Arrêt du Tribunal fédéral 9C_298/2022 (f) du 26.07.2023
Détermination du revenu sans invalidité d’un manager – Examen de la prise en compte d’un bonus (« variable bonus component ») / 16 LPGA
Assuré, en dernier lieu en tant que « Manager Risk Assurance, (…) » de novembre 2013 à juillet 2015. A la suite d’un arrêt de travail depuis le mois d’octobre 2014 (qui a donné lieu au versement d’indemnités de l’assureur perte de gain en cas de maladie de l’employeur), l’assuré a déposé en août 2015 une demande de prestations de l’assurance-invalidité, en invoquant notamment une très importante fatigabilité, ainsi que des troubles neuropsychologiques apparus en lien avec un accident de la circulation survenu en novembre 2009.
Expertise pluridisciplinaire : les experts ont conclu à une capacité résiduelle de travail de 50% dans l’activité habituelle et dans une activité adaptée, depuis le 08.10.2014 (appréciation consensuelle du spécialiste en médecine interne générale, du spécialiste en psychiatrie et psychothérapie et du spécialiste en médecine interne générale). L’office AI a, par décision du 09.07.2021, reconnu le droit de l’assuré à trois quarts de rente depuis le 01.02.2016.
Procédure cantonale (arrêt AI 290/21 – 150/2022 – consultable ici)
Dans le cadre de la comparaison des revenus, la juridiction a retenu que les perspectives de développement de carrière évoquées par l’assuré en relation avec l’expertise privée qu’il avait produite ne pouvaient pas être prises en considération pour déterminer le revenu sans invalidité. Elles reposaient en effet sur de simples hypothèses qui n’étaient pas étayées par des éléments concrets. De plus, les juges cantonaux n’ont pas tenu compte d’un bonus de 16’800 fr., ainsi que d’une somme forfaitaire de 6’000 fr., mentionnés dans une lettre de promotion adressée à l’assuré par son dernier employeur en juin 2014. Si ces éléments figuraient certes sur ce courrier, ainsi que sur le certificat de prévoyance, rien ne permettait d’affirmer que l’assuré percevait concrètement ces montants. En effet, ni le questionnaire de l’employeur rempli à la demande de l’office AI, ni l’extrait du compte individuel de l’assuré, pas plus que les calculs effectués par l’assureur perte de gain en cas de maladie ne faisaient état de ces montants supplémentaires en sus du salaire annuel de 120’300 fr.
Par jugement du 16.05.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.
TF
Consid. 1.2
En ce qui concerne la comparaison des revenus (art. 16 LPGA), la constatation des deux revenus hypothétiques à comparer est une question de fait, dans la mesure où elle repose sur une appréciation concrète des preuves; il s’agit en revanche d’une question de droit si elle se fonde sur l’expérience générale de la vie (ATF 137 V 64 consid. 1.2; arrêt 9C_835/2019 du 20 octobre 2020 consid. 5.1).
Consid. 4.2.2
On rappellera qu’en ce qui concerne le revenu sans invalidité, est déterminant le salaire qu’aurait effectivement réalisé l’assuré sans atteinte à la santé, selon le degré de la vraisemblance prépondérante. En règle générale, on se fonde sur le dernier salaire réalisé avant l’atteinte à la santé, compte tenu de l’évolution des circonstances à l’époque où est né le droit à la rente (ATF 139 V 28 consid. 3.3.2; arrêt 9C_271/2022 du 28 novembre 2022 consid. 3.3.1).
Consid. 4.2.3
En n’incluant pas le montant de 16’800 fr. (« target bonus ») mentionné dans la lettre de promotion de l’ancien employeur de l’assuré datée de juin 2014, dans le revenu sans invalidité, la cour cantonale a procédé à une constatation manifestement inexacte des faits. Il ressort en effet de cette lettre que l’assuré a été promu à la fonction de « Manager » à partir du 1er juillet 2014 avec un salaire annuel de 120’300 fr. assorti d’une somme de 16’800 fr. comme « variable bonus component », l’objectif final de salaire étant de 137’100 fr. Si le bonus cible constituait certes un montant variable en fonction des performances du collaborateur et de l’entreprise, selon les indications données en cours de procédure par l’ancien employeur, la société a non seulement annoncé un salaire annuel de 137’100 fr. à la caisse de pension, mais elle a également indiqué, dans le questionnaire de l’employeur du 22 septembre 2015, une « Gratifikation » pour l’année 2014. Il en découle que l’ancien employeur entendait concrètement verser un bonus à l’assuré, qui a apparemment perçu un montant s’ajoutant à son salaire de base à titre de gratification. Celle-ci correspondait sans doute aux mois de juillet à septembre 2014, l’incapacité de travail, qui a débuté à partir d’octobre 2014, expliquant que l’employeur n’a plus indiqué de gratification pour l’année 2015. Celui-ci a par ailleurs confirmé au cours de la procédure administrative que le principe du salaire assorti d’un bonus cible était resté le même dans l’entreprise. L’extrait du compte individuel de l’assuré pour l’année 2014 n’est par ailleurs pas déterminant à cet égard, puisque le revenu inscrit ne correspond pas à une année complète sans atteinte à la santé, des indemnités de l’assureur perte de gain en cas de maladie, qui ne sont pas soumises à l’AVS (cf. art. 6 al. 2 let. b RAVS), ayant été versées à l’assuré.
Dans ces circonstances, l’appréciation de la juridiction cantonale selon laquelle le dossier ne comprenait pas d’éléments suffisants pour admettre que l’assuré percevait concrètement un bonus ne peut être suivie, puisqu’elle ne repose pas sur l’ensemble des indications de l’ancien employeur quant au nouveau salaire de l’assuré à partir du 1er juillet 2014, qui doivent être prises en considération en tenant compte de la survenance de l’incapacité de travail dès octobre 2014. Par conséquent, on peut admettre, au degré de la vraisemblance prépondérante, que l’employeur aurait versé le bonus cible à l’assuré en l’absence d’invalidité, dès lors aussi qu’il avait déclaré le nouveau salaire (y compris le « target bonus », soit un total de 137’100 fr.) de son employé à sa caisse de pension.
Consid. 4.3
En tenant compte d’un revenu sans invalidité de 137’100 fr. et d’un revenu avec invalidité de 40’670 fr. tel que retenu par la juridiction cantonale, le degré d’invalidité de l’assuré s’élève à 70% (70,33%). Il ouvre ainsi un droit à une rente entière d’invalidité (art. 28 al. 2 LAI) depuis le 1er février 2016, étant précisé que le début du droit à la rente n’est pas contesté.
Au vu de ce résultat, il n’y a pas lieu d’examiner ni le grief de l’assuré relatif à l’inclusion de la somme forfaitaire de 6’000 fr. dans le revenu sans invalidité, ni celui consistant à critiquer le « revenu d’invalide trop élevé ».
Consid. 5
Ensuite de ce qui précède, la conclusion de l’assuré visant à l’octroi d’une rente entière d’invalidité à compter du 1er février 2016 est bien fondée. L’arrêt attaqué doit être réformé en ce sens.
Le TF admet le recours de l’assuré.
Arrêt 9C_298/2022 consultable ici