Arrêt du Tribunal fédéral 9C_559/2021 (f) du 14.07.2022
Début du droit à la rente d’invalidité / 28 al. 1 aLAI
Principe de la priorité de la réadaptation sur la rente – Possibilité de réadaptation professionnelle en raison de l’état de santé de l’assuré
Résumé
L’assurée, active à temps partiel comme concierge et dans des activités indépendantes, avait déposé une demande de prestations AI en juillet 2014 en raison de lombalgies et d’une hernie discale. En l’absence de stabilisation de son état de santé, aucune mesure de réadaptation n’était exigible jusqu’à fin 2017, malgré une capacité de travail de 70% reconnue rétrospectivement dès août 2014. Le Tribunal fédéral a admis l’ouverture du droit à une demi-rente d’invalidité dès le 01.08.2015, soulignant que la reconnaissance rétrospective par les médecins-experts et le SMR d’une capacité de travail de 70% dans une activité adaptée ne remettait pas en cause l’impossibilité de mettre en œuvre une réadaptation avant fin 2017.
Faits
Assurée, née en 1969, a exercé une activité de concierge à temps partiel (30%) pour une commune dès octobre 2009, ainsi qu’une activité indépendante dans le nettoyage et au sein de l’exploitation agricole familiale. Le 02.07.2014, elle a déposé une demande AI en raison de lombalgies et d’une hernie discale médio-latérale gauche L5-S1.
L’office AI a mis en œuvre une expertise pluridisciplinaire. Dans leur rapport du 30.11. 2016, les spécialistes en médecine interne générale, psychiatrie et psychothérapie, rhumatologie et neurologie ont diagnostiqué des lombalgies chroniques (M54.5) avec discopathie et protrusion discale L5-S1 (M51.2), un status après cure de hernie discale en 2014, ainsi qu’une diminution de l’audition modérée à gauche et sévère à droite sur otosclérose. Hormis l’atteinte auditive, qui réduisait la capacité de travail dans toute activité impliquant la communication ou l’audition depuis 1995, les experts ont conclu à une capacité de travail entière dans une activité adaptée, avec une baisse de rendement d’environ 30% dès le 05.08.2014, soit trois mois après la cure de hernie discale.
Le 12.02.2018, l’office AI a octroyé une mesure de reclassement professionnel, prévue du 12.02.2018 au 31.07.2018, interrompue trois jours plus tard en raison de l’état de santé. Des indemnités journalières d’attente ont été versées du 27.04.2017 au 11.02.2018.
Le 20.11.2018, l’office AI a requis une expertise complémentaire, dont le rapport du 01.04.2019 a confirmé les conclusions précédentes. Par décision du 03.04.2020, l’office AI a reconnu le droit à une demi-rente d’invalidité dès le 01.02.2018, fondée sur un taux d’invalidité de 51%.
Procédure cantonale
Par jugement du 21.09.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.
TF
Consid. 2.1
En instance fédérale, le litige porte uniquement sur la date à partir de laquelle est né le droit de l’assurée à une demi-rente d’invalidité. L’assurée est d’avis que cette prestation lui est due à compter du 01.08.2015, tandis que la juridiction cantonale a confirmé la décision administrative selon laquelle la demi-rente doit être allouée depuis le 01.02.2018.
Consid. 2.2
Dans le cadre du « développement continu de l’AI », la LAI, le RAI et la LPGA – notamment – ont été modifiés avec effet au 01.02.2022 (RO 2021 705; FF 2017 2535). Compte tenu cependant du principe de droit intertemporel prescrivant l’application des dispositions légales qui étaient en vigueur lorsque les faits juridiquement déterminants se sont produits (cf. ATF 144 V 210 consid. 4.3.1), le droit applicable reste, en l’occurrence, celui qui était en vigueur jusqu’au 31.12.2021 dès lors que la décision litigieuse a été rendue avant cette date.
A teneur de l’art. 28 al. 1 LAI, l’assuré a droit à une rente aux conditions suivantes: a. sa capacité de gain ou sa capacité d’accomplir ses travaux habituels ne peut pas être rétablie, maintenue ou améliorée par des mesures de réadaptation raisonnablement exigibles; b. il a présenté une incapacité de travail (art. 6 LPGA) d’au moins 40 % en moyenne durant une année sans interruption notable; c. au terme de cette année, il est invalide (art. 8 LPGA) à 40 % au moins. Selon l’art. 29 al. 1 LAI, le droit à la rente prend naissance au plus tôt à l’échéance d’une période de six mois à compter de la date à laquelle l’assuré a fait valoir son droit aux prestations conformément à l’art. 29, al. 1, LPGA, mais pas avant le mois qui suit le 18e anniversaire de l’assuré. D’après l’art. 29 al. 2 LAI, le droit à la rente ne prend pas naissance tant que l’assuré peut faire valoir son droit à une indemnité journalière au sens de l’art. 22.
Selon la jurisprudence, si l’assuré peut prétendre à des prestations de l’assurance-invalidité, l’allocation d’une rente d’invalidité à l’issue du délai d’attente (cf. art. 28 al. 1 LAI), n’entre en considération que si l’intéressé n’est pas, ou pas encore, susceptible d’être réadapté professionnellement en raison de son état de santé (principe dit de la priorité de la réadaptation sur la rente; ATF 121 V 190 consid. 4c). La preuve de l’absence de capacité de réadaptation comme condition à l’octroi d’une rente d’invalidité doit présenter un degré de vraisemblance prépondérante. Dans les autres cas, une rente de l’assurance-invalidité ne peut être allouée avec effet rétroactif que si les mesures d’instruction destinées à démontrer que l’assuré est susceptible d’être réadapté ont révélé que celui-ci ne l’était pas (ATF 121 V 190 consid. 4d; arrêts 9C_380/2021 du 31 janvier 2022 consid. 5.1 et les références; 9C_794/2007 du 27 octobre 2008 consid. 2.2).
Consid. 4.1 [résumé]
Le 22.09.2014, des mesures d’intervention précoce avaient été envisagées (rapport IP du même jour), mais immédiatement abandonnées en raison de l’état de santé de l’assurée (rapport du 24.01.2015). Le médecin du SMR a relevé le 03.03.2015 une absence de stabilisation de la situation et la nécessité d’une mise à jour du dossier médical après une intervention neurochirurgicale envisagée. Celle-ci a été réalisée le 13.10.2015. Par la suite, la médecin traitante a estimé dans son rapport du 30.11.2015 que toute mesure de réadaptation professionnelle paraissait alors illusoire. Le médecin du SMR a confirmé cette évaluation dans un avis du 27.04.2017, tout en précisant que la capacité de travail était entière dans une activité adaptée avec une diminution de rendement de 30% dès le 05.08.2014. Résumant la situation dans un rapport intermédiaire du 14.12.2017, l’office AI a indiqué qu’aucune mesure n’avait pu être mise en place auparavant en raison des suivis médicaux, mais que le droit à des mesures d’ordre professionnel était désormais ouvert. Ces mesures ont effectivement débuté le 12.02.2018, conformément aux communications du même jour et à la décision du 13.02.2018.
Consid. 4.2 [résumé]
Contrairement ce que soutient l’office intimé, aucune mesure professionnelle n’était envisageable entre août 2014 et décembre 2017, l’état de santé de l’assurée n’étant pas stabilisé durant cette période. La reconnaissance rétrospective par les médecins-experts (rapport du 30.11.2016) et du SMR (avis du 27.04.2017) d’une capacité de travail de 70% dans une activité adaptée à partir du 05.08.2014 ne remet pas en cause l’impossibilité de mettre en œuvre une réadaptation avant fin 2017.
En conséquence, comme l’assurée n’était pas susceptible de réadaptation jusqu’à ce moment-là, l’allocation d’une rente à titre rétroactif est justifiée (consid. 2.2 supra). Le taux d’invalidité correspond à la perte de gain établie par l’office AI compte tenu de la capacité de travail de 70% dans une activité adaptée. Partant, il y a lieu d’admettre la conclusion de l’assurée tendant à l’allocation du droit à une demi-rente d’invalidité depuis le 01.08.2015 (cf. art. 28 et 29 LAI; cf. art. 107 al. 1 LTF), sous déduction des indemnités journalières perçues entre le 27.04.2017 et le 11.02.2018.
Le TF admet le recours de l’assuré.
Arrêt 9C_559/2021 consultable ici