8C_757/2023 (f) du 20.12.2024 – Maladie professionnelle et amiante – Vraisemblance d’une asbestose

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_757/2023 (f) du 20.12.2024

 

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Maladie professionnelle et amiante – Vraisemblance d’une asbestose / 9 LAA

 

Assuré, né en 1968, était employé depuis novembre 2009 comme soudeur par la société B.__ SA. Par déclaration de sinistre LAA du 19.07.2016, l’employeur a annoncé à l’assurance-accidents des problèmes pulmonaires et une suspicion de maladie professionnelle.

Le Dr D.__, spécialiste en médecine du travail et pneumologue, a diagnostiqué en juillet 2016 un syndrome emphysème-fibrose, avec diagnostic histologique mixte pour la composante de pneumopathie interstitielle diffuse (RB-ILD), mais a estimé que le lien de causalité avec l’activité professionnelle était faible. Le Dr F.__, spécialiste en médecine du travail et en médecine interne générale auprès de la Division médecine du travail de l’assurance-accidents, a conclu en septembre 2017 que le lien de causalité entre l’exposition aux fumées de soudure et la fibrose pulmonaire ne pouvait être établi. Le tabagisme, entre 20 et 30 UPA, était un facteur à prendre en compte également dans la survenue de l’emphysème.

Une analyse minéralogique en avril 2018 a révélé la présence de nombreuses fibres d’amiante dans les poumons de l’assuré (9.6 millions de fibres d’amiante par gramme de tissu sec). Le Dr I.__, spécialiste en médecine du travail auprès de la Division médecine du travail de l’assurance-accidents, remplaçant du Dr F., a maintenu en août 2019 que l’atteinte n’était pas une maladie professionnelle. L’assurance-accidents a donc refusé les prestations par décision du 09.09.2019.

En octobre 2019, le Dr J.__, médecin adjoint auprès de la consultation de pneumologie de l’Hôpital K.__ et médecin traitant de l’assuré depuis 2013, a demandé à l’assurance-accidents de reconsidérer l’hypothèse d’une cause professionnelle à la composante de fibrose pulmonaire au vu de critères cytopathologiques d’asbestose avec une charge significative en fibres d’amiante selon l’analyse minéralogique. Le Dr I.__ a maintenu sa position, arguant que la pathologie ne correspondait pas à une asbestose et qu’il n’y avait pas d’exposition professionnelle à l’amiante en Suisse.

Une enquête sur l’exposition professionnelle de l’assuré à l’amiante a conclu en février 2020 qu’il n’avait très vraisemblablement pas été exposé professionnellement à des fibres d’amiante en Suisse, mais qu’il avait travaillé en Macédoine de 1982 à 1993 dans un environnement où l’amiante était encore présente.

L’assurance-accidents a, par décision sur opposition du 15.10.2020, rejeté l’opposition. Elle a considéré que l’exposition de l’assuré à l’amiante au cours de son parcours professionnel en Suisse était nulle, et que, selon le Dr I.__, les troubles de l’assuré ne constituaient pas une asbestose.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 23.10.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
Aux termes de l’art. 6 al. 1 LAA, les prestations d’assurance sont allouées en cas d’accident professionnel, d’accident non professionnel et de maladie professionnelle. Aux termes de l’art. 9 al. 1 LAA, sont réputées maladies professionnelles les maladies dues exclusivement ou de manière prépondérante, dans l’exercice de l’activité professionnelle, à des substances nocives ou à certains travaux. Le Conseil fédéral établit la liste de ces substances ainsi que celle de ces travaux et des affections qu’ils provoquent. Se fondant sur cette délégation de compétence, ainsi que sur l’art. 14 OLAA, le Conseil fédéral a dressé à l’annexe 1 de l’OLAA la liste des substances nocives, d’une part, et la liste de certaines affections, ainsi que des travaux qui les provoquent, d’autre part. La liste des substances nocives mentionne les poussières d’amiante.

Selon la jurisprudence, l’exigence d’une relation prépondérante au sens de l’art. 9 al. 1 LAA est réalisée lorsque la maladie est due pour plus de 50% à l’action d’une substance nocive mentionnée dans la première liste, ou lorsqu’elle figure dans la seconde liste et a été causée à plus de 50% par les travaux qui y sont mentionnés (ATF 119 V 200 consid. 2a et la référence).

Sauf disposition contraire, la maladie professionnelle est assimilée à un accident professionnel dès le jour où elle s’est déclarée. Une maladie professionnelle est réputée déclarée dès que la personne atteinte doit se soumettre pour la première fois à un traitement médical ou est incapable de travailler (art. 9 al. 3 LAA; art. 6 LPGA).

Consid. 4.2
Les principaux risques pour la santé associés à l’exposition à l’amiante sont le développement de fibroses (asbestose, lésions pleurales) et de cancers (essentiellement carcinome bronchique et mésothéliome). Le risque de développement d’une maladie en raison d’une exposition à l’amiante dépend en particulier de l’intensité et de la durée d’exposition. Le temps de latence avant l’apparition de la maladie est important et peut s’étendre sur plusieurs décennies (cf. ATF 133 V 421 consid. 5.1; cf. aussi ATF 140 II 7). Selon la Commission fédérale de coordination pour la sécurité au travail (CFST), le temps de latence entre la première exposition à l’amiante et l’apparition des symptômes d’asbestose est habituellement de 15 ans ou plus; il dépend de la durée et de l’intensité de l’exposition (CFST Communication n° 96, avril 2023, p. 6). Ce laps de temps n’a toutefois pas d’incidence sur le droit aux prestations de l’assurance-accidents qui sont dues indépendamment de l’existence d’un rapport d’assurance au moment où la maladie s’est déclarée. Ce qui importe, c’est que l’intéressé ait été assuré pendant la durée de l’exposition (arrêt 8C_443/2013 du 24 juin 2014 consid. 3.1, in SVR 2014 UV n° 31 p. 103; JEAN-MAURICE FRÉSARD/MARGIT MOSER-SZELESS, L’assurance-accidents obligatoire, in Meyer [édit.], SBVR, Vol XIV, Soziale Sicherheit – Sécurité sociale, 3ème éd. 2015, n° 153 p. 943).

Consid. 4.3
L’assuré, ressortissant de Macédoine, a exercé des activités salariées en Macédoine, puis en Suisse. Aux termes de l’art. 26 de la Convention de sécurité sociale entre la Confédération suisse et la République de Macédoine du 9 décembre 1999 (RS 0.831.109.520.1; ci-après: Convention), si les dispositions légales des deux États contractants couvrent l’indemnisation d’une maladie professionnelle, les prestations ne seront octroyées qu’en vertu des dispositions légales de l’État contractant sur le territoire duquel la personne concernée a exercé en dernier une activité susceptible de causer une telle maladie professionnelle. Selon son art. 40, la Convention est applicable aux évènements assurés survenus avant le 1er janvier 2002, date de son entrée en vigueur (al. 1); toutefois, elle ne confère aucun droit à des prestations pour une période antérieure à cette dernière (al. 4). À l’instar de la Suisse, la Macédoine a prévu un système d’indemnisation pour les maladies professionnelles, dont l’asbestose (Règlement du 6 mai 2020 concernant la liste des maladies professionnelles, Journal officiel de la République de Macédoine n° 118/2020, article 2 point 301.21). Le point de savoir si la maladie professionnelle a été causée, ou causée de manière prépondérante par l’exposition en Suisse n’est pas déterminante dans ce contexte.

Consid. 9.1 [résumé]
La cour cantonale a estimé que l’asbestose au sens de l’art. 9 al. 1 LAA ne pouvait être reconnue chez l’assuré. Cette conclusion se base sur deux éléments principaux : d’une part, le CT-Scan de 2016 ne présentait pas les caractéristiques typiques d’une asbestose, et d’autre part, l’analyse du parcours professionnel de l’assuré ne permettait pas d’établir, au degré de la vraisemblance prépondérante, une exposition à l’amiante.

Le Dr O.__, spécialiste en médecine du travail et en médecine interne générale auprès de l’assurance-accidents, a précisé dans son rapport du 12.09.2022 que l’analyse minéralogique attestait uniquement d’une exposition à l’amiante, sans fournir d’indications sur les circonstances de cette exposition. Il a souligné que l’asbestose, une pathologie rare liée à l’amiante, se diagnostique principalement par radiologie.

Un CT-Scan effectué en avril 2021 a montré une aggravation de l’atteinte interstitielle, compatible avec une pneumopathie interstitielle commune, ainsi qu’une diminution de la micronodulation centro-lobulaire et du verre dépoli, partiellement liée à une ancienne bronchiolite respiratoire avec pneumopathie interstitielle (RB-ILD). Selon le Dr O.__, aucune de ces pathologies n’avait de relation de causalité démontrée ou vraisemblable avec l’amiante.

Consid. 9.2.1
Il n’est pas inhabituel que les spécialistes en toutes branches de médecine voient évoluer un diagnostic à mesure que de nouveaux renseignements apparaissent au cours du temps. La requalification du diagnostic de fibrose pulmonaire idiopathique en diagnostic d’asbestose ne permet donc pas d’invalider à priori l’appréciation du pneumologue traitant.

Consid. 9.2.2 [résumé]
Le Dr J.__ a initialement diagnostiqué un syndrome emphysème-fibrose avec, pour la composante fibrose, une fibrose pulmonaire idiopathique et une bronchiolite respiratoire avec pneumopathie interstitielle (RB-ILD) chez l’assuré. Cependant, à la suite de l’analyse minéralogique en 2018 révélant de très nombreuses fibres d’amiante, il a révisé son diagnostic, suggérant une asbestose comme cause plus probable de la fibrose et de la RB-ILD. Cette révision a été soutenue par l’âge du patient, incompatible avec une fibrose pulmonaire idiopathique, qui touchait en général des personnes de plus de 70 ans.

En octobre 2020, le Dr J.__ a rediscuté des biopsies pulmonaires en colloque interne de pathologie; selon la doctoresse Q.__, experte en pathologie pulmonaire et cardiovasculaire, l’image histopathologique était compatible avec une asbestose sans toutefois que ce diagnostic puisse être affirmé uniquement sur cette seule base, raison pour laquelle, en cas de recherche d’asbestose, l’examen était complété par une analyse minéralogique.

En novembre 2021, le Dr J.__ a indiqué que l’assuré avait été hospitalisé du 11.10.2021 au 22.10.2021 pour traiter une infection à Pseudomonas par antibiothérapie. Il existait un lien de causalité entre l’hospitalisation et l’asbestose pulmonaire dont souffrait l’assuré. La surinfection à Pseudomonas était due à l’existence de bronchiectasies, qui étaient elles-mêmes la conséquence de l’asbestose pulmonaire qui déformait et dilatait les structures bronchiques par le biais de la fibrose du tissu pulmonaire. Il n’y avait en outre pas d’argument pour penser qu’il existait chez l’intéressé une maladie primaire des bronches indépendante de l’asbestose, ajoutant que sur un scanner de 2010, où l’asbestose était très peu avancée, il y avait également très peu de dilatation des bronches.

Dans un rapport détaillé du 17.10.2022, le Dr J.__ a critiqué l’évaluation du Dr O.__ de l’assurance-accidents. Il a souligné que la quantité de fibres d’amiante trouvée chez l’assuré dépassait largement le seuil minimal pour provoquer une asbestose. Il a argumenté que l’analyse minéralogique, combinée à la biopsie pulmonaire et à l’imagerie, fournissait des preuves solides d’une asbestose. Le Dr J.__ a conclu qu’il était illogique de considérer qu’il existait chez l’assuré une cause avérée de fibrose pulmonaire en quantité suffisante pour provoquer une telle fibrose (soit l’exposition à l’amiante) mais que la fibrose pulmonaire de l’assuré était sans cause connue.

Consid. 9.2.3
Les avis différenciés et circonstanciés du Dr J.__ reposent sur des appréciations globales (souvent multidisciplinaires) des résultats des différents examens médicaux tel les examens cliniques approfondis, une analyse en microscopie électronique d’une biopsie pulmonaire, les analyses minéralogiques ainsi que l’imagerie. Il a en outre justifié le changement de diagnostic de manière approfondie et compréhensible, ce que les juges cantonaux ne semblent pas avoir pris en compte. Pour sa part, le Dr O.__ s’est limité, dans son appréciation très succincte, à invoquer des résultats des examens radiologiques et ne s’est ni prononcé sur ces avis détaillés de ses collègues ni sur le fait que le rapport de l’analyse minéralogique relève que des fibres d’amiante ont été formellement identifiés dans les poumons en quantité amplement suffisante pour provoquer une asbestose. Au vu des divergences entre l’avis du médecin traitant et ceux des médecins de l’assurance, le raisonnement très succinct de la cour cantonale, qui se fonde pour l’essentiel sur l’avis du Dr O.__, pour écarter le diagnostic d’asbestose ne convainc pas.

Consid. 9.3
Les juges cantonaux ont également considéré que le Dr H.__ n’avait pas, dans son rapport d’analyse minéralogique du 30.04.2018, posé un diagnostic clair et sans équivoque d’asbestose, mais avait affirmé que l’assuré avait été exposé de manière significative à l’amiante amphibole, ce qui devrait suffire (« ausreichen dürfte ») à déclencher une asbestose (minimale). L’utilisation du conditionnel par le Dr H.__ indiquait qu’il s’agissait d’une hypothèse, mais on ne pouvait nullement tirer des conclusions de ce rapport la présence certaine d’une asbestose.

À ce propos, il sied de souligner que le Dr H.__, qui est un spécialiste en pathologie, avait uniquement pour mission de procéder à des analyses minéralogiques. Il ne lui appartenait pas de poser un diagnostic à la place des pneumologues. Son analyse ne constitue donc qu’un élément parmi d’autres pour poser le diagnostic d’asbestose. Toutefois, la cour cantonale n’a pris en considération aucun des autres éléments retenus par les médecins spécialistes, se focalisant sur l’utilisation du conditionnel dans une seule phrase. Ce raisonnement ne peut pas être suivi. On observera dans ce contexte que le Dr H.__ a tout de même exposé qu’au vu des quantités importantes de fibres d’amiante retrouvées, l’hypothèse d’une asbestose était la plus vraisemblable.

Consid. 10.1
En ce qui concerne l’anamnèse professionnelle, les juges cantonaux ont notamment nié la valeur probante du rapport du 21.06.2021 des Dres L.__ et M.__, respectivement cheffe de Clinique et médecin adjointe au sein du Département santé, travail et environnement du Centre N.__ et spécialisées en médecine du travail.

Consid. 10.2.1 [résumé]
Les Dres L.__ et M.__ ont évalué l’exposition de l’assuré à l’amiante tout au long de sa carrière. Elles ont conclu à une exposition modérée lors de son apprentissage et de son travail en Macédoine de 1983 à 1990, puis à une forte exposition en 1991 lors de son travail de soudeur. De 2004 à 2019, l’exposition aurait été particulièrement intense, notamment due à des activités impliquant des matériaux contenant de l’amiante et au travail dans des bâtiments vétustes, connus pour contenir de l’amiante. Les médecins ont souligné que, jusqu’à 2016, il n’y avait pas de système d’aspiration/ventilation ni de protection des voies respiratoires adéquates.

Elles ont présenté six arguments en faveur du diagnostic d’asbestose, incluant leurs observations cliniques, la période de latence respectée, les résultats d’imagerie et d’analyse minéralogique, l’historique professionnel détaillé, et l’absence d’exposition extra-professionnelle. Elles ont également noté une co-exposition aux fumées de soudure et à la silice cristalline.

Dans un rapport complémentaire, les Dres L.__ et M.__ ont précisé que le diagnostic d’asbestose était le plus probable, basé sur une évaluation approfondie et une discussion pluridisciplinaire. Elles ont recommandé que la pathologie de l’assuré soit reconnue comme maladie professionnelle.

Consid. 10.2.2 [résumé]
La cour cantonale a émis des réserves sur le rapport des Dres L.__ et M.__, notant des divergences entre leur description du parcours professionnel de l’assuré et celle fournie par l’assuré lui-même lors de son entretien avec l’assurance-accidents. Elle a relevé des incohérences dans les activités professionnelles mentionnées, notamment des travaux de toiture et de construction de pont non corroborés par d’autres sources. La cour cantonale a également souligné que les médecins avaient minimisé la consommation de tabac de l’assuré.

Consid. 10.2.3 [résumé]
Le protocole d’enquête professionnelle de l’assurance-accidents est relativement sommaire et incomplet. Il est surprenant qu’il ne mentionne aucune exposition à l’amiante, même en Macédoine, malgré l’analyse minéralogique révélant une grande quantité de fibres d’amiante dans les tissus pulmonaires de l’assuré. De plus, ce protocole omet certaines activités professionnelles mentionnées dans l’extrait du compte individuel AVS ou présente des dates divergentes pour d’autres.

Consid. 10.3
Les juges cantonaux ont procédé à une analyse par étapes du parcours professionnel de l’assuré en Suisse depuis 1991 et ont conclu qu’aucune exposition professionnelle à l’amiante ne pouvait être établie. Leurs considérations donnent lieu aux observations suivantes:

Consid. 10.3.1 [résumé]
La cour cantonale a estimé que l’activité de l’assuré pour U.__ AG à S.__ en 1991 ne permettait pas d’objectiver une exposition à l’amiante, considérant qu’on ne pouvait pas présumer que tout ouvrier travaillant avec des matériaux de récupération était en contact avec de l’amiante. Cette appréciation contredit cependant les conclusions des expertes du Centre N.__, qui ont identifié une exposition importante à l’amiante durant cette période. Les juges cantonaux n’ont toutefois pas pris position sur cette incongruence.

Consid. 10.3.2 [résumé]

La cour cantonale a considéré que l’assuré n’avait pas été exposé à l’amiante entre novembre 1992 et décembre 1996, période durant laquelle il aurait effectué des travaux de viticulture pour des encaveurs. Elle a également exclu une exposition lors de son emploi de magasinier de 1997 à 1998.

L’assuré conteste cette appréciation. Il souligne que l’extrait de son compte individuel AVS montre qu’il a travaillé pour divers employeurs en 1996-1997, fait non mentionné par la cour cantonale. De plus, lors de son audition, il a déclaré avoir réalisé des travaux de serrurerie et de soudure durant cette période. Ces informations, corroborées par le rapport du Centre N.__, ont conduit les expertes à envisager une possible exposition ponctuelle à l’amiante, due à l’utilisation de matériaux d’origine inconnue.

Consid. 10.3.3 [résumé]
De 2002 à 2004, l’assuré était en arrêt de travail suite à une greffe rénale. Pour la période 2004-2006, le protocole d’enquête de l’assurance-accidents et le rapport du Centre N.__ indiquent qu’il a travaillé comme soudeur et serrurier pour B1.__ SA. Selon le rapport du Centre N.__, l’assuré aurait travaillé sur des poutres probablement amiantées sans équipement de protection respiratoire. Les expertes ont donc estimé que l’exposition à l’amiante avait été forte durant cette période. Cependant, la cour cantonale n’a pas interrogé l’assuré sur cette activité et ne s’est pas prononcée à ce sujet. Il est à noter que ces informations ne figurent ni dans l’extrait du compte individuel AVS, ni dans les constatations de l’arrêt attaqué.

Consid. 10.3.4
Les juges cantonaux ont retenu qu’ensuite de l’arrêt de travail dû à la greffe rénale, le compte individuel AVS mentionnait des activités dès 2007 auprès d’agences de placement temporaire. Interrogé sur ces activités, l’assuré avait décrit des emplois de soudeur, notamment dans la tranchée couverte de G1.__ (A9). Là encore, aucune exposition à l’amiante n’avait pu être établie dans le cadre de ces emplois selon les juges cantonaux, tandis que les expertes L.__ et M.__ ont retenu une exposition certainement forte dès 2008.

Consid. 10.3.5 [résumé]
Les juges cantonaux ont considéré que l’assuré, employé comme soudeur par H1.__ SA (racheté plus tard par B.__ SA) depuis novembre 2009, effectuait principalement du meulage et de la soudure sur des matériaux de récupération, notamment des poutres métalliques recouvertes de produits de protection. Ils ont estimé que ses allégations concernant la proximité de matériel de désamiantage dans son atelier n’étaient pas corroborées par d’autres preuves, et que le rapport de visite de l’assurance-accidents ne mentionnait pas cette proximité.

Contrairement à ce qu’a retenu la cour cantonale, la proximité avec des matériaux liés au désamiantage ne repose pas uniquement sur le témoignage de l’assuré. Le manager QHSE du groupe B.__ SA a indiqué dans un courriel qu’il ne pouvait exclure que l’assuré ait travaillé sur des poutres métalliques floquées à l’amiante et qu’il avait travaillé sur un site appartenant à une entreprise de désamiantage rachetée par B.__ SA. De plus, le Dr F.__ a noté que le rapport du Laboratoire G.__ évoquait une « minimale asbestose » due à une surcharge significative en fibres d’amiante de type amphibole. Il a également souligné que le métier de soudeur était connu pour son utilisation d’amiante comme isolant ou sa présence dans les installations nécessitant des travaux de soudure. La cour cantonale semble ne pas avoir pris en compte ces éléments dans son appréciation.

Consid. 10.4
Il ressort de ce qui vient d’être exposé que les constatations des juges cantonaux concernant le parcours professionnel et une éventuelle exposition à l’amiante sont imprécises et en partie contraires aux informations contenues dans le dossier. On ne saurait donc suivre l’instance cantonale lorsqu’elle nie – sur une base aussi incertaine et sans instruction plus approfondie – tout contact avec l’amiante pendant les diverses activités professionnelles que l’assuré à exercées en Suisse. Il existe certes des indices non négligeables parlant en faveur d’une exposition à l’amiante en Suisse, ressortant notamment du rapport du Centre N.__. Cependant, le rapport des Dres L.__ et M.__ manque lui aussi de précision en ce qui concerne la consommation de tabac de l’assuré, de même que les dates et durées des activités professionnelles exercées par l’assuré en Suisse. En outre, il ne fait pas mention de l’activité pour K1.__ en 2008 et 2009 ni de l’arrêt de travail d’avril 2010 à janvier 2012 en raison d’un accident professionnel, comme l’a relevé à juste titre la cour cantonale. Les Dres L.__ et M.__ paraissent par ailleurs avoir pris en considération diverses déclarations de l’assuré relatives aux circonstances dans lesquelles il a exercé ses activités professionnelles, qui auraient mérité vérification. Il en va ainsi, en particulier, des activités chez B1.__ SA, H1.__ SA et B.__ SA, pour lesquelles il conviendrait de vérifier si l’assuré a réellement effectué des travaux de soudure ou de meulage sur matériaux de récupération revêtus de peinture amiantée ou pourvus de revêtement bitumeux amianté.

Consid. 11.1
Vu ce qui précède, la juridiction cantonale a basé sa décision uniquement sur les avis très brefs des médecins conseils de l’assurance-accidents, qui ne sont par ailleurs pas spécialisés dans les pathologies pulmonaires. Ces avis sont fermement contredits par les appréciations circonstanciées des spécialistes et experts réputés dans ce domaine, émises après avoir examiné l’assuré, ainsi que par des analyses médicales. En outre, la cour cantonale a établi le parcours professionnel de l’assuré en Suisse ainsi qu’une éventuelle exposition professionnelle à l’amiante de manière incomplète, en omettant de tenir compte de certaines activités et indices parlant en faveur d’une telle exposition ou en les écartant sans motifs pertinents.

Contrairement à ce que prétend l’assuré, on ne peut pas constater, en l’état de l’instruction, qu’il avait été exposé à l’amiante durant sa carrière professionnelle en Suisse. On ne peut toutefois pas davantage le nier. L’instruction étant manifestement insuffisante compte tenu des éléments contradictoires au dossier, il appartiendra à l’assurance-accidents de reprendre de manière plus détaillée l’anamnèse professionnelle de l’assuré, en particulier auprès des entreprises concernées, et en entendant si nécessaire des témoins (autres employés, par exemple). Le point de savoir si d’autres collègues de l’assuré auprès de certains employeurs ont également présenté des problèmes pulmonaires potentiellement en lien avec leur activité professionnelle, notamment une asbestose, devra également être vérifié.

Par ailleurs, face aux avis médicaux contradictoires (cf. consid. 9 supra), une expertise médicale est nécessaire en vue de préciser le diagnostic et de déterminer si l’atteinte pulmonaire dont souffre l’assuré est causée ou non par l’amiante.

Consid. 11.2
Comme il appartient en premier lieu à l’assureur-accidents de procéder à des instructions complémentaires pour établir d’office l’ensemble des faits déterminants, et, le cas échéant, d’administrer les preuves nécessaires avant de rendre sa décision (art. 43 al. 1 LPGA; ATF 132 V 268 consid. 5; arrêt 8C_696/2022 du 2 juin 2023 consid. 4.5 et les références), la cause sera renvoyée à l’assurance-accidents afin qu’elle mette en œuvre les mesures d’instruction et rende une nouvelle décision sur le droit de l’assuré aux prestations d’assurance. Le recours se révèle ainsi bien fondé.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assuré.

 

Commentaires

Cet arrêt souligne l’importance essentielle d’une investigation approfondie et minutieuse dans les cas de maladies professionnelles liées à l’amiante. Pour l’avocat-e de la personne assurée, il est important de ne pas se contenter des rapports fournis par l’assurance-accidents, mais de chercher activement des preuves et des avis médicaux indépendants.

Il est primordial de reconstituer avec précision l’historique professionnel complet de l’assuré, en remontant aussi loin que possible dans sa carrière. Chaque période d’emploi, même courte ou apparemment sans lien direct avec l’amiante, doit être examinée attentivement. Les expositions potentielles à l’amiante avant son interdiction en Suisse, ainsi que les périodes de travail à l’étranger, doivent être particulièrement scrutées.

L’avocat-e doit être conscient du long temps de latence des maladies liées à l’amiante et ne pas hésiter à remettre en question les conclusions hâtives sur l’absence de lien causal. Il est judicieux de rechercher des témoignages de collègues de travail de l’assuré qui pourraient corroborer l’exposition à l’amiante ou qui auraient développé des problèmes de santé similaires.

Face à des avis médicaux contradictoires, l’avocat-e ne doit pas hésiter à demander une expertise médicale (art. 44 LPGA) ou judiciaire. Comme semble le suggérer le Tribunal fédéral, il est nécessaire de s’assurer que cette expertise soit réalisée par des spécialistes en pathologies pulmonaires, familiers avec les effets de l’amiante.

Enfin, en cas de doute, l’avocat-e doit insister sur la nécessité d’une instruction approfondie du dossier plutôt que d’accepter un rejet prématuré de la demande. L’objectif est de s’assurer que tous les éléments pertinents ont été pris en compte avant qu’une décision définitive ne soit rendue.

 

Arrêt 8C_757/2023 consultable ici

 

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