours avec les IJ LCA

 

En 2011, l’assuré, conseiller indépendant en environnement intérieur de bâtiments, a souscrit auprès de A.__ SA (ci-après : l’assureur ou la compagnie d’assurance) une assurance contre le risque de perte de gain en cas de maladie et d’accident, soumise à la loi fédérale sur le contrat d’assurance (LCA). En cas de maladie, la police prévoit le droit à des indemnités journalières correspondant à 100% de la « somme de salaire fixe » (48’000 fr. par an) pendant « 730 jours par cas sous déduction du délai d’attente », celui-ci étant de 30 jours.

Le 21.07.2014, l’assuré a informé la compagnie d’assurance qu’il était totalement incapable de travailler depuis le 01.07.2014 en raison d’une maladie. Le 29.07.2014, il a subi une intervention chirurgicale en vue de l’ablation d’une tumeur nerveuse bénigne en dehors de la moelle épinière. A partir du 31.07.2014, soit à l’échéance du délai d’attente de trente jours, l’assureur a versé à l’assuré des indemnités journalières de 131 fr. 50 (48’000 fr. / 365 jours).

Le 12.11.2014, l’assuré a déposé une demande AI. Par la suite, plusieurs médecins se sont prononcés sur l’état de santé de l’assuré et sa capacité de travail.

Le 21.01.2016, la compagnie d’assurance, se référant à deux projets de décisions de l’office AI refusant l’octroi d’une rente en faveur de l’assuré, a indiqué qu’elle cesserait le paiement des indemnités journalières à partir du 01.02.2016. Par lettre du 05.02.2016, l’assuré a vainement réclamé le maintien du versement des indemnités journalières.

Le 02.06.2016, l’assuré a indiqué à la compagnie d’assurance qu’il remplissait les conditions prévues pour prétendre à des indemnités journalières puisque, selon le rapport établi par le Prof. C.__, il était incapable d’exercer son activité habituelle. L’assureur lui a répondu, par pli du 17.06.2016, qu’il partageait l’avis du Prof. C.__ quant au fait que l’activité habituelle n’était plus exigible. Cependant, il estimait que l’assuré était pleinement capable d’exercer une activité légère et adaptée.

Le 26.07.2017, l’Office AI pour les assurés résidant à l’étranger (OAIE), qui avait repris la gestion du dossier AI compte tenu du nouveau domicile à l’étranger de l’assuré, a octroyé à l’assuré une demi-rente d’invalidité d’un montant mensuel de 912 fr. à compter du 01.07.2015.

 

Procédure cantonale

L’assuré a conclu au paiement de la somme de 18’198 fr., intérêts en sus, après prise en compte des prestations AI perçues entre le 01.02.2016 et le 31.07.2016 (23’670 – 5’472 [6 x 912]).

La cour cantonale, en procédant à l’interprétation des CGA, a constaté que le contrat d’assurance prévoit le versement d’indemnités journalières en faveur de l’assuré même lorsque celui-ci ne subit aucune perte effective sur le plan économique, puisque le montant de l’indemnité journalière varie exclusivement en fonction du degré d’incapacité de travail de l’assuré. Elle en a conclu qu’il s’agissait d’une assurance de sommes.

Les juges cantonaux ont considéré que l’assuré était totalement incapable d’exercer son activité habituelle d’indépendant. A cet égard, ils ont souligné que la compagnie d’assurance avait elle-même reconnu que l’assuré n’était plus apte à poursuivre son activité habituelle. Dans la mesure où elle n’avait pas formellement sommé l’assuré de reprendre une activité adaptée dans un délai approprié, la compagnie d’assurance ne pouvait pas interrompre le versement des indemnités journalières. L’assuré avait dès lors droit, après le délai d’attente de 30 jours, à 730 indemnités journalières de 131 fr. 50 chacune. L’assuré ayant déjà perçu 550 indemnités journalières entre le 31.07.2014 et le 31.01.2016, le montant encore dû s’élevait à 23’670 fr. (180 [730 – 550] x 131 fr. 50). Toutefois, la cour cantonale a estimé qu’il y avait lieu, selon les CGA, d’imputer sur ledit montant les demi-rentes d’invalidité versées à l’assuré, non pas à partir du 01.02.2016 comme le réclamait l’assuré, mais dès juillet 2015 – date du début du droit à la demi-rente d’invalidité – et ce jusqu’au 30.07.2016, date d’échéance du droit aux indemnités journalières. Le demandeur avait ainsi droit à 11’814 fr. (23’670 – 11’856 fr. [13 x 912 fr.]).

Par jugement du 10.07.2019, la cour cantonale a partiellement admis la demande et condamné l’assurance à verser à l’assuré la somme de 11’814 fr., avec intérêts à 5% l’an dès le 01.05.2016. Elle a fixé l’indemnité pour les dépens à 1’800 fr. dans la mesure où le demandeur avait partiellement obtenu gain de cause.

 

TF

La compagnie d’assurance fait valoir que l’autorité cantonale aurait violé les CGA en considérant qu’elle devait des indemnités journalières entières du 01.02.2016 au 30.07.2016, sous déduction de la demi-rente d’invalidité. A l’en croire, l’indemnité journalière due s’élèverait en réalité à 65 fr. 75 (131 fr. 50 / 2).

En l’espèce, l’autorité cantonale a retenu que le droit à une indemnité journalière ne suppose pas que l’assuré subisse une perte effective sur le plan économique, dès l’instant où un montant journalier forfaitaire est prévu en fonction du seul degré de l’incapacité de travail de l’assuré, celle-ci étant définie comme l’impossibilité d’exercer sa profession actuelle (art. 12, 13 et 16 CGA). Il s’agit dès lors d’une assurance de sommes. La cour cantonale a constaté que l’assuré présentait une incapacité totale d’exercer son activité habituelle. Aussi, est-ce à juste titre que l’autorité cantonale a considéré que l’assuré pouvait prétendre à des indemnités journalières entières soit de 131 fr. 50 chacune.

 

L’assuré reproche à la cour cantonale d’avoir imputé les demi-rentes d’invalidité dues pour la période du 01.07.2015 au 31.01.2016 sur le montant des indemnités journalières dues pour la période du 01.02.2016 au 31.07.2016.

Dans le cas d’une assurance de personnes conçue comme une assurance de sommes, l’assuré peut cumuler les prétentions en versement des indemnités journalières prévues par le contrat d’assurance avec d’autres prétentions en raison du même événement dommageable; la prestation de l’assureur de sommes est due indépendamment du point de savoir si l’ayant droit reçoit des prestations de la part d’autres assureurs ou d’un tiers responsable; la surindemnisation de l’ayant droit est possible et, conformément à l’art. 96 LCA, les droits que l’ayant droit aurait contre des tiers en raison du sinistre ne passent pas à l’assureur. Les prestations versées par un assureur social ne peuvent pas être imputées sur les allocations journalières dues par l’assureur privé à moins, évidemment, que les conditions générales d’assurance ne prévoient une telle imputation (ATF 133 III 527 consid. 3.2.5).

En l’espèce, l’art. 28 CGA prévoit certes la possibilité pour l’assureur d’exiger le remboursement des indemnités journalières versées à l’assuré lorsque celui-ci a aussi perçu des prestations d’un assureur social. Cependant, à teneur de ladite clause, le « remboursement porte sur un montant correspondant à la rente due au cours de la même période. » Or, dans sa demande en paiement, le recourant a réclamé le paiement des indemnités journalières dues pour la période comprise entre le 01.02.2016 et le 29.07.2016. Aussi est-ce à tort que la cour cantonale a tenu compte des demi-rentes d’invalidité se rapportant à la période comprise entre le 01.07.2015 et le 31.01.2016.

Au surplus, lorsqu’elle a été invitée à se déterminer sur le contenu du dossier AI de l’assuré, la compagnie d’assurance n’a jamais déclaré compenser les montants dus avec la prétention en remboursement des demi-rentes d’invalidité perçues par l’assuré entre le 01.07.2015 et le 31.01.2016, ni a fortiori chiffré sa créance compensante. Dans ces conditions, la cour cantonale a erré en déduisant du montant dû à l’assuré les rentes d’invalidité relatives à la période comprise entre le 01.07.2015 et le 31.01.2016.

En conclusion, le recours déposé par l’assuré doit être admis et le jugement attaqué réformé en ce sens que la compagnie d’assurance est condamnée à payer à l’assuré la somme de 18’198 fr., avec intérêts à 5% l’an dès le 01.05.2016, ce montant correspondant aux indemnités journalières dues entre le 01.02.2016 et le 29.07.2016 (23’670 [180 jours x 131 fr. 50]), sous déduction des demi-rentes d’invalidité versées au cours de cette même période (5’472 fr. [6 x 912 fr.]).

 

Le TF admet le recours de l’assuré et rejette le recours de l’assurance.

 

 

Arrêt 4A_427/2019+4A_435/2019 consultable ici

 

 

8C_215/2019 (f) du 24.10.2019 – Arrérage de rentes AI – Versement en mains d’un tiers – Opposition de l’assuré – 22 al. 2 LPGA – 85bis RAI / Surindemnisation de l’assurance-accident en complément à la LAA (LCA) – Interprétation des CGA – Droit de la compagnie d’assurance d’obtenir le remboursement de sa créance directement de la part de l’office AI nié

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_215/2019 (f) du 24.10.2019

 

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Arrérage de rentes AI – Versement en mains d’un tiers – Opposition de l’assuré / 22 al. 2 LPGA – 85bis RAI

Surindemnisation de l’assurance-accident en complément à la LAA (LCA) – Interprétation des CGA – Droit de la compagnie d’assurance d’obtenir le remboursement de sa créance directement de la part de l’office AI nié

 

Le 20.02.2011, l’assuré a été victime d’un accident, pour les suites duquel il a perçu des prestations d’une compagnie d’assurance en sa qualité d’assureur-accidents obligatoire et complémentaire.

Informée que l’assuré avait droit à des paiements rétroactifs de l’assurance-invalidité, l’assurance a procédé à un calcul de surindemnisation. Par lettre du 20.12.2016, elle a requis de l’assuré qu’il signe un formulaire destiné à lui permettre de compenser le montant de 36’787 fr. 10 par les paiements dus à titre rétroactif par l’assurance-invalidité. L’assuré a contesté le calcul de surindemnisation.

Par décision du 06.02.2018, complémentaire à une précédente décision du 10.02.2017, l’office AI a reconnu à l’assuré le droit des rentes d’invalidité à divers taux dès mai 2012. Sur la somme totale des prestations à verser à l’assuré, l’office AI a retenu un montant de 36’787 fr. en faveur de la compagnie d’assurance.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/140/2019 – consultable ici)

L’assuré a formé un recours contre cette décision en concluant à son annulation en tant qu’elle admettait la retenue de 36’787 fr. en faveur de la compagnie d’assurance et à la constatation que la retenue ne saurait dépasser 14’912 fr. La compagnie d’assurance a été appelée en cause.

Après avoir relevé que les indemnités perçues par l’assuré au titre de l’assurance-accidents complémentaire avaient été versées en vertu d’une police régie par la LCA, la cour cantonale a constaté que l’assuré n’avait pas signé le formulaire que lui avait soumis la compagnie d’assurance et que cette dernière n’avait produit aucune pièce dont on pouvait déduire l’accord de l’assuré à un remboursement direct par l’office AI. En outre, au regard de la casuistique tirée de la jurisprudence, la norme invoquée par la compagnie d’assurance, à savoir l’art. 8 al. 2 des CGA, ne suffisait pas à lui conférer un droit sans équivoque à se faire rembourser par l’office AI les prestations versées à l’assuré.

Par jugement du 14.02.2019, le tribunal cantonal a admis le recours au sens des considérants et a annulé la décision entreprise en tant qu’elle portait sur la demande de compensation de la compagnie d’assurance.

 

TF

En vertu de l’art. 22 al. 2 LPGA, les prestations accordées rétroactivement par l’assureur social peuvent être cédées à l’employeur ou à une institution d’aide sociale publique ou privée dans la mesure où ceux-ci ont consenti des avances (let. a), ainsi qu’à l’assureur qui a pris provisoirement à sa charge des prestations (let. b).

L’art. 85bis al. 1 RAI, dont la base légale est l’art. 22 al. 2 LPGA (ATF 136 V 381 consid. 3.2 p. 384), prévoit que les employeurs, les institutions de prévoyance professionnelle, les assurances-maladie, les organismes d’assistance publics ou privés ou les assurances en responsabilité civile ayant leur siège en Suisse qui, en vue de l’octroi d’une rente de l’assurance-invalidité, ont fait une avance peuvent exiger qu’on leur verse l’arriéré de cette rente en compensation de leur avance et jusqu’à concurrence de celle-ci. Est cependant réservée la compensation prévue à l’art. 20 LAVS. Les organismes ayant consenti une avance doivent faire valoir leurs droits au moyen d’un formulaire spécial, au plus tôt lors de la demande de rente et au plus tard au moment de la décision de l’office AI.

Selon l’art. 85bis al. 2 RAI, sont considérées comme une avance les prestations librement consenties, que l’assuré s’est engagé à rembourser, pour autant qu’il ait convenu par écrit que l’arriéré serait versé au tiers ayant effectué l’avance (let. a), ainsi que les prestations versées contractuellement ou légalement, pour autant que le droit au remboursement, en cas de paiement d’une rente, puisse être déduit sans équivoque du contrat ou de la loi (let. b).

Les arrérages de rente peuvent être versés à l’organisme ayant consenti une avance jusqu’à concurrence, au plus, du montant de celle-ci et pour la période à laquelle se rapportent les rentes (art. 85bis al. 3 RAI).

L’utilisation du formulaire spécial prévu à l’art. 85bis al. 1 RAI est une prescription d’ordre (ATF 136 V 381 précité consid. 5.2 p. 389; 131 V 242 consid. 6.2 p. 249). Ainsi, le tiers qui veut obtenir directement un paiement de prestations rétroactives de l’AI peut établir l’accord du bénéficiaire de celles-ci par un autre moyen que le formulaire ad hoc.

Les avances librement consenties selon l’art. 85bis al. 2 let. a RAI supposent le consentement écrit de la personne intéressée pour que le créancier puisse en exiger le remboursement. Dans l’éventualité de l’art. 85bis al. 2 let. b RAI, le consentement n’est pas nécessaire; il est remplacé par l’exigence d’un droit au remboursement « sans équivoque ». Pour que l’on puisse parler d’un droit non équivoque au remboursement à l’égard de l’AI, il faut que le droit direct au remboursement découle expressément d’une disposition légale ou contractuelle (ATF 133 V 14 consid. 8.3 p. 21 et les références). Demeurent réservées des circonstances particulières, telles que celles qui prévalaient dans la cause jugée par arrêt I 405/92 du 3 décembre 1993, où l’ancien Tribunal fédéral des assurances a confirmé le versement en mains de tiers nonobstant l’absence d’une norme légale, au motif que l’octroi de prestations n’avait été prévu que sous la réserve expresse d’une compensation ultérieure avec des rentes de l’assurance-invalidité accordées rétroactivement pour la même période (arrêts 9C_318/2018 du 21 mars 2019 consid. 3.3; I 31/00 du 5 octobre 2000 consid. 3a/cc, in VSI 2003 p. 265). Le Tribunal fédéral a par la suite admis que le consentement écrit de l’assuré pour le versement direct en mains d’un tiers ayant versé des avances peut suffire lorsque les conditions générales d’assurance prévoient un devoir de remboursement de l’assuré (arrêts 9C_938/2008 du 26 novembre 2009 consid. 6.4; I 632/03 du 9 décembre 2005 consid. 3.3.4).

 

L’art. 8 (« Indemnité journalière ») des CGA (édition 2006) a la teneur suivante:

« 1 [La compagnie d’assurance] verse l’indemnité journalière mentionnée dans la police en cas d’incapacité totale de travail. Si l’incapacité de travail est partielle, l’indemnité journalière est réduite en conséquence.

2 L’indemnité journalière est réduite dans la mesure où, ajoutée aux prestations des assurances sociales, elle excède le gain dont on peut présumer que l’assuré se trouve privé. Le gain, dont on peut présumer que l’assuré se trouve privé, correspond à celui qu’il pourrait réaliser s’il n’avait pas subi le dommage.

3 En outre, les dispositions de la LAA sont applicables; toutefois, [la compagnie d’assurance] renonce à déduire les frais d’entretien en cas de séjour dans un établissement hospitalier. »

On ne saurait déduire de l’art. 8 al. 2 des CGA, qui se limite à prévoir l’abattement sur l’indemnité journalière de la part excédant le gain déterminant, la possibilité pour l’assureur de s’adresser aux organes de l’assurance-invalidité et d’exiger le versement de l’arriéré de la rente d’invalidité en compensation de sa créance. Quant au renvoi à la LAA, on ne voit pas – et la compagnie d’assurance ne l’expose pas – quelle disposition de cette loi serait susceptible de lui conférer, en sa qualité d’assurance complémentaire, le droit à un paiement direct en application de l’art. 85bis RAI (cf. arrêt I 632/03 déjà cité consid. 3). Enfin, si l’assuré a reconnu dans son recours cantonal une surindemnisation à hauteur de 14’912 fr., cela ne signifie pas pour autant qu’il avait donné son consentement écrit à un versement direct de l’arriéré de la rente d’invalidité en mains de la compagnie d’assurance, d’autant moins qu’il était parti du principe – et soutient toujours – que les objections contre le montant de la créance opposée en compensation devraient pouvoir faire l’objet d’un examen dans la procédure de recours contre la décision AI (cf. à ce sujet arrêts 9C_225/2014 consid. 3.3.1 du 10 juillet 2014; 9C_287/2014 du 16 juin 2014 consid. 2.2).

Dans ces circonstances, la cour cantonale était fondée à nier le droit de la compagnie d’assurance d’obtenir le remboursement de sa créance directement de la part de l’office AI.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents complémentaire LAA.

 

 

Arrêt 8C_215/2019 consultable ici