8C_652/2024 (f) du 28.07.2025 – Droit à la rente d’invalidité – Priorité de la réadaptation sur la rente – Décision de principe (clôture de la phase d’intervention précoce) – Moment de l’aptitude à la réadaptation

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_652/2024 (f) du 28.07.2025

 

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Droit à la rente d’invalidité – Priorité de la réadaptation sur la rente / 28 al. 1 let. a LAI

Décision de principe (clôture de la phase d’intervention précoce) – Expertise médicale – Moment de l’aptitude à la réadaptation – Rente d’invalidité octroyée rétroactivement

Rente AI et indemnités journalières AI lors de mesures de réinsertion (14a LAI) / 22 al. 5bis LAI

 

Résumé
Le Tribunal fédéral confirme que l’assuré avait droit à une demi-rente d’invalidité du 1er juillet 2018 au 28 février 2021, car à cette époque aucune mesure de réadaptation n’était envisageable en raison de son état de santé, l’office AI ayant lui-même exclu la mise en œuvre de telles mesures (décision de principe mettant fin à la phase d’intervention précoce). Ce n’est qu’à la suite d’une expertise pluridisciplinaire puis des mesures de réinsertion (art. 14a LAI) que des mesures de réadaptation ont pu être entreprises dès février 2021, justifiant alors la fin du droit à la rente.

 

Faits
Assuré, né en 1978 et titulaire d’un certificat de fin d’apprentissage en mécanique-pratique, a souffert d’agoraphobie avec crises de panique, entraînant depuis le 20.04.2016 une incapacité de travail médicalement attestée à des taux variables. Le 01.09.2017, il a présenté une demande de prestations auprès de l’office AI.

Par décision du 7 décembre 2023, après mise en œuvre d’une expertise pluridisciplinaire, l’office AI lui a accordé un quart de rente d’invalidité du 01.07.2018 au 28.02.2021, veille du début d’indemnités journalières pour un stage d’entraînement à l’endurance, et a nié le droit à la rente dès le 01.03.2021. Il a retenu une incapacité totale de travail comme mécanicien de précision dès juillet 2017. Une activité adaptée n’était pas exigible de juillet 2017 à février 2018, puis exigible à 60% du 01.03.2018 au 31.03.2021 et à 100% dès le 01.04.2021. Sur la base d’un revenu sans invalidité de 77’282 fr. 35 et d’un revenu d’invalide de 40’659 fr. 85, l’office AI a calculé un degré d’invalidité de 47.39% du 01.07.2018 au 28.02.2021. À partir du 01.04.2021, avec un revenu d’invalide fixé à 65’683 fr. 55, le degré d’invalidité a été ramené à 15.01%, excluant le droit à une rente.

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2024 4 – consultable ici)

Par jugement du 08.10.2024, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit de l’assuré à une demi-rente d’invalidité du 01.07.2018 au 28.02.2021 et confirmant la décision de l’OAI au surplus.

 

TF

Consid. 4.1
Selon la jurisprudence, si la capacité de gain d’une personne assurée peut être rétablie, maintenue ou améliorée par des mesures de réadaptation raisonnablement exigibles, le principe de la « priorité de la réadaptation sur la rente » s’applique (cf. art. 28 al. 1 let. a LAI). Ce n’est que lorsqu’aucune mesure appropriée n’est (plus) envisageable qu’un droit à une rente peut être accordé; dans le cas contraire, des mesures de réadaptation appropriées doivent être ordonnées au préalable. Selon la conception légale, une rente ne peut être octroyée avant la mise en oeuvre de mesures de réadaptation (le cas échéant également avec effet rétroactif) que si la personne assurée n’était pas – ou pas encore – apte à être réadaptée en raison de son état de santé. Le droit à une rente ne peut en principe naître qu’après la fin des mesures de réadaptation même si celles-ci n’ont eu qu’un succès partiel ou ont échoué. Il en va autrement après que des mesures d’instruction visant à déterminer si la personne assurée peut être réadaptée révèlent qu’elle ne l’est pas; dans ce cas, une rente peut être octroyée rétroactivement (ATF 148 V 397 consid. 6.2.4 et les références; 121 V 190 consid. 4; arrêt 9C_443/2023 du 28 février 2025 consid. 5.1.2 destiné à la publication).

Consid. 4.2.3 [résumé]
Le tribunal cantonal a refusé la reformatio in peius sollicitée par l’office AI, qui visait à nier toute rente à partir du 01.07.2018 en invoquant la priorité de la réadaptation sur la rente. Il a constaté qu’aucune mesure de réadaptation n’était envisageable de septembre 2017 à avril 2020, l’office AI ayant clôturé la phase d’intervention précoce en 2018 puis ordonné une expertise psychiatrique dont le rapport n’avait été rendu qu’en avril 2020. Les mesures de réadaptation professionnelle n’avaient été demandées à l’ORIF qu’en septembre 2020 et n’avaient débuté qu’en février 2021 pour se terminer en août 2022. Dans ce contexte, l’allocation rétroactive d’une rente entre juillet 2018 et février 2021 était justifiée.

Consid. 4.3 [résumé]
L’office AI recourant soutient que la communication du 05.07.2018 clôturant la phase d’intervention précoce n’avait aucune valeur juridique et ne préjugeait pas du droit à des mesures de réadaptation, puisqu’elle se limitait à constater qu’aucune mesure professionnelle (art. 15 ss LAI) n’était alors envisageable, contrairement aux mesures au sens de l’art. 14a LAI mises en œuvre dès février 2021. Il reproche au tribunal cantonal d’avoir retenu arbitrairement avril 2020, date de la réception du rapport d’expertise psychiatrique, pour déduire une inaptitude à la réadaptation avant cette date, alors que cette approche contredirait la stabilisation de l’état de santé reconnue depuis mars 2018 par l’expertise pluridisciplinaire jugée probante. Il lui fait encore grief de n’avoir pas examiné le rapport psychiatrique du 02.04.2020, qui constatait un bénéfice attendu d’une réinsertion professionnelle. Enfin, il estime que le décalage entre la demande de mesures de réadaptation en septembre 2020 et leur mise en œuvre effective en février 2021 est sans incidence sur le droit à la rente, l’aptitude à la réadaptation ne dépendant pas du calendrier de réalisation des mesures.

Consid. 4.4.1
L’office AI recourant ne saurait être suivi. Le Tribunal cantonal a en effet établi sans arbitraire que dans sa communication du 05.07.2018, l’office AI recourant avait informé l’assuré qu’aucune mesure de réadaptation d’ordre professionnel n’entrait en ligne de compte. Contrairement à ce que soutient l’office AI recourant, cette communication n’est pas dépourvue de toute portée juridique. Si des mesures de réadaptation professionnelles, y compris les mesures de réinsertion y préparant, avaient été sérieusement envisageables à l’époque, il aurait appartenu à l’OAI de compléter l’instruction en vue de déterminer quelles mesures exactement étaient adéquates et, le cas échéant, de les mettre en oeuvre sans tarder.

L’office AI recourant n’en a rien fait, dès lors qu’il considérait, comme il l’a communiqué clairement à l’assuré, qu’aucune mesure de réadaptation professionnelle n’entrait en considération à ce stade en vue de diminuer l’invalidité. L’assuré pouvait dès lors se fier à cette communication sans exiger qu’une décision formelle soit rendue sur le droit aux mesures de réadaptation. L’office AI recourant est ensuite passé à juste titre à l’examen du droit à la rente et a, dans ce contexte, ordonné une expertise. Le fait que selon l’office AI recourant, les experts mandatés ont finalement mis en évidence que des mesures de réadaptation étaient envisageables, et qu’elles auraient même pu être ordonnées plus tôt, ne permet pas d’ignorer que l’office AI recourant avait, à l’époque, renoncé à ordonner de telles mesures. Ce n’est qu’en prenant connaissance de nouveaux documents médicaux que l’office AI recourant a réexaminé l’opportunité d’ordonner des mesures de réadaptation. Il ne saurait, dans ce contexte, se prévaloir du principe selon lequel la réadaptation prime la rente pour nier la naissance du droit à la rente à une époque où lui-même avait exclu d’ordonner des mesures de réadaptation.

Au demeurant, il n’était pas arbitraire de la part de la juridiction cantonale d’avoir considéré qu’une aptitude à la réadaptation ne pouvait pas être constatée pour la période précédant l’expertise psychiatrique du 02.04.2020. Or, comme on l’a vu plus haut (consid. 4.1), le principe de la primauté de la réadaptation sur la rente n’exclut pas la possibilité d’octroyer une rente rétroactivement. Cela vaut aussi lorsque la personne assurée ne pouvait pas encore être réadaptée en raison de son état de santé et que des mesures de réadaptation sont envisagées à l’avenir (« selbst wenn in Zukunft Eingliederungsmassnahmen beabsichtigt sind », cf. arrêts 8C_209/2017 du 14 juillet 2017 consid. 5.2.2 et 8C_787/2014 du 5 février 2015 consid. 3.2 et les références).

Consid. 4.4.2
Le jugement cantonal peut également être confirmé pour ce qui concerne la durée de la rente d’invalidité octroyée rétroactivement.

En vertu de l’art. 22 al. 5bis LAI, lorsqu’un assuré reçoit une rente de l’assurance-invalidité, celle-ci continue de lui être versée en lieu et place d’indemnités journalières durant la mise en oeuvre des mesures de réinsertion au sens de l’art. 14a LAI et des mesures de nouvelle réadaptation au sens de l’art. 8a LAI. Cette règle fait exception au principe selon lequel la rente est normalement remplacée par des indemnités journalières pour la durée des mesures de réadaptation, comme cela ressort de l’art. 29 al. 2 LAI.

Etant donné que, contrairement aux autres bénéficiaires d’indemnités journalières, les personnes qui participent à des mesures de réinsertion préparant à la réadaptation professionnelle ne sont pas encore aptes à cette réadaptation, l’art. 22 al. 5bis LAI vise à empêcher qu’elles soient incitées à participer aux mesures de réinsertion uniquement par la perspective de toucher des indemnités éventuellement supérieures à leur rente actuelle (cf. le Message du Conseil fédéral du 22 juin 2005 concernant la modification de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité [5e révision de l’AI], FF 2005 4215 p. 4321; cf. aussi Michel Valterio, Commentaire de la Loi fédérale sur l’assurance-invalidité [LAI], 2018, n. 55 ad art. 22 LAI; Erwin Murer, Invalidenversicherungsgesetz [Art. 1-27 bis IVG], 2014, n. 24 ad art. 22 LAI).

En l’espèce, à l’instar de ce qui est admis par l’office AI recourant lui-même, les mesures de réadaptation qui ont débuté le 22.02.2021 sont des mesures de réinsertion au sens de l’art. 14a LAI. Celles-ci ont été ordonnées conformément aux conclusions de l’expertise psychiatrique du 02.04.2020, laquelle favorisait une réinsertion professionnelle de l’assuré. On relèvera, par ailleurs, que ces conclusions ont été confirmées par le Dr C.__ dans le cadre de l’expertise pluridisciplinaire (« Il convient de partager le pronostic de l’expert sur la capacité de la personne assurée à atteindre une capacité de 100% avec un rendement de à 100% »). Ainsi, force est de constater que la cour cantonale n’a pas versé dans l’arbitraire en retenant que l’assuré n’était pas (encore) apte à la réadaptation, en l’absence de constations de nature médicale dans ce sens et au vu de la mise en oeuvre d’une mesure de réinsertion. C’est donc à bon droit que les premiers juges ont estimé que la rente d’invalidité ne devait pas prendre fin au mois d’avril 2020 ou au moment où les mesures ont été requises auprès de l’ORIF, contrairement à ce que semble prétendre l’office AI recourant.

 

Le TF rejette le recours de l’office AI.

 

Arrêt 8C_652/2024 consultable ici

 

 

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