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8C_184/2025 (f) du 15.09.2025 – Réparation du dommage causé par l’office AI lors d’un entretien de détection précoce – Condition de l’illicéité / Devoir de conseil de l’assureur social

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_184/2025 (f) du 15.09.2025

 

Consultable ici

 

Réparation du dommage causé par l’office AI lors d’un entretien de détection précoce – Condition de l’illicéité / 78 LPGA – 3 al. 1 LRCF

Devoir de conseil de l’assureur social / 27 LPGA

Notion de la détection précoce / 3a LAI

 

Résumé
L’assurée reprochait à l’office AI de ne pas l’avoir invitée à déposer une demande de prestations ni informée des conditions ouvrant le droit à une rente lors de la procédure de détection précoce en février 2017. Elle estimait que cette omission constituait une violation du devoir de conseil et engageait la responsabilité de l’office AI. Le Tribunal fédéral a confirmé que l’administration avait agi conformément à la volonté exprimée par l’assurée de se réadapter seule, dans un contexte d’amélioration – certes sensible – de son état de santé, et qu’aucune obligation spécifique d’information ne s’imposait alors à l’office AI. Faute d’acte illicite, la demande en réparation du dommage a donc été rejetée.

 

Faits
Assurée, née en 1965, exerce depuis 2007 comme kinésiologue, thérapeute et masseuse indépendante. En janvier 2017, elle a signalé des difficultés à l’office AI par le biais d’un formulaire de détection précoce. Son dossier d’assurance perte de gain faisait état d’une maladie de Lyme et d’une une incapacité de travail totale du 22.06.2016 au 09.10.2016 et de 70% depuis le 10.10.2016. Lors d’un entretien de détection précoce le 01.02.2017, elle a mentionné vouloir reprendre progressivement son activité et éventuellement suivre une formation complémentaire. Le 08.02.2017, l’office AI lui a indiqué qu’une demande AI formelle n’était pas nécessaire pour le moment, tout en restant disponible pour soutenir financièrement d’éventuels cours.

En juin 2018, l’assurée a sollicité une aide financière, invoquant un diagnostic de polyarthrite rhumatoïde sévère posé en avril 2017 et une aggravation de son état. Elle a ensuite déposé une demande formelle de prestations AI le 25.09.2018. Par décisions des 14.04.2.023 et 06.06.2023, l’office AI lui a accordé une rente entière du 01.03.2019 au 31.08.2019 puis une demi-rente dès le 01.09.2019.

Le 07.06.2023, l’assurée a déposé auprès de l’office AI une demande en réparation du dommage, estimant que l’office AI ne l’avait pas correctement informée lors de la détection précoce en 2017, ce qui l’aurait privée d’une rente entière entre août 2017 et février 2019. Le 29.06.2023, l’office a rejeté la demande en niant toute faute.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 242/23 – 49/2025 – consultable ici)

Par jugement du 24.02.2025, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1.1
Aux termes de l’art. 78 al. 1 LPGA, les corporations de droit public, les organisations fondatrices privées et les assureurs répondent, en leur qualité de garants de l’activité des organes d’exécution des assurances sociales, des dommages causés illicitement à un assuré ou à des tiers par leurs organes d’exécution ou par leur personnel. Cette disposition institue une responsabilité causale et ne présuppose donc pas une faute d’un organe de l’institution d’assurance. Les corporations de droit public, les organisations fondatrices privées et les assureurs répondent donc si un organe ou un agent accomplit, en sa qualité d’organe d’exécution de la loi, un acte illicite et dommageable. Il doit en outre exister un rapport de causalité entre l’acte et le dommage (ATF 133 V 14 consid. 7).

Consid. 3.1.2
Selon l’art. 3 al. 1 LRCF (RS 170.32) – auquel renvoie l’art. 78 al. 4 LPGA -, la Confédération répond du dommage causé sans droit à un tiers par un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions, sans égard à la faute du fonctionnaire. La condition de l’illicéité au sens de l’art. 3 al. 1 LRCF suppose la violation par l’État, au travers de ses organes ou agents, d’une norme protectrice des intérêts d’autrui en l’absence de motifs justificatifs (consentement, intérêt public prépondérant, etc.). La jurisprudence a également considéré comme illicite la violation de principes généraux du droit ou encore, selon les circonstances, un excès ou un abus du pouvoir d’appréciation conféré par la loi. L’illicéité peut d’emblée être réalisée si le fait dommageable découle de l’atteinte à un droit absolu (vie, santé ou droit de propriété). Si, en revanche, le fait dommageable consiste en une atteinte à un autre intérêt (par exemple le patrimoine), l’illicéité suppose que l’auteur ait violé une norme de comportement ayant pour but de protéger le bien juridique lésé (Verhaltensunrecht) (ATF 148 II 73 consid. 3.2; 144 I 318 consid. 5.5; 139 IV 137 consid. 4.2; 137 V 76 consid. 3.2).

Une omission peut constituer un acte illicite uniquement s’il existe une disposition la sanctionnant ou imposant de prendre la mesure omise. Ce chef de responsabilité suppose que l’État se trouve dans une position de garant à l’égard du lésé et que les prescriptions déterminant la nature et l’étendue de ce devoir aient été violées (ATF 148 II 73 consid. 3.2; 144 I 318 consid. 5.5; 137 V 76 consid. 3.2; 133 V 14 consid. 8.1).

Consid. 3.2.1
L’art. 27 LPGA prévoit que dans les limites de leur domaine de compétence, les assureurs et les organes d’exécution des diverses assurances sociales sont tenus de renseigner les personnes intéressées sur leurs droits et obligations (al. 1) et que chacun a le droit d’être conseillé, en principe gratuitement, sur ses droits et obligations (al. 2, première phrase).

Consid. 3.2.2
Le devoir de conseil de l’assureur social au sens de l’art. 27 al. 2 LPGA comprend l’obligation d’attirer l’attention de la personne intéressée sur le fait que son comportement pourrait mettre en péril la réalisation de l’une des conditions du droit aux prestations. Les conseils ou renseignements portent sur les faits que la personne qui a besoin de conseils doit connaître pour pouvoir correctement user de ses droits et obligations dans une situation concrète face à l’assureur. Le devoir de conseil s’étend non seulement aux circonstances de fait déterminantes, mais également aux circonstances de nature juridique. Son contenu dépend entièrement de la situation concrète dans laquelle se trouve l’assuré, telle qu’elle est reconnaissable pour l’administration (ATF 139 V 524 consid. 2.2; 131 V 472 consid. 4.3; arrêt 8C_419/2022 du 6 avril 2023 consid. 4.2 in fine et l’arrêt cité).

Consid. 3.3.1
Selon l’art. 29 al. 1 LPGA, celui qui fait valoir son droit à des prestations doit s’annoncer à l’assureur compétent, dans la forme prescrite pour l’assurance sociale concernée. En vertu de l’art. 28 al. 1 LAI – dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, applicable ratione temporis au cas d’espèce (cf. ATF 150 V 323 consid. 4.2; 150 II 390 consid. 4.3; 149 II 320 consid. 3) -, l’assuré a droit à une rente aux conditions suivantes: sa capacité de gain ou sa capacité d’accomplir ses travaux habituels ne peut pas être rétablie, maintenue ou améliorée par des mesures de réadaptation raisonnablement exigibles (let. a); il a présenté une incapacité de travail (art. 6 LPGA) d’au moins 40% en moyenne durant une année sans interruption notable (let. b); au terme de cette année, il est invalide (art. 8 LPGA) à 40% au moins (let. c). Conformément à l’art. 29 LAI, le droit à la rente prend naissance au plus tôt à l’échéance d’une période de six mois à compter de la date à laquelle l’assuré a fait valoir son droit aux prestations conformément à l’art. 29 al. 1 LPGA, mais pas avant le mois qui suit le 18 e anniversaire de l’assuré (al. 1); la rente est versée dès le début du mois au cours duquel le droit prend naissance (al. 3).

Consid. 3.3.2
Selon l’art. 3a al. 1 LAI, la détection précoce a pour but de prévenir l’invalidité (art. 8 LPGA) de personnes en incapacité de travail (art. 6 LPGA). L’art. 3c LAI dispose que l’office AI examine la situation personnelle de l’assuré, en particulier son incapacité de travail et les causes et conséquences de celle-ci, et détermine si des mesures d’intervention précoce au sens de l’art. 7d sont indiquées (al. 2, première phrase); il peut inviter l’assuré et, si besoin est, son employeur à un entretien de conseil (al. 2, seconde phrase); au besoin, l’office AI ordonne à l’assuré de s’annoncer à l’AI conformément à l’art. 29 LPGA (al. 6, première phrase); il l’informe du fait que les prestations peuvent être réduites ou refusées s’il ne s’annonce pas dans les meilleurs délais (al. 6, seconde phrase).

L’art. 1quinquies RAI – dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, applicable au cas d’espèce – prévoit que l’office AI peut convoquer l’assuré à un entretien de détection précoce dont le but est d’évaluer si le dépôt d’une demande de prestations AI est indiqué (al. 1); l’entretien de détection précoce vise notamment à analyser la situation médicale, professionnelle et sociale de l’assuré (al. 1 let. a).

Une annonce de détection précoce ne constitue pas une demande de prestations de l’assurance-invalidité au sens de l’art. 29 al. 1 LPGA (arrêts 9C_324/2021 du 16 septembre 2021 consid. 5.2; 9C_463/2014 du 9 septembre 2014 consid. 3.2 et les références citées).

Consid. 6.1 [résumé]
L’assurée invoque une violation des art. 78 al. 1 et 27 LPGA. Elle reproche à la cour cantonale d’avoir admis que l’office AI ne l’avait ni invitée à déposer une demande de prestations à la suite de la détection précoce, ni informée de son éventuel droit à une rente d’invalidité. Elle soutient que cette omission d’information constitue une violation du devoir de conseil prévu à l’art. 27 LPGA, puisqu’elle n’a pas été renseignée sur les conditions juridiques entourant l’ouverture du droit aux prestations, notamment le délai de six mois fixé par l’art. 29 al. 1 LAI. Selon elle, aucune justification ne permettait à l’office AI de s’abstenir de cette information.

En février 2017, son incapacité de travail durait depuis huit mois, son activité était fortement réduite par ses atteintes à la santé et elle cherchait déjà à se réorienter par des formations personnelles. Or, la cour cantonale aurait ainsi dispensé l’office AI de tout devoir de conseil dès lors qu’un assuré tente spontanément de réduire son dommage, ce qui serait contraire au sens de l’art. 27 LPGA.

De plus, l’assurée conteste avoir refusé toute aide de l’office AI. Elle affirme au contraire avoir été incitée par la spécialiste en réinsertion à ne pas déposer de demande AI. Elle souligne qu’en l’absence d’explications sur les conditions d’octroi d’une rente, elle n’était pas en mesure de choisir en connaissance de cause de faire valoir son droit. Même si elle avait exprimé un refus d’aide, l’office AI aurait dû, selon elle, l’avertir que ne pas déposer une demande pouvait l’exposer à une perte rétroactive de rente en vertu de l’art. 29 al. 1 LAI.

Dans ces conditions, l’office AI aurait omis de l’informer en violation de l’art. 27 LPGA, ce qui serait constitutif d’un acte illicite. Dès lors qu’elle aurait subi un dommage et que le lien de causalité entre celui-ci et l’acte illicite serait donné, les conditions de la responsabilité de l’office AI, au sens de l’art. 78 al. 1 LPGA, seraient réalisées.

Consid. 6.2.1 [résumé]

L’assurée soutenait qu’elle n’avait jamais déclaré, lors de l’entretien du 01.02.2017, refuser l’aide de l’office AI, et qu’au contraire, la conseillère en réinsertion l’aurait incitée à ne pas déposer de demande de prestations. L’assurée remet en cause les faits retenus par la cour cantonale sans démontrer d’arbitraire. En conséquence, les faits constatés définitivement dans l’arrêt cantonal demeurent applicables. Ainsi, il est retenu qu’au cours de la détection précoce, l’assurée a exprimé la volonté de se réorienter par ses propres moyens et qu’il a été convenu, d’un commun accord avec la conseillère en réinsertion, de ne pas introduire de demande AI à ce stade.

Consid. 6.2.2
Selon les faits constatés sans arbitraire par le tribunal cantonal (cf. consid. 5 et 6.2.1 supra), l’assurée a effectué une annonce de détection précoce sur demande expresse de son assureur perte de gain, et non pas de sa propre initiative. Lors de l’entretien du 01.02.2017, elle a clairement exprimé son souhait de ne pas être aidée par l’office AI, en précisant ne pas voir le sens de sa démarche auprès de celui-ci. Elle indiquait vouloir diversifier ses activités en suivant des formations complémentaires. Au moment de la phase de détection précoce, elle avait d’ailleurs déjà entamé des formations de Qi Gong et d’animation d’ateliers de coaching et avait l’intention d’entreprendre une formation pour enseigner une introduction à la philosophie. Au plan médical, les rapports que s’est procurés l’office AI mentionnaient une évolution lentement favorable et une amélioration de la capacité de travail à compter du 10.09.2016.

Compte tenu de la posture de l’assurée et des informations à sa disposition en février 2017, l’office AI pouvait légitimement penser que celle-ci était en mesure de se réinsérer professionnellement toute seule et qu’une demande de prestations n’était pas indiquée.

A posteriori, il apparaît certes qu’il aurait été préférable que l’office AI attire expressément l’attention de l’assurée sur les conditions d’octroi d’une rente d’invalidité, en particulier sur les délais prévus aux art. 28 al. 1 let. b et 29 al. 1 LAI, dans l’hypothèse où l’évolution en cours ne devait pas se poursuivre comme attendu. Il reste que dans les circonstances connues de l’office AI à l’époque, l’omission d’un tel renseignement ne constitue pas une violation de l’art. 27 al. 2 LPGA et, partant, n’est pas illicite au sens de l’art. 78 al. 1 LPGA. Au vu notamment des démarches déjà entreprises par l’assurée pour diversifier son activité, de l’amélioration apparemment en cours de son état de santé et du fait que l’assurée elle-même avait indiqué ne pas souhaiter d’aide de l’assurance-invalidité hormis le financement d’une formation si besoin, l’office AI pouvait raisonnablement considérer qu’il n’y avait pas à s’attendre à une invalidité imminente. Il s’ensuit que l’arrêt cantonal échappe à la critique et que le recours doit être rejeté.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_184/2025 consultable ici

 

 

 

4A_401/2023 (f) du 15.05.2024 – Responsabilité civile d’un hôpital / Lien de causalité hypothétique entre l’omission et le dommage / Degré de la preuve de la vraisemblance prépondérante

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_401/2023 (f) du 15.05.2024

 

Consultable ici

 

Responsabilité civile d’un hôpital / 61 al. 1 CO – LREC (RS/GE A 2 40)

Analyse du lien de causalité naturelle en cas d’omission – Lien de causalité hypothétique entre l’omission et le dommage

Degré de la preuve de la vraisemblance prépondérante

 

Le 14.05.2011, B.__ (ci-après: la patiente), âgée de 47 ans au moment des faits, a été admise à 13h37 au service des urgences des Établissements A.__, en raison notamment d’un malaise et de vomissements. Elle a été installée en salle d’attente, faute de place ailleurs. Par la suite, elle a été vue à quatre reprises par le personnel soignant, puis à 19h30 par un premier médecin, après que sa famille a alerté le personnel d’une dégradation de son état. Le Dr C.__, chef de clinique des urgences, a suspecté une crise d’hyperventilation liée à des troubles anxieux. Une infirmière a relevé les paramètres vitaux (tension, pouls et température) de la patiente à 22h40, lesquels ne présentaient rien d’anormal.

La patiente a été installée en zone de soins à 1h35. Lors de son transfert, les infirmières ont notamment relevé qu’elle ne parlait plus. Le médecin interne de nuit l’a immédiatement examinée, rejoint par son supérieur. Il a demandé un CT-scan cérébral et a sollicité une consultation auprès de la neurologue de garde, laquelle a examiné la patiente à 4h et notamment préconisé un CT-scan cérébral. Ce dernier, réalisé à 5h, a mis en évidence un possible infarctus récent cérébelleux droit par occlusion du tronc basilaire. Une IRM cérébrale effectuée à 8h a confirmé un accident vasculaire cérébral (AVC) sous la forme d’une occlusion du tronc basilaire. Le même jour, la patiente a subi une thrombectomie du tronc basilaire.

Après plusieurs séjours en soins intensifs, en neurologie, puis en rééducation, la patiente a pu regagner son domicile le 28 novembre 2011 et garde d’importantes séquelles.

 

Procédure cantonale (arrêts ACJC/433/2020 et ACJC/817/2023)

La patiente a intenté une action en justice contre les Établissements A.__ le 13.06.2014, réclamant initialement CHF 2’041’249, montant ultérieurement réduit à CHF 1’026’027, pour des soins prétendument inadéquats reçus en mai 2011. Une expertise judiciaire menée par le Dr D.__, chef du service des Urgences de l’Hôpital X.__, n’a révélé aucune faute médicale, citant la complexité du diagnostic et la surcharge des urgences. Le Tribunal de première instance a rejeté la demande de la patiente le 24.04.2019, tandis que la cour cantonale, le 28.02.2020, a reconnu la responsabilité des Établissements A.__ et renvoyé l’affaire pour évaluation du préjudice.

A la suite de l’arrêt de renvoi, une nouvelle expertise a été ordonnée pour évaluer l’état de la patiente et son incapacité de travail. Réalisée en septembre 2021 par le Prof. F.__ et le Dr G.__, médecin-chef et assistant au H.__, elle a été complétée en janvier 2022.

Le 18 août 2022, le Tribunal a condamné les Établissements A.__ à verser CHF 156’505 à la patiente, estimant leur responsabilité à 15% du préjudice subi.

Les deux parties ont fait appel. Le 08.06.2023, la cour cantonale a largement révisé le jugement, condamnant les Établissements A.__ à verser divers montants à la patiente (CHF 12’655.30 pour frais médicaux ; CHF 264’667 pour dommage ménager ; CHF 69’153 pour perte de gain ; CHF 30’000 pour tort moral).

TF

Les Établissements A.__ (ci-après: les recourants) ont exercé un recours en matière civile au Tribunal fédéral contre les arrêts des 28.02.2020 et 08.06.2023.

Consid. 2.1
Selon la jurisprudence, les soins dispensés aux malades dans les hôpitaux publics ne se rattachent pas à l’exercice d’une industrie (cf. art. 61 al. 2 CO), mais relèvent de l’exécution d’une tâche publique; en vertu de la réserve facultative prévue à l’art. 61 al. 1 CO, les cantons sont donc libres de soumettre au droit public cantonal la responsabilité des médecins engagés dans un hôpital public pour le dommage ou le tort moral qu’ils causent dans l’exercice de leur charge (ATF 139 III 252 consid. 1.3; 133 III 462 consid. 2.1; 122 III 101 consid. 2a/aa et bb).

Consid. 2.2
Le canton de Genève a fait usage de cette réserve. La loi genevoise sur la responsabilité de l’État et des communes (LREC; RS/GE A 2 40), applicable aux recourants en tant qu’établissement public médical, prévoit que les institutions, corporations et établissements de droit public dotés de la personnalité juridique répondent du dommage résultant pour les tiers d’actes illicites commis soit intentionnellement, soit par négligence ou imprudence par leurs fonctionnaires ou agents dans l’accomplissement de leur travail (art. 2 al. 1 et 9 LREC). La LREC institue une responsabilité pour faute, ce qui implique la réalisation des quatre conditions cumulatives suivantes: un acte illicite commis par un agent ou un fonctionnaire, une faute de la part de celui-ci (dans le domaine médical, la réalisation de cette condition devra être admise, en règle générale, lorsqu’une violation du devoir de diligence aura été constatée), un dommage subi par un tiers et un lien de causalité naturelle et adéquate entre l’acte illicite et le dommage (arrêts 4A_329/2012 du 4 décembre 2012 consid. 2.1; 4A_315/2011 du 25 octobre 2011 consid. 2.1 et 3.3).

Ces conditions correspondent à celles qui figurent à l’art. 41 CO. Le droit civil fédéral est appliqué à titre de droit cantonal supplétif (art. 6 LREC).

Consid. 2.3
L’art. 7 al. 2 LREC prévoit que le code de procédure civile suisse est applicable. Les règles du CPC constituent aussi du droit cantonal supplétif (cf. arrêt 2C_96/2023 du 16 février 2023 consid. 6).

 

Consid. 6.1.1
La causalité naturelle entre deux événements est réalisée lorsque, sans le premier, le second ne se serait pas produit (ATF 143 III 242 consid. 3.7; 133 III 462 consid. 4.4.2).

En l’occurrence, le manquement reproché aux recourants s’analyse comme une omission. En pareil cas, l’examen du lien de causalité revient à se demander si le dommage serait également survenu si l’acte omis avait été accompli (causalité hypothétique). Une preuve stricte ne peut être exigée en la matière. Il suffit que le cours hypothétique des événements soit établi avec une vraisemblance prépondérante (ATF 132 III 715 consid. 3.2; 124 III 155 consid. 3d). La vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités ne revêtent une importance significative ou n’entrent raisonnablement en considération (ATF 133 III 81 consid. 4.2.2; 132 III 715 consid. 3.1). En ce qui concerne le degré de la preuve, le Tribunal fédéral peut contrôler si l’autorité précédente est partie d’une juste conception du degré de la preuve applicable. En revanche, le point de savoir si le degré requis – dont le juge a une juste conception – est atteint dans un cas concret relève de l’appréciation des preuves, que le Tribunal fédéral revoit uniquement sous l’angle de l’arbitraire (ATF 130 III 321 consid. 5).

En règle générale, lorsque le lien de causalité hypothétique entre l’omission et le dommage est établi, il ne se justifie pas de soumettre cette constatation à un nouvel examen sur la nature adéquate de la causalité (ATF 115 II 440 consid. 5a). Ainsi, lorsqu’il s’agit de rechercher l’existence d’un lien de causalité entre une ou des omissions et un dommage, il convient de s’interroger sur le cours hypothétique des événements. Dans ce cas de figure, le Tribunal fédéral, saisi d’un recours en matière civile, est lié, selon l’art. 105 al. 1 LTF, par les constatations cantonales concernant la causalité naturelle, dès lors qu’elles ne reposent pas exclusivement sur l’expérience de la vie, mais sur des faits ressortant de l’appréciation des preuves (ATF 132 III 305 consid. 3.5 et les références; arrêt 4A_133/2021 du 26 octobre 2021 consid. 9.1.3).

Consid. 6.1.2
Il convient de rappeler que le droit civil fédéral est appliqué ici à titre de droit cantonal supplétif. Il en va également de l’art. 8 CC, lequel ne concerne que les prétentions fondées sur le droit fédéral (ATF 129 III 18 consid. 2.6; 127 III 519 consid. 2a; arrêt 4A_329/2012 du 4 décembre 2012 consid. 2.1). Par conséquent, le Tribunal fédéral ne peut en contrôler l’application que sous l’angle restreint de l’arbitraire ou pour violation d’autres droits constitutionnels.

 

Consid. 6.2 [résumé]
La cour cantonale s’est écartée de l’avis de l’expert D.__ concernant le lien de causalité naturelle. Elle a estimé que si les Établissements A.__ avaient agi avec diligence, notamment en assurant une surveillance adéquate et en réalisant rapidement les examens diagnostiques dès les premiers symptômes, l’atteinte subie par la patiente aurait probablement pu être diagnostiquée et traitée dans le délai adéquat de huit heures. La cour s’est appuyée sur les explications du Dr E.__, indiquant qu’une intervention dans ce délai pouvait réduire les risques de séquelles d’au moins 50%, voire les éliminer complètement dans certains cas.

Selon la cour cantonale, ces propos n’étaient pas contredits par l’expert, lequel avait pour sa part indiqué qu’avec les méthodes de diagnostics et de traitement, 41% des patients avaient des pronostics favorables, ce par quoi il fallait entendre une survie et une bonne évolution neurologique. La cour cantonale a considéré que les statistiques avancées par les deux spécialistes laissaient apparaître qu’une prise en charge rapide était fortement susceptible de diminuer les risques de morbidité (plus de 50%) et procurait des chances non négligeables (plus de 40%) d’obtenir un pronostic favorable avec une bonne évolution.

Bien que la corrélation entre la rapidité d’intervention et le pronostic ne soit pas scientifiquement prouvée, la cour cantonale a considéré qu’il existait une probabilité suffisante pour admettre qu’une prise en charge sans délai aurait eu un impact positif sur l’évolution de l’état de la patiente. Cette conclusion s’appuie sur les statistiques présentées par les spécialistes, l’état clinique initial plutôt favorable de la patiente, et le succès de la procédure de recanalisation. La cour a donc retenu que le lien de causalité entre les retards de diagnostic et de traitement et le préjudice subi par la patiente, ou du moins son aggravation, était suffisamment vraisemblable.

 

Consid. 6.4 [résumé]
La cour cantonale était consciente que le degré de la vraisemblance prépondérante était applicable (cf. consid. 3.1.2 de l’arrêt du 28 février 2020). Or, sa conception du degré de la preuve de la vraisemblance prépondérante est manifestement erronée.

Pour rappel, la vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, que d’autres possibilités existent, mais qu’elles ne semblent pas avoir joué de rôle déterminant ou n’entrent pas raisonnablement en considération (cf. consid. 6.1.1 supra; ATF 130 III 321 consid. 3.3). Le Tribunal fédéral a précisé que la jurisprudence n’avait pas établi de pourcentages, mais que selon la doctrine, une vraisemblance de 51% ne suffisait pas, un degré de vraisemblance nettement plus élevé devant être appliqué: un degré de 75% était cité (arrêt 4A_424/2020 du 19 janvier 2021 consid. 4.1 non publié in ATF 147 III 73 et les références).

En l’occurrence, il ressort des faits constatés par la cour cantonale que selon l’expert D.__, avec les méthodes de traitement modernes, 41% des patients avaient des pronostics favorables; il ajoutait qu’entre 20% et 44% des patients traités par une recanalisation évoluaient bien. De telles probabilités ne suffisent manifestement pas s’agissant du degré de la vraisemblance prépondérante.

Il est vrai que le Dr E.__ a pour sa part relevé qu’en cas de traitement dans un délai adéquat, le taux de morbidité se réduisait d’en tout cas de moitié, ce qui pourrait être interprété dans le sens que chaque patient voyait ses séquelles diminuer d’en tout cas de moitié. Le Dr E.__ a néanmoins précisé que pour un tiers des patients, l’autonomie n’était pas complète mais permettait à certains de retourner à domicile. Ceci ne permet pas de s’éloigner sans autre des statistiques présentées par l’expert et, s’agissant de la proportion d’un tiers, elle ne suffit quoi qu’il en soit pas au regard du degré de la vraisemblance prépondérante.

La cour cantonale a considéré les statistiques et les facteurs spécifiques à la patiente, comme son état clinique initial favorable et le succès de l’opération tardive. Cependant, l’expert D.__ avait déjà pris en compte ces éléments. Il a maintenu que pour une lésion du tronc basilaire, contrairement à un AVC classique, le lien entre la rapidité d’intervention et le pronostic n’est pas clairement établi. Malgré les facteurs favorables, l’expert a affirmé qu’il était impossible de conclure à une perte de chance liée au délai d’intervention dans ce cas spécifique.

Dans sa réponse, la patiente soutient – à raison – que l’existence du lien de causalité ne doit pas être analysée selon un calcul arithmétique découlant de statistiques, mais au regard de l’ensemble des circonstances du cas particulier. Elle se réfère à l’arrêt du Tribunal fédéral 4A_329/2012 du 4 décembre 2012 consid. 2.3 qui appuie cette approche. Cependant, le problème ici concerne le degré de preuve exigé. La cour cantonale a appliqué des exigences insuffisantes au degré de la vraisemblance prépondérante. Au demeurant, outre les statistiques présentées par les spécialistes, les circonstances entourant le cas ne lui sont d’aucun secours. La cour cantonale a d’ailleurs relevé elle-même à plusieurs reprises de grandes incertitudes s’agissant du pronostic de la patiente, ce qui ne correspond clairement pas aux exigences relatives au degré de la preuve de la vraisemblance prépondérante.

Ainsi, en partant d’une conception manifestement fausse du degré de la preuve applicable, la cour cantonale a versé dans l’arbitraire dans l’application du droit fédéral à titre de droit cantonal supplétif.

Le degré de la preuve de la vraisemblance prépondérante n’est à l’évidence pas atteint.

Au vu de ce qui précède, il n’y a pas lieu d’examiner les autres griefs concernant le lien de causalité formulés par les recourants.

 

Le TF admet le recours et réforme les arrêts attaqués en ce sens que l’intimée est déboutée de toutes ses conclusions.

 

Arrêt 4A_401/2023 consultable ici

 

4A_179/2021 (d) du 20.05.2022 – destiné à la publication – La ville de Zurich n’assume aucune responsabilité pour un accident impliquant un tramway et un piéton

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_179/2021 (d) du 20.05.2022, destiné à la publication

 

Communiqué de presse du TF du 16.06.2022 disponible ici

Arrêt consultable ici

 

La ville de Zurich n’assume aucune responsabilité pour un accident impliquant un tramway et un piéton

 

La ville de Zurich n’est pas responsable du grave accident impliquant un piéton et un tramway des transports publics de Zurich (VBZ). Le piéton se trouvait à un arrêt de tramways – les yeux rivés sur son téléphone portable – lorsqu’il s’est soudainement engagé dans la zone des voies, sans regarder à gauche, et a été percuté par le tramway. Comme il y a une faute grave de la part du blessé, la ville de Zurich est déchargée de sa responsabilité civile en matière de droit ferroviaire. Le Tribunal fédéral admet le recours de la ville de Zurich et annule l’arrêt de la Cour suprême du canton de Zurich.

Le 20 février 2019, le piéton se trouvait à un arrêt de tramways, dos à un tramway des VBZ qui était en train d’arriver. Le piéton avait son regard fixé sur son téléphone portable lorsqu’il s’est soudainement engagé dans la zone des voies, sans regarder à gauche. Il a été percuté par le tramway et grièvement blessé. Il a ensuite réclamé une indemnité à la ville de Zurich, en tant que détentrice des VBZ. En 2020, le Tribunal de district de Zurich a admis la responsabilité de principe de la ville selon la loi sur les chemins de fer. La Cour suprême zurichoise a confirmé cette décision en 2021.

Le Tribunal fédéral admet le recours de la ville de Zurich, annule l’arrêt de la Cour suprême et rejette l’action (partielle) du blessé. Selon la loi sur les chemins de fer, les détenteurs d’une entreprise ferroviaire répondent en principe du dommage si les risques caractéristiques liés à l’exploitation du chemin de fer entraînent un accident dans lequel un être humain est blessé ou tué, ou dans lequel un dommage est causé à une chose. Le détenteur est libéré de la responsabilité civile si le comportement de la personne lésée doit être considéré comme la cause principale de l’accident, de sorte que le lien de causalité adéquate est rompu. Selon la loi sur la circulation routière, le tramway a en principe la priorité sur les piétons. Dans la circulation routière, il faut partir du principe que la personne lésée a commis une faute grave si elle ne respecte pas les règles élémentaires de prudence, respectivement si elle agit de manière «extrêmement imprudente». Cela se mesure au comportement d’une personne moyenne.

Dans le cas concret, le piéton a fait preuve d’une négligence grave en fixant son regard sur son téléphone portable et – distrait par cela – en s’engageant soudainement sur les voies du tramway, sans observer auparavant à gauche. L’accident s’est produit par beau temps et sur une route sèche, sur une ligne droite avec une bonne visibilité. Les piétons pouvaient facilement repérer de loin les tramways qui s’approchaient. La ville de Zurich n’avait pas non plus à mieux sécuriser l’arrêt de tramways. De plus, le blessé connaissait bien les lieux. Il est vrai que les piétons penchés sur leur téléphone portable font aujourd’hui partie du paysage urbain quotidien. Cependant, cela ne change rien au fait que les piétons doivent eux aussi faire preuve de l’attention requise par le trafic urbain. Le blessé aurait dû détourner son regard de son téléphone portable et regarder de tous les côtés. Au lieu de cela, il n’a même pas fait preuve d’un minimum d’attention. Son comportement contraire au code de la route et extrêmement imprudent constituait donc la cause principale de l’accident.

 

 

Arrêt 4A_179/2021 – destiné à la publication – consultable ici

Communiqué de presse du TF du 16.06.2022 disponible ici

 

 

 

Responsabilité non contractuelle de l’Union européenne – Consommation énergétique des aspirateurs cycloniques sans sac : le Tribunal de l’Union européenne rejette la demande de réparation du préjudice allégué par Dyson ; Arrêt du 08.12.2021 dans l’affaire T-127/19 Dyson e.a./Commission

Arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 08.12.2021 dans l’affaire T-127/19 Dyson e.a./Commission

 

Communiqué de presse du 08.12.2021 consultable ici

 

Responsabilité non contractuelle de l’Union européenne –Indication, par voie d’étiquetage et d’informations uniformes relatives aux produits, de la consommation en énergie / Directive 2010/30/UE – Règlement délégué (UE) no 665/2013

 

En retenant la méthode normalisée de test fondée sur l’utilisation d’un réservoir vide, la Commission n’a pas méconnu de manière manifeste et grave les limites de son pouvoir d’appréciation ni commis une violation suffisamment caractérisée des principes d’égalité de traitement et de bonne administration.

Depuis le 1er septembre 2014, tous les aspirateurs vendus dans l’Union européenne sont soumis à un étiquetage énergétique dont les modalités ont été précisées par la Commission dans un règlement de 2013 [1], qui complétait la directive sur l’étiquetage énergétique [2]. L’étiquetage vise, notamment, à informer les consommateurs du niveau d’efficacité énergétique et des performances de nettoyage de l’aspirateur.

Dyson Ltd, ainsi que les autres requérantes, qui font partie du même groupe, fabriquent des aspirateurs cycloniques sans sac.

Considérant, en substance, que la méthode normalisée de test retenue par la Commission dans le règlement de 2013 pour mesurer le niveau d’efficacité énergétique des aspirateurs défavorisait ses produits par rapport aux aspirateurs à sac, Dyson a demandé au Tribunal de l’Union européenne d’annuler ce règlement. Par arrêt du 11 novembre 2015 [3], le recours a été rejeté. Statuant sur pourvoi, la Cour a annulé l’arrêt du Tribunal [4] et renvoyé l’affaire à ce dernier. Par un arrêt du 8 novembre 2018 [5], le Tribunal a annulé le règlement de 2013, au motif que la méthode de test effectuée à partir d’un réservoir vide ne reflétait pas des conditions aussi proches que possible des conditions réelles d’utilisation.

Par leur recours, Dyson et les autres requérantes demandent réparation du préjudice (qu’elles évaluent à la somme de 176’100’000 euros) qu’elles prétendent avoir subi du fait de l’illégalité du règlement.

Par son arrêt du 8 décembre 2021, le Tribunal de l’Union européenne rejette le recours.

Le Tribunal rappelle tout d’abord que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union suppose la réunion de trois conditions cumulatives, à savoir que la règle de droit violée ait pour objet de conférer des droits aux particuliers et que la violation soit suffisamment caractérisée, que la réalité du dommage soit établie et, enfin, qu’il existe un lien de causalité direct entre la violation de l’obligation qui incombe à l’auteur de l’acte et le dommage subi par les personnes lésées.

Le Tribunal commence par vérifier si, ainsi que l’allèguent les requérantes, la Commission a commis des violations du droit de l’Union suffisamment caractérisées pour être susceptibles d’engager la responsabilité non contractuelle de l’Union.

En premier lieu, les requérantes soutiennent que la Cour a définitivement jugé que la Commission avait enfreint l’article 10, paragraphe 1, de la directive sur l’étiquetage énergétique en adoptant une méthode normalisée de test fondée sur l’utilisation d’un réservoir vide. Selon les requérantes, en adoptant une étiquette énergétique qui repose sur cette méthode, la Commission a manifestement dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation.

Le Tribunal constate d’abord que l’application de l’article 10, paragraphe 1, de la directive sur l’étiquetage énergétique au cas spécifique des aspirateurs était de nature à susciter certaines différences d’appréciation, indicatives de difficultés d’interprétation au regard du degré de clarté et de précision de cette disposition et, plus généralement, de la directive prise dans son ensemble.

Le Tribunal analyse ensuite la complexité technique de la situation à régler ainsi que le caractère intentionnel ou inexcusable de l’erreur commise par la Commission. À cet égard, le Tribunal constate que, à la date d’adoption du règlement de 2013, il existait des doutes légitimes quant à la validité scientifique et à l’exactitude des résultats auxquels la méthode de test fondée sur un réservoir chargé [6] pouvait conduire aux fins de l’étiquetage énergétique. Même si cette méthode de test était plus représentative des conditions normales d’usage des aspirateurs que celle fondée sur l’utilisation d’un réservoir vide, la Commission a pu considérer, sans excéder d’une manière manifeste et grave les limites de son pouvoir d’appréciation, que ladite méthode de test n’était pas apte à garantir la validité scientifique et l’exactitude des informations fournies aux consommateurs et opter, alternativement, pour une méthode de test apte à répondre aux critères de validité et d’exactitude des informations.

Le Tribunal conclut que la Commission a ainsi fait preuve d’un comportement pouvant être attendu d’une administration normalement prudente et diligente et, par conséquent, que la Commission n’a pas méconnu, de manière manifeste et grave, les limites qui s’imposaient à son pouvoir d’appréciation.

En deuxième lieu, les requérantes soutiennent que le règlement de 2013 a instauré une discrimination entre les aspirateurs à sac et les aspirateurs cycloniques, en traitant ces deux catégories d’aspirateurs d’une manière identique, alors que leurs caractéristiques ne sont pas comparables, et ce sans aucune justification objective. Le Tribunal indique que tant la directive sur l’étiquetage énergétique que le règlement de 2013 prévoyaient un traitement uniforme de l’ensemble des aspirateurs entrant dans leur champs d’application respectif. Toutefois, en se fondant sur l’analyse concernant la violation de l’article 10, paragraphe 1, de la directive, le Tribunal relève qu’il existait des doutes légitimes quant à la validité scientifique et à l’exactitude des résultats auxquels la méthode de test fondée sur l’utilisation d’un réservoir chargé pouvaient conduire aux fins de l’étiquetage énergétique. Ainsi, une telle circonstance d’ordre factuel suffit à considérer que, indépendamment de toute différence objective entre les aspirateurs cycloniques et les autres types d’aspirateurs, la Commission, en retenant la méthode d’essai fondée sur l’utilisation d’un réservoir vide, n’a pas méconnu de manière manifeste et grave les limites de son pouvoir d’appréciation ni commis une violation suffisamment caractérisée du principe d’égalité de traitement.

En troisième lieu, les requérantes font valoir que la Commission a enfreint le principe de bonne administration en méconnaissance d’un élément essentiel de la directive sur l’étiquetage énergétique, ce qu’aucune administration normalement prudente et diligente n’aurait fait. Le Tribunal constate que cette argumentation recoupe dans une large mesure celle développée par les requérantes dans le cadre des deux premières illégalités alléguées et la rejette au même titre.

Enfin, le Tribunal souligne que l’argumentation des requérantes prise de la violation du droit d’exercer une activité professionnelle étant, en substance, identique à celle développée dans le cadre des trois autres illégalités alléguées, il y a lieu de la rejeter pour les mêmes motifs.

 

 

[1] Règlement délégué (UE) no 665/2013 de la Commission, du 3 mai 2013, complétant la directive 2010/30/UE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne l’étiquetage énergétique des aspirateurs (JO 2013, L 192, p. 1).

[2] Directive 2010/30/UE du Parlement européen et du Conseil, du 19 mai 2010, concernant l’indication, par voie d’étiquetage et d’informations uniformes relatives aux produits, de la consommation en énergie et en autres ressources des produits liés à l’énergie (JO 2010, L 153, p. 1).

[3] Arrêt du 11 novembre 2015, Dyson/Commission, T-544/13 (voir CP 133/15).

[4] Arrêt du 11 mai 2017, Dyson/Commission, C-44/16 P.

[5] Arrêt du 8 novembre 2018, Dyson/Commission, T-544/13 RENV (voir CP 168/18).

[6] Méthode visée à la section 5.9 de la norme harmonisée EN 60312-1(2013) du Comité européen de normalisation électrotechnique (Cenelec).

 

 

Communiqué de presse du 08.12.2021 consultable ici

Arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 08.12.2021 dans l’affaire T-127/19 Dyson e.a./Commission consultable ici