8C_55/2025 (f) du 28.05.2025 – Gain assuré pour la rente d’invalidité LAA – Gain assuré après une période de chômage / 15 LAA – 22 al. 4 OLAA – 24 al. 1 OLAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_55/2025 (f) du 28.05.2025

 

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Gain assuré pour la rente d’invalidité LAA – Gain assuré après une période de chômage / 15 LAA – 22 al. 4 OLAA – 24 al. 1 OLAA

Calcul du gain assuré – Année précédant l’accident divisée en plusieurs périodes

 

Résumé
Assurée, engagée dans une boulangerie le 25.10.2018, qui s’est blessée à la main droite le 29.01.2019. Dans l’année précédant l’accident, elle a perçu des indemnités de chômage (jusqu’en 05.2018), puis des prestations cantonales en cas de maladie jusqu’à l’engagement. En raison d’un précédant accident, elle a perçu des IJ LAA du 26.11.2018 au 28.01.2019, l’accident litigieux étant survenu le 29.01.2019. Le gain assuré a été calculé en divisant l’année précédant l’accident en plusieurs périodes et non en annualisant le salaire mensuel (x13) comme vendeuse dans la boulangerie. Le recours de l’assurance-accidents est admis.

 

Faits
Assuré a été engagée en qualité de vendeuse auprès de la boulangerie B.__ à compter du 25.10.2018. Le 29.01.2019, elle s’est blessée à la main droite en tentant de récupérer un objet tombé dans un pétrin de boulangerie.

Par décision du 10.10.2022, l’assurance-accidents a mis un terme, au 13.04.2022, au paiement des indemnités journalières ainsi qu’aux soins médicaux et a alloué à l’assurée une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 44’450 francs. Par décision du 02.03.2023, elle a nié le droit à une rente d’invalidité. Le 23.01.2024, l’assurance-accidents a partiellement admis les oppositions formées contre les décisions précitées, en ce sens qu’elle a reconnu le droit de l’assurée à une rente fondée sur un taux d’invalidité de 22% à compter du 01.05.2022, calculée sur la base d’un gain assuré de 28’790 fr. 25.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1038/2024 – consultable ici)

Par jugement du 18.12.2024, admission du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision sur opposition litigieuse en ce sens que le montant du gain assuré était fixé à 68’100 francs.

 

TF

Consid. 4.1
Les rentes sont calculées d’après le gain assuré (art. 15 al. 1 LAA). Est déterminant pour le calcul des rentes le salaire que l’assuré a gagné durant l’année qui a précédé l’accident (art. 15 al. 2, seconde phrase, LAA). L’art. 22 al. 4 OLAA prévoit notamment que si les rapports de travail ont duré moins d’une année, le salaire reçu au cours de cette période est converti en gain annuel (deuxième phrase); on présume que l’assuré aurait travaillé toute l’année aux mêmes conditions. La règle de l’art. 22 al. 4, deuxième phrase, OLAA a pour but de combler les lacunes de salaire, du point de vue temporel, résultant du fait que la personne assurée n’a pas perçu de salaire pendant toute l’année précédant l’accident. Elle est applicable lorsque, notamment, la personne assurée n’a pas travaillé toute l’année par exemple en raison d’un changement d’activité ou de reprise d’un emploi ou lorsqu’elle a obtenu un congé non payé durant l’année qui a précédé l’accident (VOLLENWEIDER/BRUNNER, in Basler Kommentar zum UVG, 2019, n. 76 ad art. 15; FRÉSARD/MOSER-SZELESS, L’assurance-accidents obligatoire, in Soziale Sicherheit, SBVR, vol. XIV, 3e éd. 2016, p. 957 n. 182).

Consid. 4.2
Conformément à la délégation de compétence de l’art. 15 al. 3 LAA, le Conseil fédéral a édicté des dispositions sur le gain assuré pris en considération dans des cas spéciaux. Ces dispositions ont pour but d’atténuer la rigueur de la règle du dernier salaire reçu avant l’accident, lorsque cette règle pourrait conduire à des résultats inéquitables ou insatisfaisants (FRÉSARD/MOSER-SZELESS, op. cit., p. 959 n. 183). Pour les rentes, l’art. 24 al. 1 OLAA prévoit que si, au cours de l’année qui précède l’accident, le salaire de l’assuré a été réduit par suite de service militaire, de service civil, de service de protection civile, ou par suite d’accident, de maladie, de maternité, de chômage ou de réduction de l’horaire de travail, le gain assuré est celui que l’assuré aurait reçu sans la survenance de ces éventualités. En d’autres termes, l’art. 24 al. 1 OLAA vise les situations dans lesquelles l’assuré a subi, durant l’année de référence, une perte de salaire en raison de l’une des éventualités énumérées (ATF 137 V 405 consid. 4.4). Le but de cette disposition consiste à prévoir une réglementation spéciale en faveur des assurés qui, pour une période déterminée, sont privés d’une moyenne constante de temps de travail en raison d’un événement empêchant de manière involontaire la « durée normale du travail » (ATF 114 V 113 consid. 3a).

Consid. 5 [résumé]
Les juges cantonaux ont examiné la situation de l’assurée pour l’année ayant précédé l’accident (29.01.2018-28.01.2019). Selon l’extrait de compte individuel, l’assurée avait perçu des indemnités de chômage d’avril 2017 à mai 2018 ; de juin à septembre 2018, elle n’avait perçu ni indemnité ni revenu. Le premier gain après le chômage provenait de la nouvelle activité auprès de la boulangerie B.__ dès le 25.10.2018, dans le cadre d’un contrat de durée indéterminée et pour un revenu mensuel de 4’500 fr., versé treize fois l’an (contrat de travail du 25.10.2018; déclaration d’accident du 17.04.2019). Selon les fiches de salaires, elle avait perçu des indemnités journalières LAA du 26.11.2018 au 28.01.2019 et avait repris le travail le 29.01.2019, jour de l’accident. Il a été retenu que, même si une période de chômage avait bien existé dans l’année de référence, l’accident était survenu après la reprise d’une activité lucrative nouvelle, prévue pour une durée indéterminée, et mieux rémunérée que l’activité antérieure au chômage (gain total de 1’881 fr. pour janvier-mars 2017). Dans ces circonstances, la règle spéciale de l’art. 24 al. 1 OLAA ne trouvait pas application pour tenir compte du revenu perçu avant le chômage. En revanche, le salaire de la nouvelle activité ayant été réduit par suite d’accident, il y avait lieu d’appliquer l’art. 24 al. 1 OLAA afin de prendre en considération le gain que l’assurée aurait réalisé sans cet événement, le gain assuré déterminant se fondant exclusivement sur le revenu dû auprès de la boulangerie B.__ et devant être annualisé selon l’art. 22 al. 4, deuxième phrase, OLAA. Au gain annuel de 58’500 fr. (4’500 fr. x 13) il convenait d’ajouter les allocations familiales pour deux enfants, soit 9’600 fr. (400 fr. x 2 x 12), de sorte que le gain assuré s’élevait à 68’100 fr., ce qui justifiait de renvoyer la cause à l’assurance-accidents pour un nouveau calcul de la rente d’invalidité fondé sur ce montant.

Consid. 6 [résumé]
L’assurance-accidents conteste le montant retenu et soutient qu’il devrait être tenu compte, au titre du gain assuré, du revenu réalisé avant le chômage, en application de l’art. 24 al. 1 OLAA. Le raisonnement des juges cantonaux ne correspondrait ni à la volonté du législateur et du Conseil fédéral, ni à la jurisprudence, et procéderait d’une interprétation erronée de l’arrêt 8C_879/2008 du 5 février 2009 – cité par la doctrine (FRÉSARD/MOSER-SZELESS, op. cit., p. 966 n. 188) – aux termes duquel, pour la période de chômage durant l’année précédant l’accident, il faudrait se baser sur le salaire réalisé avant le chômage et, dès la reprise du travail, sur le gain réalisé auprès du nouvel employeur, le fait qu’un assuré perçoive ensuite un salaire supérieur ou inférieur n’étant pas déterminant. La méthode cantonale placerait l’assurée dans une situation plus favorable que celle qui existerait sans la période de chômage et contreviendrait, sans motif valable, aux principes de l’équivalence (primes-prestations) et de l’égalité de traitement. Il conviendrait au contraire de scinder l’année précédant l’accident en deux périodes : la période de chômage (29.01.2018–24.10.2018, soit 269 jours), dont le gain assuré devrait être calculé sur la base du revenu de 1’881 fr. 75 réalisé avant le chômage, adapté à l’évolution des salaires 2018 (5’824 fr. 70), et la période auprès de la boulangerie B.__ pour les jours restants (15’226 fr.). En ajoutant les allocations familiales de 9’600 fr., le gain assuré total se chiffrerait à 30’650 fr. 70.

Consid. 7.1
Les critiques de l’assurance-accidents relatives à la détermination du gain assuré sont fondées. En effet, on ne peut suivre le point de vue de la cour cantonale selon lequel l’art. 24 al. 1 OLAA serait inapplicable lorsque la personne assurée perçoit dans sa nouvelle activité un revenu qui est supérieur à celui obtenu avant son chômage. Ce raisonnement traduit une interprétation erronée de la jurisprudence. Il ressort à cet égard du considérant 3b de l’arrêt U 108/92 rendu le 4 août 1993 par le Tribunal fédéral des assurances, partiellement publié dans RAMA 1994 n° U 179 p. 32, et qui a été confirmé par l’arrêt 8C_879/2008 du 5 février 2009, que le gain assuré ne peut être déterminé, après une période de chômage, uniquement sur la base du salaire perçu dans la nouvelle activité, en annualisant ce montant. On précisera encore, s’agissant particulièrement de l’arrêt 8C_879/2008, que le litige soumis au Tribunal fédéral portait sur le calcul du gain annuel assuré d’une personne qui, dans l’année précédant l’accident, avait repris une nouvelle activité lucrative après une période de chômage, dans un poste dans lequel elle percevait un revenu inférieur à celui qu’elle avait obtenu pour l’activité exercée avant le chômage. Le salaire effectivement perçu dans la nouvelle activité était déterminant pour le calcul du gain assuré à partir du début des relations de travail correspondantes. En effet, le salaire n’était plus diminué en raison du chômage. En revanche, pour la période antérieure à l’exercice de cette activité, le gain assuré devait être déterminé en fonction du revenu réalisé avant le chômage. En vertu de l’art. 24 al. 1 OLAA, ce gain était également valable pour la période de chômage qui a suivi (consid. 3.2; cf. également FRÉSARD/MOSER-SZELESS, op. cit., p. 964 n. 186).

Consid. 7.2
Il convient encore de rectifier d’office les constatations de la cour cantonale quant au fait que l’assurée n’a perçu ni indemnité ni revenu entre juin et septembre 2018 qui sont manifestement erronées. Il ressort des décomptes de prestations figurant au dossier qu’entre avril 2017 et mai 2018, l’assurée a bénéficié d’indemnités journalières de l’assurance-chômage puis, jusqu’en octobre 2018, d’indemnités versées par le Service des prestations cantonales en cas de maladie (PCM) de l’Office cantonal genevois de l’emploi (OCE) (pour les prestations cantonales en cas d’incapacité passagère, totale ou partielle, de travail: cf. art. 8 ss de la loi cantonale genevoise en matière de chômage du 11 novembre 1983 [LMC]; RS/GE J 2 20). Dès lors que les prestations cantonales en cas de maladie couvrent l’une des éventualités énumérées à l’art. 24 al. 1 OLAA – qui définit de manière exhaustive les pertes de salaire temporaires à prendre en compte pour déterminer le gain assuré déterminant -, cette disposition s’applique pour cette période.

Consid. 7.3
Ainsi, durant l’année qui a précédé l’accident, entre le 29.01.2018 et le 28.01.2019, l’assurée a perçu des indemnités de chômage puis des indemnités pour perte de gain maladie, avant de reprendre un emploi à plein temps auprès de la boulangerie B.__. Au vu de la jurisprudence exposée au considérant 7.1, pour déterminer le gain assuré, il convient donc de diviser cette année en plusieurs périodes.

Consid. 7.3.1
Au cours d’une première période, à savoir entre le 29.01.2018 et mai 2018, le salaire a été réduit en raison du chômage. Il se justifie de se fonder sur le revenu que l’assurée réalisait avant son chômage, soit le montant de 1’881 fr. 75 perçu entre janvier et mars 2017, conformément aux fiches de salaires transmises par l’ancien employeur. Ce montant s’applique non seulement à la période de chômage, mais également à la période de maladie qui a suivi, en vertu de l’art. 24 al. 1 OLAA. Pris en considération pour 269 jours (du 29.01.2018 au 24.10.2018) et adapté selon l’indexation des salaires nominaux en 2018 (+0.5%; tableau T1.2.15, ligne total), on obtient un gain assuré de 5’575 fr. 05 ([1’881 fr. 75 + 0.5% / 3 x 12] / 365 x 269).

Consid. 7.3.2
Pour la période du 25.10.2018 au 28.01.2019 (soit 96 jours), le revenu annuel de 58’500 fr. (4’500 fr. x 13) auprès de la boulangerie B.__ est à prendre en compte. Non contesté par les parties, il est fait application de l’art. 24 al. 1 OLAA pour cette période, lors de laquelle l’assurée a également perçu pour un temps des indemnités en raison d’un (autre) accident. Le gain assuré équivaut ainsi à 15’386 fr. 30 (58’500 fr. / 365 x 96).

Consid. 7.3.3
En tenant compte des allocations familiales de 9’600 fr. (cf. art. 22 al. 2 let. b OLAA) – reconnues par l’assurance-accidents -, le gain annuel assuré de l’assurée doit être fixé à 30’561 fr. 35 (5’575 fr. 05 + 15’386 fr. 30 + 9’600 fr.).

Consid. 7.4
L’assurance-accidents a conclu a un gain annuel assuré (supérieur) de 30’650 fr. 70. Il y a lieu de confirmer ce montant. En effet, le Tribunal fédéral, qui est lié par les conclusions que les parties prennent devant lui, ne peut allouer davantage ou autre chose que demandé, ni moins que ce qu’une partie a reconnu devoir (GRÉGORY BOVET, Commentaire de la LTF, 3 e éd., n° 7 ad art. 107). Il ne se justifie pas de sortir du cadre délimité par les conclusions de l’assurance-accidents.

Consid. 7.5
En conclusion, le recours se révèle bien fondé et l’arrêt attaqué doit être réformé en ce sens que le montant du gain annuel assuré servant de base de calcul à la rente d’invalidité de 22% est fixé à 30’650 fr. 70.

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_55/2025 consultable ici

 

 

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