8C_699/2022 (f) du 15.06.2023 – Remboursement d’indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) en lien avec la pandémie de Covid-19 – 31 LACI – 25 al. 1 LPGA / Perte de travail suffisamment contrôlable – 46b OACI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_699/2022 (f) du 15.06.2023

 

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Restitution d’indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) en lien avec la pandémie de Covid-19 / 31 LACI – 25 al. 1 LPGA

Perte de travail suffisamment contrôlable / 46b OACI

Principe de la proportionnalité / 5 al. 2 Cst.

 

Les 15.12.2020 et 16.12.2020, le Secrétariat d’État à l’économie (SECO) a effectué auprès de A.__ SA un contrôle portant sur les indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) – en lien avec la pandémie de Covid-19 – perçues par cette entreprise en faveur de ses employés entre mars 2020 et septembre 2020.

Par décision, confirmée sur opposition, le SECO a demandé à A.__ SA de rembourser à la Caisse cantonale de chômage du canton de Vaud (ci-après: la caisse de chômage) un montant de 388’202 fr. 25, correspondant à des indemnités en cas de RHT versées à tort pour la période de mars 2020 à août 2020.

 

Procédure cantonale (arrêt B-4559/2021 – consultable ici)

Les juges du Tribunal administratif fédéral ont retenu que le plan de la société A.__ SA relatif à la réduction du temps de travail (ci-après: le plan) prévoyait, de manière globale pour chaque semaine, le pourcentage du temps de travail habituel (20% dès le 18.03.2020 puis 10% dès le 01.04.2020) que chacun des collaborateurs était appelé à respecter. La société A.__ SA n’avait toutefois instauré aucun contrôle des heures effectivement effectuées par les employés. Une telle manière de faire ne respectait pas la jurisprudence relative à l’art. 46b al. 1 OACI, qui exigeait en particulier que les heures travaillées soient relevées au moins quotidiennement par l’employé lui-même ou par son supérieur. Un rapport établi pour la société A.__ SA par une fiduciaire indiquait d’ailleurs qu’il était « certain que [la société A.__ SA] ne dispos[ait] pas d’un pointage d’heures et que par conséquent, il [était] difficile de définir avec exactitude le nombre d’heures faites par les employés chaque jour ». En outre, il ressortait du rapport du SECO consécutif au contrôle des 15.12.2020 et 16.12.2020 qu’il n’y avait pas de contrôle du temps de travail fiable et précis au sein de l’entreprise. La brochure « Info-Service » du SECO, qui satisfaisait à l’obligation de renseigner prévue à l’art. 27 al. 1 LPGA, prévoyait le devoir d’instaurer un système de contrôle du temps de travail expressément destiné à « rendre compte quotidiennement des heures de travail fournies ». Par ailleurs, quand bien même la société A.__ SA soutenait que certains collaborateurs auraient travaillé moins que ce qui était prévu par le plan et que cela n’aurait pas porté préjudice à l’État, il n’était pas possible d’être certain que le temps de travail planifié n’avait jamais été dépassé. Le fait que la société A.__ SA avait indiqué que ses employés n’effectuaient pas d’heures supplémentaires n’y changeait rien.

En définitive, la société A.__ SA n’apportait aucun élément propre à établir qu’elle avait effectué un contrôle des heures de travail conformément à ce qu’exigeait la jurisprudence. Ce n’était que dans le cadre d’une éventuelle demande de remise de l’obligation de restituer que la société A.__ SA – qui ne pouvait pas tirer avantage de sa méconnaissance du droit – pouvait se prévaloir de la protection de sa bonne foi. Même s’il était notoire que la pandémie de Covid-19 avait conduit à une baisse importante du nombre d’heures de travail des salariés actifs dans le secteur du voyage, rien ne permettait en l’espèce de déterminer avec précision l’ampleur de cette baisse. Seules des estimations ou des approximations auraient été envisageables, c’est-à-dire des procédés guère compatibles avec les exigences strictes posées par la réglementation en vigueur. La société A.__ SA ne pouvait rien tirer non plus du fait que son chiffre d’affaires avait subi une baisse considérable durant la période litigieuse, dès lors que le chiffre d’affaires n’était pas directement lié au nombre d’heures de travail et qu’il ne permettait pas de déterminer l’ampleur, à l’heure près, de la réduction de l’horaire de travail.

Par jugement du 20.10.2022, rejet du recours par le Tribunal administratif fédéral.

 

TF

Consid. 5.1.1
Les travailleurs dont la durée normale du travail est réduite ou l’activité suspendue ont droit à l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail lorsqu’ils remplissent les conditions décrites à l’art. 31 al. 1 let. a à d LACI. Selon l’art. 31 al. 3 let. a LACI, n’ont notamment pas droit à l’indemnité les travailleurs dont la réduction de l’horaire de travail ne peut pas être déterminée ou dont l’horaire de travail n’est pas suffisamment contrôlable. Aux termes de l’art. 46b OACI, la perte de travail n’est suffisamment contrôlable que si le temps de travail est contrôlé par l’entreprise (al. 1); l’employeur conserve les documents relatifs au contrôle du temps de travail pendant cinq ans (al. 2).

Consid. 5.1.2
Selon la jurisprudence, l’obligation de contrôle par l’employeur de la perte de travail résulte de la nature même de l’indemnité en cas de RHT: du moment que le facteur déterminant est la réduction de l’horaire de travail (cf. art. 31 al. 1 LACI) et que celle-ci se mesure nécessairement en proportion des heures normalement effectuées par les travailleurs (cf. art. 32 al. 1 let. b LACI), l’entreprise doit être en mesure d’établir, de manière précise et si possible indiscutable, à l’heure près, l’ampleur de la réduction donnant lieu à l’indemnisation pour chaque assuré bénéficiaire de l’indemnité. La perte de travail pour laquelle l’assuré fait valoir ses droits est ainsi réputée suffisamment contrôlable uniquement si les heures effectives de travail peuvent être contrôlées pour chaque jour: c’est la seule façon de garantir que les heures supplémentaires qui doivent être compensées pendant la période de décompte soient prises en considération dans le calcul de la perte de travail mensuelle. A cet égard, les heures de travail ne doivent pas nécessairement être enregistrées mécaniquement ou électroniquement. Une présentation suffisamment détaillée et un relevé quotidien en temps réel des heures de travail au moment où elles sont effectivement accomplies sont toutefois exigés. De telles données ne peuvent pas être remplacées par des documents élaborés par après. En effet, l’établissement a posteriori d’horaires de travail ou la présentation de documents signés après coup par les salariés contenant les heures de travail effectuées n’ont pas la même valeur qu’un enregistrement simultané du temps de travail et ne satisfont pas au critère d’un horaire suffisamment contrôlable au sens de l’art. 31 al. 3 let. a LACI. Cette disposition vise à garantir que les pertes d’emploi soient effectivement vérifiables à tout moment pour les organes de contrôle de l’assurance chômage. Il s’agit d’une situation similaire à l’obligation de tenir une comptabilité commerciale (cf. art. 957 CO) (arrêts 8C_681/2021 du 23 février 2022 consid. 3.3 et 3.4; 8C_26/2015 du 5 janvier 2016 consid. 2.3 et les références citées).

Consid. 5.1.3
Selon l’art. 25 al. 1, première phrase, LPGA, auquel renvoie l’art. 95 al. 1 LACI, les prestations indûment touchées doivent être restituées. L’obligation de restituer suppose que soient réunies les conditions d’une reconsidération (caractère sans nul doute erroné de la décision et importance notable de la rectification) ou d’une révision procédurale de la décision par laquelle les prestations en cause ont été allouées (ATF 142 V 259 consid. 3.2; 138 V 426 consid. 5.2.1; 130 V 318 consid. 5.2).

 

Consid. 5.2.1
En l’espèce,
la société A.__ SA a exposé devant le Tribunal administratif fédéral que ses employés avaient en temps normal un horaire de travail fixe de 9h00 à 12h00 et de 13h00 à 18h00. Elle tenait à jour un planning des vacances et des absences de chaque collaborateur. A compter du 18.03.2020, elle avait établi un plan précis prévoyant le nombre d’heures à effectuer chaque jour par les employés.

Consid. 5.2.4
Selon les faits constatés par le TAF, la société A.__ SA s’est limitée, à partir du 18.03.2020, à adopter un plan de travail prévoyant le pourcentage de temps de travail (20% puis 10%), de manière globale et pour chaque semaine, attendu de chaque employé. Elle n’a toutefois procédé à aucun contrôle des heures de travail effectivement accomplies. Elle reconnaît du reste ne pas avoir introduit de système de contrôle du temps de travail. Or, quoi qu’elle en dise, un relevé quotidien et en temps réel des heures de travail effectivement effectuées est exigé aux fins de percevoir des indemnités en cas de RHT, pour permettre d’établir à l’heure près l’ampleur de la réduction du temps de travail. La simple estimation du temps de travail à accomplir, de surcroît de manière globale, sans aucun contrôle ni aucune correction a posteriori, s’avère insuffisante au regard de la jurisprudence. S’agissant de la baisse du chiffre d’affaires, c’est à juste titre que le Tribunal administratif fédéral a souligné qu’elle ne permettait pas de déterminer l’ampleur, à l’heure près, de la réduction de l’horaire de travail. Les « nombreux remboursements de voyages » ainsi que les problèmes en lien avec les « prestations payées par avance » évoqués par la société A.__ SA ont d’ailleurs occasionné une certaine charge de travail. On ajoutera, dans le même sens que les juges du TAF, que les indemnités en cas de RHT n’ont pas pour vocation d’assurer la pérennité de l’entreprise ou de couvrir des baisses du chiffre d’affaires ou des pertes d’exploitation (ATF 147 V 359 consid. 4.6.3).

 

 

Consid. 6.1
Consacré à l’art. 5 al. 2 Cst., le principe de la proportionnalité, dont la violation peut être invoquée de manière indépendante dans un recours en matière de droit public (cf. art. 95 al. 1 let. a LTF; ATF 148 II 475 consid. 5; 141 I 1 consid. 5.3.2; 140 I 257 consid. 6.3.1) commande que la mesure étatique soit nécessaire et apte à atteindre le but prévu et qu’elle soit raisonnable pour la personne concernée (ATF 141 I 1 consid. 5.3.2; 140 I 257 consid. 6.3.1; 140 II 194 consid. 5.8.2).

Consid. 6.2
Amené à se prononcer sur le grief tiré d’une violation du principe de la proportionnalité, le Tribunal administratif fédéral a retenu que la jurisprudence n’exigeait pas la mise en place d’un système de contrôle complexe des heures de travail; des relevés manuscrits par les employés eux-mêmes étaient suffisants, pour autant qu’ils soient quotidiens et qu’ils ne puissent pas être modifiés par la suite. Une telle contrainte n’était pas disproportionnée. En outre, dès lors que seules les heures de travail dont la perte était suffisamment contrôlable donnaient droit à des indemnités en cas de RHT, l’absence de tout contrôle avait pour conséquence qu’aucune des heures de travail perdues ne pouvait donner droit à des indemnités. Ainsi, le principe de la proportionnalité ne permettait pas à la société A.__ SA de se fonder uniquement sur des estimations du temps de travail effectif pour justifier un remboursement seulement partiel des prestations perçues. Le principe de la proportionnalité ne permettait pas non plus de tenir compte de circonstances dont la prise en considération n’était pas prévue par la réglementation, telles que l’absence d’avertissement préalable adressé à la société A.__ SA, la reconnaissance par celle-ci d’une partie de son obligation de restituer ou sa bonne foi. Par ailleurs, la société A.__ SA n’avait fourni aucun élément justifiant l’absence d’un système de contrôle adéquat ou établissant qu’un tel système aurait été superflu. Rien n’indiquait que la pandémie de Covid-19 était à l’origine de problèmes particuliers en lien avec le contrôle du temps de travail. C’était ainsi à tort que la société A.__ SA soutenait que la décision attaquée était une mesure excessive, inutile, injuste et donc disproportionnée.

Consid. 6.4
Comme souligné par les juges du TAF, les art. 31 al. 3 let. a LACI et 46b al. 1 OACI ainsi que la jurisprudence y relative ne laissent guère de place au pouvoir d’appréciation de l’autorité d’application du droit, de sorte que la portée du principe de la proportionnalité dans la mise en oeuvre de ces dispositions apparaît d’emblée restreinte. Dès le moment où l’horaire de travail n’est – comme en l’espèce – pas considéré comme suffisamment contrôlable sur une période donnée, l’octroi d’indemnités même partielles n’entre en principe pas en ligne de compte. Les juges du TAF ont par ailleurs relevé à juste titre que rien n’aurait empêché la société A.__ SA de mettre en place un système de contrôle des heures de travail effectivement effectuées. On ne voit pas en quoi la pandémie de Covid-19 aurait constitué un obstacle à l’instauration d’un tel système, qui pouvait se limiter à un simple relevé quotidien des heures de travail par les employés eux-mêmes. La société A.__ SA ne conteste d’ailleurs pas qu’un tel système était possible, puisqu’elle indique qu’un relevé d’heures plus détaillé (que le plan hebdomadaire relatif à la réduction de l’horaire de travail) n’aurait fait que confirmer les horaires effectivement effectués par les employés. L’arrêt entrepris échappe ainsi à la critique et le recours doit être rejeté.

 

Le TF rejette le recours de la société A.__ SA.

 

Arrêt 8C_699/2022 consultable ici

 

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