8C_290/2024 (f) du 31.01.2025 – Opposition par un mandataire – Procuration et représentation – Examen du formalisme excessif

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_290/2024 (f) du 31.01.2025

 

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Opposition par un mandataire – Procuration et représentation – Examen du formalisme excessif / 52 LPGA – 10 OPGA – 29 al. 1 Cst.

 

Le 10.11.2022, l’assurance-accidents a adressé à A.__ Sàrl une décision-facture après révision de 129’923 fr. 65. Ce montant correspondait aux primes d’assurance contre les accidents professionnels et non professionnels du personnel emprunté par A.__ Sàrl, que l’assurance-accidents considérait comme dépendant de cette société.

Le 25.11.2022, B., représentant A. Sàrl « dans les litiges », a rencontré deux collaborateurs de l’assurance-accidents pour obtenir des explications sur la décision-facture. Lors de cet entretien, il a été informé que la seule option était de faire opposition à la facture et de prouver les faits. B.__ a formé opposition le 28.11.2022, en joignant une procuration l’autorisant à « avoir accès à tout document officiel concernant leur comptabilité générale ainsi que tout document extra en prévoyance de l’expertise commerciale qui a été ordonnée par la société précitée ». Par courrier A Plus du 01.12.2022, l’assurance-accidents a imparti à B.__ un délai au 16.12.2022 pour attester ses pouvoirs au moyen d’une procuration impliquant expressément le pouvoir de former opposition, en précisant que, à défaut de production dans le délai imparti, l’opposition serait considérée comme irrecevable. Selon les informations de suivi des envois fournies par la poste, ledit courrier a été distribué le 02.12.2022 à 10 heures 11 (mention « zugestellt durch », sans autre précision).

Par décision sur opposition du 03.01.2023, l’assurance-accidents a déclaré irrecevable l’opposition du 28.11.2022 au motif que la procuration demandée n’avait pas été remise dans le délai imparti. Par courriers des 04.01.2023 et 16.01.2023, B.__ a produit la procuration requise et a demandé que l’opposition soit prise en considération, au motif qu’il n’avait jamais reçu le courrier du 01.12.2022.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2023 22 – consultable ici)

Le 02.02.2023, représentée par son avocat, A.__ Sàrl a déposé un recours contre la décision sur opposition du 03.01.2023 en concluant à son annulation. Par arrêt du 11.04.2024, le tribunal cantonal a admis le recours et renvoyé la cause à la l’assurance-accidents pour nouvelle décision.

 

TF

Consid. 4.1 [résumé]
Sans se prononcer sur la présence d’éventuels indices concrets d’une erreur de distribution du courrier A Plus, le tribunal cantonal a estimé que l’opposition du 28.11.2022 avait été déposée au nom de A.__ Sàrl, malgré l’absence de procuration spécifique. Cette conclusion se base sur plusieurs éléments : l’assurance-accidents avait adressé son courrier uniquement à B.__, reconnaissant implicitement sa qualité de représentant ; lors de l’entretien préalable, les collaborateurs de l’assurance-accidents n’avaient pas remis en question les pouvoirs de B.__ ; dans une procédure parallèle, la caisse de compensation avait également demandé une procuration spécifique à B.__, mais par pli recommandé et avec copie à A.__ Sàrl. La cour cantonale a souligné que l’assurance-accidents aurait pu se renseigner auprès de la caisse de compensation concernant la procuration avant de déclarer l’opposition irrecevable, étant donné la coordination entre les deux entités.

Consid. 4.2 [résumé]
Le tribunal cantonal a relevé que la volonté de A.__ Sàrl de faire opposition était évidente, comme en témoigne un entretien téléphonique du 07.12.2022 avec l’assurance-accidents, où la société avait demandé de suspendre la facture pendant la procédure d’opposition. Les juges cantonaux ont constaté un manque de communication interne à l’assurance-accidents entre les gestionnaires du dossier, qui n’avaient jamais remis en cause le pouvoir de représentation de B.__, et la juriste chargée de traiter l’opposition, qui avait constaté l’insuffisance de la procuration. Le tribunal cantonal a conclu que ce dysfonctionnement interne de l’assurance-accidents, considéré comme contraire à la bonne foi et constituant un formalisme excessif, ne devait pas être imputé à A.__ Sàrl.

Consid. 5.1
Il y a formalisme excessif (constitutif d’un déni de justice formel prohibé par l’art. 29 al. 1 Cst.) lorsque la stricte application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une fin en soi et complique de manière insoutenable la réalisation du droit matériel ou entrave de manière inadmissible l’accès aux tribunaux (ATF 149 IV 9 consid. 7.2; 149 III 12 consid. 3.3.1; 145 I 201 consid. 4.2.1; 142 V 152 consid. 4.2; 142 IV 299 consid. 1.3.2). Les limitations appliquées au droit d’accès à un tribunal, notamment en ce qui concerne les conditions de recevabilité d’un recours, ne doivent pas restreindre l’accès ouvert à l’individu d’une manière ou à un point tel que le droit s’en trouve atteint dans sa substance même. En outre, les limitations considérées ne se concilient avec l’art. 6 par. 1 CEDH que si elles poursuivent un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. En ce sens, si le droit d’exercer un recours est bien entendu soumis à des conditions légales, les tribunaux doivent, en appliquant des règles de procédure, éviter à la fois un excès de formalisme qui porterait atteinte à l’équité de la procédure et une souplesse excessive qui aboutirait à supprimer les conditions de procédures établies par la loi (ATF 149 IV 9 consid. 7.2).

Consid. 5.3.1
 Contrairement à l’avis des juges cantonaux, l’assurance-accidents était en droit d’exiger une procuration écrite du mandataire de A.__ Sàrl, conformément à l’art. 37 al. 2 LPGA (cf. ATF 104 Ia 403 consid. 4e; arrêts 9C_533/2022 du 10 février 2023 consid. 5.2; 6B_388/2022 du 8 mai 2023 consid. 2.3; 2C_545/2021 du 10 août 2021 consid. 2.1; 5A_561/2016 du 22 septembre 2016 consid. 3.3; 2C_55/2014 du 6 juin 2014 consid. 5.3.1). Pour autant que cette exigence de procuration ait été valablement notifiée, l’assurance-accidents était également en droit de s’en tenir à cette exigence en dépit de l’appel téléphonique du 07.12.2022 lors duquel la procédure d’opposition a été directement évoquée avec A.__ Sàrl. Il n’y a pas lieu d’y voir un formalisme excessif. Par ailleurs, le fait que des collaborateurs de l’assurance-accidents se soient entretenus auparavant avec B.__ ou aient échangé avec A.__ Sàrl n’y change rien. Même en admettant que l’assurance-accidents avait connaissance de la volonté de A.__ Sàrl de former opposition, elle était tout de même en droit d’exiger une procuration écrite de son mandataire. Le recours doit être admis sur ce point.

Consid. 5.3.2
Les juges cantonaux ont laissé ouverte la question de savoir si la preuve de la notification de la demande de procuration écrite avait été rapportée. Il s’agissait toutefois d’une question décisive pour se prononcer sur le recours dont ils étaient saisis, étant donné qu’aucun formalisme excessif ne pouvait être reproché à l’assurance-accidents. En l’espèce, le Tribunal fédéral est tenu de statuer sur la base des faits établis par l’autorité précédente (art. 105 al. 1 LTF; cf. consid. 2.1 supra), ce qui rend nécessaire un renvoi de la cause à la cour cantonale pour qu’elle se prononce sur cet aspect.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_290/2024 consultable ici

 

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