9C_458/2022 (f) du 16.08.2023 – Subvention de l’assurance-invalidité pour la construction – Restitution / 73 aLAI – 104bis aRAI – Dispositions transitoires de la modification de la LAI du 6 octobre 2006 – Loi sur les subventions (LSu)

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_458/2022 (f) du 16.08.2023

 

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Subvention de l’assurance-invalidité pour la construction – Restitution / 73 aLAI – 104bis aRAI – Dispositions transitoires de la modification de la LAI du 6 octobre 2006 – Loi sur les subventions (LSu)

Notion de détournement du but du bâtiment

Possibilité d’une réduction du montant à restituer en raison de l’existence d’un cas de rigueur en matière de subvention accordée par l’assurance-invalidité

 

La Fondation A.__ est une fondation de droit privé au sens des art. 80 ss CC, reconnue d’utilité publique. Son but est la prise en charge de personnes adultes souffrant d’un handicap psychique et présentant des comportements à risque. Elle a été créée en 2010 par la reprise des actifs et passifs de l' »Association B.__ », radiée du registre du commerce du Bas-Valais en avril 2011, précédemment, nommée l’association « C.__ », puis « Association D.__ ».

Par décision du 16.05.1994, l’OFAS a octroyé à l’association « C.__ » une subvention de l’assurance-invalidité fixée provisoirement à 1’133’205 fr. pour la réalisation du centre résidentiel « E.__ » à U.__, soit une structure d’habitation pour la réintégration socio-professionnelle de personnes toxicodépendantes. Le montant définitif de ladite subvention a été arrêté à 1’034’145 fr. (décision du 25.03.1999).

Par courrier du 22.01.2018, l’OFAS a interpellé la Fondation A.__, en lui rappelant que les subventions de l’assurance-invalidité à la construction sont liées pendant vingt-cinq ans à une affectation précise et que toute modification doit lui être signalée. Ledit courrier était accompagné notamment d’un questionnaire relatif à l’affectation des subventions pour la construction selon l’ancien art. 73 LAI. Après que la Fondation A.__ a indiqué, le 23.02.2018, que le bâtiment « E.__ » avait été démoli en 2016 et qu’un nouveau bâtiment avait été construit, un échange de correspondances s’en est suivi entre les parties. Par décision du 08.07.2019, l’OFAS a exigé une restitution proportionnelle de la subvention accordée en 1999, à hauteur d’un montant de 327’479 fr., correspondant à un usage non conforme dès avril 2016. En bref, il a considéré que la démolition du bâtiment constituait un détournement du but de la subvention, ce qui justifiait la restitution d’une partie de celle-ci.

 

Procédure cantonale (arrêt C-4577/2019 – consultable ici)

La Fondation A.__ a formé recours contre cette décision devant le TAF qui, par ordonnance du 14.06.2022, l’a informée qu’il envisageait de prononcer un arrêt qui lui serait plus défavorable que la décision attaquée (reformatio in pejus) et lui a imparti un délai au 05.07.2022 pour prendre position ou retirer son recours. Sans réponse de la Fondation A.__ dans ce délai, le TAF a rejeté le recours, le 25.08.2022. Il a réformé la décision du 08.07.2019 en ce sens que la Fondation A.__ doit rembourser le montant de la créance en restitution s’élevant à 330’926 fr. 40, en lieu et place du montant initial de 327’479 fr.

 

TF

Consid. 3.1
A la suite des premiers juges, on rappellera que selon l’art. 73 al. 1 LAI (abrogé au 1er janvier 2008), l’assurance-invalidité alloue des subventions pour la construction, l’agrandissement et la rénovation d’établissements et d’ateliers publics ou reconnus d’utilité publique, qui appliquent des mesures de réadaptation dans une proportion importante. En relation avec cette disposition, l’art. 104bis RAI (également abrogé au 1er janvier 2008) prévoyait que si, avant l’expiration d’un délai de vingt-cinq ans à compter du paiement final, l’établissement est détourné de son but ou transféré à un organisme responsable dont le caractère d’utilité publique n’est pas reconnu, la subvention doit être remboursée. Le montant à rembourser est diminué de 4% pour chaque année d’utilisation conforme à l’affectation prévue (al. 1). Le remboursement sera exigé par l’office fédéral dans un délai de cinq ans à compter du moment où la subvention a été détournée de son but (al. 2).

Dans le cadre de la réforme de la péréquation financière et de la répartition des tâches entre la Confédération et les cantons entrée en vigueur le 1er janvier 2008 (RO 2007 5779, 5823), les art. 73 LAI et 104bis RAI ont été abrogés et le contenu de cette dernière disposition a été repris par les dispositions transitoires de la modification de la LAI du 6 octobre 2006 (ci-après: les dispositions transitoires de la LAI), dans leur teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021 et applicable en l’occurrence (ATF 129 V 354 consid. 1; cf. ATF 144 V 224 consid. 3.4, ainsi que Message sur la législation d’exécution concernant la réforme de la péréquation financière et de la répartition des tâches entre la Confédération et les cantons [RPT] du 7 septembre 2005, FF 2005 5641, 5810 s.). Conformément aux al. 1 à 3 desdites dispositions transitoires, si, avant l’expiration d’un délai de vingt-cinq ans à compter du dernier paiement de subventions au sens de l’ancien art. 73 LAI, des établissements sont détournés de leurs buts ou transférés à un organisme responsable dont le caractère d’utilité publique n’est pas reconnu, les subventions doivent être remboursées au Fonds de compensation défini à l’art. 107 LAVS, en faveur du compte de l’assurance-invalidité (al. 1). Le montant à rembourser est diminué de 4% pour chaque année d’utilisation conforme à l’affectation prévue (al. 2) et le remboursement est exigé par l’OFAS dans un délai de cinq ans à compter du moment où la subvention a été détournée de son but (al. 3).

Consid. 3.2
La loi fédérale du 5 octobre 1990 sur les aides financières et les indemnités (loi sur les subventions, LSu; RS 616.1), entrée en vigueur le 1er avril 1991, s’applique à toutes les aides financières et indemnités prévues par le droit fédéral (art. 2 al. 1 LSu). Le chapitre 3 de la loi est applicable sauf dispositions contraires d’autres loi ou arrêtés fédéraux de portée générale (art. 2 al. 2 LSu).

Selon l’art. 29 al. 1 LSu, avec le titre marginal « Aides, désaffectation et aliénation », lorsqu’un bien immobilier (immeuble, construction, autre ouvrage) ou mobilier pour lequel une aide a été versée est désaffecté ou aliéné, l’autorité compétente exige la restitution de l’aide. Le montant à restituer est fonction de la relation entre d’une part la durée pendant laquelle l’allocataire a effectivement utilisé le bien conformément à l’affectation prévue et, d’autre part, la durée d’affectation qui avait été fixée. Le montant à restituer peut être réduit en cas de rigueurs excessives. L’al. 2 de la disposition prévoit que dans les cas d’aliénation, l’autorité peut renoncer en tout ou partie à la restitution de l’aide lorsque l’acquéreur remplit les conditions qui y donnent droit et qu’il assume toutes les obligations de l’allocataire. Quant à l’art. 29 al. 3 LSu, il prévoit que l’allocataire informe sans tarder et par écrit l’autorité compétente de toute désaffectation ou aliénation.

Consid. 3.3
Les art. 11 à 40 LSu sont applicables à toutes les aides financières (aides) et indemnités prévues par le droit fédéral, à moins que d’autres lois ou arrêtés fédéraux de portée générale n’en disposent autrement, conformément à l’art. 2 al. 2 LSu. Cette norme prévoit une réserve, parce que les dispositions de la LSu, qui a été conçue comme une loi générale pour l’ensemble des aides financières et indemnités sur le plan fédéral, peuvent, selon les domaines de droit, conduire à des situations qui n’ont pas été voulues. Par son adoption, le législateur a aussi mis en évidence que la LSu est considérée comme une lex generalis et que des dispositions contraires d’autres lois fédérales, en tant que lex specialis, priment. Ainsi, en application des principes de la lex posterior et de la lex specialis les dispositions transitoires de la LAI priment la LSu, en cas de divergences (ATF 144 V 224 consid. 6; cf. aussi Message concernant la modification de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité [Développement continu de l’AI] du 15 février 2017, FF 2017 2363, 2450), ce que les parties ne contestent au demeurant pas.

Consid. 4.1
A l’appui de son recours, la Fondation A.__ se prévaut d’une violation des dispositions transitoires de la LAI. Elle reproche en substance à la juridiction précédente d’avoir considéré que les termes « détourné de son but » utilisés à l’al. 1 desdites dispositions transitoires signifient la même chose que le terme « désaffectation » employé à l’art. 29 al. 1 LSu. Selon elle, les termes « détourné de son but » ont une portée plus limitée que celui de « désaffectation », puisqu’ils impliqueraient « un acte volontaire, une action » et ne viseraient ainsi qu’un changement d’affectation et non également une cessation pure et simple de toute affectation. Dans la mesure où il s’agirait d’un cas de fin d’utilisation en raison d’une impossibilité de toute utilisation du bâtiment, et non pas d’un changement d’affectation, la recourante soutient qu’elle ne peut être tenue à restitution.

Consid. 4.2
Interprétant l’al. 1 des dispositions transitoires de la LAI, le Tribunal administratif fédéral a constaté que la loi ne fournissait pas de définition de la condition du « détournement du but de l’établissement ». Il s’est référé sur ce point au ch. 7001 de la circulaire de l’OFAS sur le versement de subventions pour la construction et les agencements, valable dès le 1er avril 2005, qui prévoit que si, moins de vingt-cinq ans à compter du versement final des subventions, les bâtiments changent d’affectation ou sont transférés à un support juridique qui n’est pas d’intérêt public, les subventions doivent être entièrement remboursées. Il en a déduit que les termes « détournement du but de l’établissement » (au sens de l’al. 1 des dispositions transitoires de la LAI) et « changement d’affectation » du bâtiment (au sens de la circulaire précitée) désignent la même chose, à savoir un changement d’utilisation de celui-ci. La juridiction de première instance a ensuite constaté que le terme « désaffectation » se retrouve à l’art. 29 LSu (consid. 3.2 supra) et que, selon la jurisprudence (cf. décision de la Commission de recours du Département fédéral de l’économie [DFE] du 13 novembre 1995, in JAAC 60/1996 n° 66 p. 539, consid. 4.3), cette notion doit être comprise au sens large, dans la mesure où elle englobe toutes les raisons qui font que l’objet ne sert plus à l’usage auquel il était destiné et qui a motivé l’octroi de l’aide financière; le seul élément déterminant est ainsi que l’objectif initial ne soit plus atteint et les raisons qui ont conduit au changement d’affectation ne sont en principe pas décisives pour déterminer si l’objet a subi un tel changement. Les premiers juges ont considéré que même si l’art. 29 LSu ne trouve pas application en l’espèce, cela ne les empêche pas de se fier à l’interprétation faite par la jurisprudence de termes et circonstances similaires.

Consid. 4.3
Les considérations du Tribunal administratif fédéral ne prêtent pas le flanc à la critique. Quoi qu’en dise la recourante, il a expliqué de manière convaincante que selon les versions allemande et italienne de l’art. 29 al. 1 LSu (« [seinem] Zweck entfremdet », « è stato sottratto al suo scopo ») et de l’al. 1 des dispositions transitoires de la LAI (« zweckentfremdet », « sono distolte dallo scopo cui erano destinate »), les deux dispositions visent le même cas de figure et que les termes « détournement du but de l’établissement » (au sens de l’al. 1 des dispositions transitoires de la LAI) et « changement d’affectation » (selon la circulaire de l’OFAS précitée) visent également le même état de fait.

On ajoutera qu’il ressort du titre marginal de l’art. 29 LSu, dans ses versions allemande et française (« Zweckentfremdung und Veräusserung bei Finanzhilfen » et « Aides, désaffectation et aliénation ») que le terme « désaffectation » correspond à la traduction en français du terme « Zweckentfremdung » (« détournement du but »), qui se retrouve à l’al. 1 des dispositions transitoires de la LAI, comme le fait valoir l’OFAS [intimé]. Partant, il n’y a pas lieu de s’écarter des considérations des premiers juges, selon lesquelles la démolition du bâtiment « E.__ » constitue un détournement du but du bâtiment qui entraîne une obligation de restitution à la charge de la recourante au sens de l’al. 1 des dispositions transitoires de la LAI.

 

Consid. 5.1
Dans une argumentation subsidiaire, la recourante allègue que si l’on devait « appliquer par analogie la jurisprudence sur l’art. 29 al. 1 LSu » – c’est-à-dire en définitive admettre son obligation de restituer -, il conviendrait alors d’examiner la question de l’existence d’un cas de rigueur conduisant à la réduction du montant à restituer (au sens de l’art. 29 al. 1, 3e phrase, LSu; consid. 3.2 supra). En conséquence, la Fondation A.__ reproche au Tribunal administratif fédéral de ne pas s’être posé cette question. Elle invoque un établissement manifestement inexact des faits, en ce qu’il a retenu que la subvention avait été allouée en 1999 pour la construction du centre résidentiel « E.__ », alors qu’elle devait en réalité seulement permettre la rénovation d’un ancien bâtiment existant afin d’en prolonger l’utilisation pour quelques années. Elle se prévaut également de « moyens de preuve nouveaux » devant être pris en considération pour établir l’existence d’un cas de rigueur.

Consid. 5.2
Contrairement à ce que soutient l’OFAS, l’argumentation subsidiaire de la recourante et la conclusion qu’elle en tire – à savoir, le renvoi de la cause au Tribunal administratif fédéral, subsidiairement à l’OFAS, pour complément d’instruction et nouvelle décision quant à l’existence d’un cas de rigueurs excessives au sens de l’art. 29 al. 1, 3e phrase, LSu) – ne sont pas irrecevables (art. 99 al. 2 LTF). La requête fondée sur l’art. 29 al. 1, 3e phrase, LSu tendant à la réduction du montant à restituer (pour cause de cas de rigueurs excessives), présentée pour la première fois par la recourante dans le cadre du recours en matière de droit public, est admissible, même si la question de la réduction pour ce motif n’a fait l’objet ni de la décision administrative ni du jugement de l’autorité judiciaire précédente. Comme le fait valoir à juste titre la Fondation A.__, l’existence d’un cas de rigueurs excessives susceptible de justifier la réduction du montant de la subvention à restituer constitue un aspect du rapport juridique qui fait l’objet de la procédure, soit l’obligation de la recourante de restituer à l’assurance-invalidité une partie de la subvention qu’elle lui avait octroyée. La question de la réduction pour le motif invoqué constitue un nouvel argument juridique dans les limites de l’objet du litige (supra consid. 2), qui est dans tous les cas admissible lorsque la requête en réduction se fonde sur des faits résultant du dossier (cf. ATF 136 V 362 consid. 4.1 et les arrêts cités).

Consid. 5.3
En ce qui concerne la possibilité d’une réduction du montant à restituer en raison de l’existence d’un cas de rigueur en matière de subvention accordée par l’assurance-invalidité au sens de l’ancien art. 73 LAI, le Tribunal fédéral a appliqué l’art. 29 al. 1, 3e phrase, LSu dans une situation relevant de l’ancien art. 104bis al. 1 RAI (arrêt I 977/06 du 2 avril 2008), comme le fait valoir la recourante. Or pas plus que cette ancienne disposition réglementaire, les dispositions transitoires de la LAI ne règlent la question d’une éventuelle réduction du montant à restituer en cas de rigueurs excessives. Ces normes ne prévoient donc pas une éventualité qui s’écarterait des dispositions de la LSu, de sorte que les art. 11 à 40 LSu sont applicables en l’occurrence, la subvention dont la restitution en cause faisant partie des aides financières et indemnités prévues par le droit fédéral (cf. art. 2 al. 2 LSu; supra consid. 3). Dans ce contexte, l’art. 29 al. 1, 3e phrase, LSu est donc applicable. Quoi qu’en dise l’OFAS [intimé], il n’y a pas lieu de s’écarter de cette solution, déjà admise sous l’ancien droit. C’est en vain que l’autorité de surveillance invoque à cet égard le principe de la lex specialis et de la lex posterior, puisqu’il ne met pas en évidence que les dispositions transitoires de la LAI seraient contraires à l’art. 29 al. 1 LSu; le seul fait qu’elles ne prévoient pas l’éventualité de la réduction pour cas de rigueur ne relève pas d’une contradiction avec la possibilité prévue sur ce point par l’art. 29 al. 1, 3e phrase, LSu. L’OFAS [intimé] n’allègue pas non plus de motif qui justifierait que le Tribunal fédéral s’écarte de la solution découlant de l’arrêt I 977/06 cité.

Consid. 5.4
Il n’appartient cependant pas au Tribunal fédéral de se prononcer pour la première fois sur l’application concrète de la disposition en cause à la situation de la recourante. Il convient bien plutôt de renvoyer la cause à l’OFAS afin qu’il examine la question de l’existence d’un cas de rigueur au sens de l’art. 29 al. 1, 3e phrase, LSu, puis rende une nouvelle décision. A cet égard, on précisera que la correction du montant à restituer opérée par les premiers juges (330’926 fr. 40 en lieu et place du montant de 327’479 fr. fixé par l’intimé), qui n’est pas contestée par la recourante, ne prête pas le flanc à la critique (soit 17 [années d’utilisation conforme] x 4% [correspondant à la diminution du montant à rembourser par année d’utilisation conforme selon l’al. 2 des dispositions transitoires de la LAI] = 68%; 1’034’145 fr. x 32% = 330’926 fr. 40). Dans ces circonstances, il est superflu d’examiner les autres griefs soulevés par la recourante, en particulier son argumentation portant sur la production de moyens de preuve nouveaux (art. 99 al. 1 LTF) pour établir l’existence d’un cas de rigueur. La conclusion subsidiaire de la recourante est bien fondée.

 

Le TF admet partiellement le recours de la Fondation.

 

Arrêt 9C_458/2022 consultable ici

 

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