8C_156/2022 (d) du 29.06.2022 – Revenu d’invalide selon ESS – un assuré titulaire d’un CFC ne justifie pas automatique le niveau de compétences 2 de la ligne Total – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_156/2022 (d) du 29.06.2022

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Revenu d’invalide selon ESS – un assuré titulaire d’un CFC ne justifie pas automatique le niveau de compétences 2 de la ligne Total / 16 LPGA

 

Assuré, né en 1966, installateur sanitaire, s’est blessé au genou gauche les 28.01.1989 et 19.02.1989, subissant une rupture du LCA. Plusieurs interventions chirurgicales ont eu lieu jusqu’en 1991. En novembre 2009, une première rechute a été annoncée à l’assurance-accidents et a donné lieu à un traitement conservateur.

Une nouvelle rechute est annoncée le 14.11.2018. Les 18.12.2018 et 05.05.2020, l’assuré a été opéré du genou gauche. Par décision du 21.10.2020, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a octroyé à l’assuré une rente d’invalidité à compter du 01.10.2020 fondée sur un taux d’invalidité de 20% et une IPAI de 25%.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 31.01.2022, admission partielle du recours par le tribunal cantonal concernant l’IPAI (renvoi à l’assurance-accidents) et a rejeté le recours pour le surplus.

 

TF

Consid. 6.1
Lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ATF 148 V 174 consid. 6.2 ; 143 V 295 consid. 2.2). En règle générale, la ligne Total est appliquée. Dans la pratique, la comparaison des revenus effectuée à l’aide de l’ESS doit se baser sur le groupe de tableaux A (salaires bruts standardisés), en se référant généralement au tableau TA1_tirage_skill_level, secteur privé. Ce principe n’est toutefois pas absolu, mais connaît des exceptions.

Conformément à la jurisprudence, il peut être tout à fait justifié de se baser sur le tableau TA7 ou T17 (à partir de 2012) si cela permet de fixer plus précisément le revenu d’invalide et si le secteur public est également ouvert à la personne assurée. Lors de l’utilisation des salaires bruts standardisés, il convient, selon la jurisprudence, de partir à chaque fois de la valeur dite centrale (médiane) (ATF 148 V 174 consid. 6.2 ; 126 V 75 consid. 3b/bb). Cet arrêt s’applique également au domaine de l’assurance-accidents (arrêt 8C_541/2021 du 18 mai 2022 consid. 5.2.1).

L’application correcte des données statistiques de l’ESS, notamment le choix de la table et du niveau de compétences applicable, est une question de droit que le Tribunal fédéral peut examiner librement, sans limitation de son pouvoir de cognition (ATF 143 V 295 consid. 2.4).

Consid. 6.2
Si le revenu d’invalide est déterminé sur la base de données statistiques, comme notamment l’ESS, la valeur de départ ainsi fixée doit, selon la jurisprudence actuelle, être éventuellement réduite. Il s’agit ainsi de tenir compte du fait que des caractéristiques personnelles et professionnelles telles que les limitations liées au handicap, l’âge, les années de service, la nationalité ou la catégorie d’autorisation de séjour et le taux d’occupation peuvent avoir des répercussions sur le montant du salaire et que, selon les caractéristiques, la personne assurée ne peut mettre en valeur sa capacité résiduelle de travail sur le marché du travail équilibré qu’avec un résultat économique inférieur à la moyenne. Une telle déduction ne doit pas être opérée automatiquement. Elle doit être évaluée globalement, en tenant compte des circonstances du cas d’espèce et selon une appréciation conforme au devoir, et ne doit pas dépasser 25%. La jurisprudence actuelle accorde notamment un abattement sur le revenu d’invalide lorsqu’une personne assurée est limitée dans ses capacités, même dans le cadre d’une activité non qualifiée physiquement légère. D’éventuelles limitations liées à la santé déjà comprises dans l’évaluation médicale de la capacité de travail ne doivent pas être prises en compte une seconde fois dans l’appréciation de l’abattement, conduisant sinon à une double prise en compte du même facteur (ATF 148 V 174 consid. 6.3 ; 146 V 16 consid. 4.1).

Sur le plan procédural, le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral ; en revanche, l’étendue de l’abattement sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit si elle a commis un excès positif («Ermessensüberschreitung») ou négatif («Ermessensunterschreitung») de son pouvoir d’appréciation ou en a abusé («Ermessensmissbrauch»)

 

Consid. 7.1
L’instance cantonale a considéré que l’assurance-accidents s’était basée sur la valeur centrale (médiane) des salaires mensuels bruts de la main-d’œuvre masculine dans le secteur privé pour des activités de niveau de compétences 2 selon le tableau TA1 de l’ESS 2018, total de toutes les branches économiques, soit CHF 5’649. Elle a converti ce salaire, basé sur une semaine de 40 heures, en un temps de travail hebdomadaire moyen de 41,7 heures et l’a adapté à l’indexation jusqu’en 2020. Elle a en outre procédé à un abattement de 10% en raison des limitations fonctionnelles. Sur l’année (x 12) et en tenant compte du taux d’activité exigible de 100%, le revenu d’invalide a été fixé à CHF 64’688. Le niveau de compétences 1, le plus bas, comprend des « tâches physiques ou manuelles simples », le niveau 2, immédiatement supérieur, des « tâches pratiques telles que la vente/les soins/le traitement de données et les tâches administratives/l’utilisation de machines et d’appareils électroniques/les services de sécurité/la conduite de véhicules ». L’assuré possède un CFC d’installateur sanitaire et d’une longue expérience dans ce métier. Certes, il ne peut plus l’exercer en raison de son état de santé. On ne comprend toutefois pas pourquoi, en tant que professionnel expérimenté, il ne pourrait pas exercer les activités pratiques décrites dans le niveau de compétence 2. Pour ce large éventail d’activités entrant en ligne de compte, il n’est pas nécessaire d’avoir des capacités et des connaissances particulières ou une formation complémentaire, ni d’avoir exercé des activités dans l’administration ou dans des fonctions de direction ou de formation. Ensuite, le fait d’avoir obtenu un CFC justifierait tout à fait la conclusion de ressources intellectuelles supérieures à celles d’une personne qui, faute de formation professionnelle, n’entrerait en ligne de compte que pour des activités simples au sens du niveau de compétences 1. De plus, les limitations dues à l’accident ne sont pas telles que l’assuré ne puisse pas exercer les activités pratiques du niveau de compétences 2.

Consid. 7.2
Si, après la survenance de l’invalidité, la personne assurée ne peut pas exercer son activité professionnelle habituelle, l’utilisation du niveau de compétences 2 de l’ESS ne se justifie, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, que si elle dispose de compétences et de connaissances particulières (cf. entre autres : arrêts 8C_250/2021 du 31 mars 2022 consid. 4.2.1 et les références ; 8C_276/2021 du 2 novembre 2021 consid. 5.4.1 et les références).

Consid. 7.3
Le 18 juillet 2019, l’assuré a indiqué à l’assurance-accidents qu’il avait achevé avec succès son apprentissage de trois ans d’installateur sanitaire. Après avoir travaillé quelques années dans cette profession pour différentes entreprises, il serait entré en 1993 dans celle de son frère. Hormis la rédaction de ses rapports et de quelques commandes, il n’a effectué aucun travail administratif. Il n’aurait travaillé que manuellement en tant qu’installateur sanitaire. Ces informations ne sont pas remises en cause par les parties.

Les aptitudes et connaissances particulières exigées par la jurisprudence, qui justifieraient l’application du niveau de compétences 2 de l’ESS, ne sont donc pas démontrées. Le fait que l’assuré ait par exemple une expérience de direction ou qu’il ait exercé avec succès une activité indépendante, ce qui plaiderait en faveur de l’application du niveau de compétences 2, n’est pas établi (cf. arrêt 8C_737/2020 du 23 juillet 2021 consid. 5.2 et la référence). On ne sait rien d’éventuelles formations continues supplémentaires ou d’autres qualifications particulières acquises durant l’exercice de la profession. Par conséquent, la longue expérience professionnelle de l’assuré ne saurait justifier à elle seule le classement dans le niveau de compétences 2 (arrêt 8C_728/2016 du 21 décembre 2016 consid. 3.3). Dans l’ensemble, il n’est pas suffisamment démontré qu’il serait en mesure de travailler de manière profitable dans différents domaines d’activité en dehors du métier d’installateur sanitaire qu’il a appris (cf. arrêt 8C_737/2020 du 23 juillet 2021 consid. 5.2).

Dans ces circonstances, il convient d’admettre avec l’assuré que l’instance cantonale a violé le droit fédéral en se basant sur le niveau de compétences 2 de l’ESS au lieu du niveau 1 pour déterminer son revenu d’invalide. Il se justifie au contraire de se fonder sur le niveau de compétence 1 de l’ESS.

 

Consid. 8
Selon le tableau TA1_tirage_skill_level de l’ESS 2018, valeur centrale des salaires mensuels bruts des hommes dans le domaine « Total » du secteur privé, niveau de compétence 1 (activités simples de nature physique ou artisanale), le revenu mensuel brut s’élevait à CHF 5’417 pour un temps de travail hebdomadaire de 40 heures. Avec un temps de travail habituel dans l’entreprise de 41,7 heures par semaine dans le « Total » (Office fédéral de la statistique, tableau T03.02.03.01.04.01, Temps de travail habituel dans l’entreprise par division économique, en heures par semaine) et adapté à l’évolution des salaires nominaux dans le secteur économique « Total » (en 2018, 101.5 points, 2020 103.2 points ; Office fédéral de la statistique, tableau T1.1.15, indice des salaires nominaux, hommes, 2016-2020), il en résulte pour l’année 2020 un revenu d’invalide de CHF 5’742 par mois ou de CHF 68’904 par an.

L’instance cantonale a appliqué sur ce salaire statistique un abattement de 10% en raison des limitations fonctionnelles, ce qui n’est pas contesté. Il en résulte un revenu d’invalide de CHF 62’014. La comparaison avec le revenu sans invalidité – non contesté – de CHF 81’341 en 2020 aboutit à un degré d’invalidité arrondi à 24% (pour l’arrondi, cf. ATF 130 V 121), resp. le droit à une rente d’invalidité correspondante.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_156/2022 consultable ici

 

 

Proposition de citation : 8C_156/2022 (d) du 29.06.2022, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2023/02/8c_156-2022)

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