9C_61/2021 (f) du 01.03.2022 – Personne assurée exerçant différentes activités à temps partiel et obligatoirement affilié à plusieurs institutions de prévoyance / Rente d’invalidité LPP et examen des différents rapports de travail

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_61/2021 (f) du 01.03.2022

 

Consultable ici

Cf. également demande de révision 9F_4/2022, 9F_5/2022

 

Personne assurée exerçant différentes activités à temps partiel et obligatoirement affilié à plusieurs institutions de prévoyance / Rente d’invalidité LPP et examen des différents rapports de travail

Aggravation de l’état de santé et augmentation de l’invalidité à un moment où l’assuré n’est plus affilié à l’IP / 23 LPP

 

Assuré ayant exercé différentes activités professionnelles à temps partiel, notamment pour le compte de l’Ecole-Club B.__ (ci-après: l’Ecole-Club) à compter du 01.02.2012 et de l’institut C.__ Sàrl dès le 01.09.2012. Dans le cadre de ces emplois, il a été affilié depuis le 01.01.2013 pour la prévoyance professionnelle respectivement auprès de la Caisse de pensions Migros (ci-après: la CPM ou la Caisse de pensions) et de la Caisse Inter-Entreprises de Prévoyance Professionnelle (ci-après: la CIEPP). L’assuré a également travaillé en tant qu’avocat collaborateur à 60% auprès d’une étude d’avocats, du 01.02.2013 au 31.07.2013. A ce titre, il a été assuré pour la prévoyance professionnelle auprès d’AXA Fondation LPP Suisse romande, Winterthur (ci-après: AXA), à compter du 01.02.2013.

Depuis le 01.12.2014, l’assuré a bénéficié d’une rente de l’assurance-invalidité (d’abord une demi-rente, puis trois quarts de rente dès le 01.04.2017 et une rente entière à compter du 01.10.2018; décisions de l’office AI des 08.01.2016, 26.06.2018 et 18.01.2019). L’assuré a également perçu une rente entière d’invalidité de la prévoyance professionnelle d’AXA, dès le 01.04.2015 (d’un montant de 42’120 fr. par an), et de la CIEPP, depuis le 01.10.2018 (d’un montant de 34’848 fr. par an).

Entre-temps, le 21.03.2016, la CPM a refusé d’allouer des prestations d’invalidité de la prévoyance professionnelle à l’assuré, au motif que son atteinte à la santé n’influençait pas son activité auprès de l’Ecole-Club. Après que la Caisse de pensions a réitéré son refus de prestations le 04.09.2018, l’assuré a ouvert action, concluant à l’octroi d’une demi-rente d’invalidité du 01.12.2014 au 31.03.2017, puis d’une rente entière à compter du 01.04.2017, et à ce que le revenu assuré déterminant pour le calcul des prestations s’élève à 42’207 fr. 15. Par arrêt du 18.12.2018 (cause A/3049/2018), la juridiction cantonale a pris acte du retrait de la demande en paiement et rayé la cause du rôle. Les 29.01.2019 et 18.02.2019, l’assuré s’est à nouveau adressé à la CPM afin de solliciter le versement d’une rente entière d’invalidité depuis octobre 2018. Le 14.03.2019, la Caisse de pensions a nié toute obligation de prester, en expliquant que l’activité de l’intéressé auprès de l’Ecole-Club était devenue accessoire depuis le 01.01.2015.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1186/2020 – consultable ici)

Le 18.04.2019, l’assuré a ouvert action contre la Caisse de pensions devant le tribunal cantonal compétent.

La juridiction cantonale a d’abord constaté que A.__ avait été affilié à titre obligatoire auprès de la Caisse de pensions, à tout le moins du 01.01.2013 au 31.12.2014; pour les années suivantes, l’activité exercée auprès de l’Ecole-Club avait été de nature accessoire, de sorte qu’il n’était pas affilié à titre obligatoire, ni facultatif du reste, auprès de la Caisse de pensions à partir du 01.01.2015. Elle a ensuite retenu que l’incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité ayant fondé le droit de l’assuré à une rente de l’assurance-invalidité était survenue le 01.04.2013. Cette date était déterminante pour l’examen du droit aux prestations de la prévoyance professionnelle, dès lors que l’art. 29 al. 1 et 3 du règlement de prévoyance de la CPM reprenait la définition de l’invalidité de l’assurance-invalidité et qu’il n’était pas insoutenable, pour l’office AI, d’avoir retenu que la cause de l’incapacité de travail (à savoir un début de sclérose en plaques avec les troubles qui l’ont accompagné) était survenue le 01.04.2013. Après avoir admis que la double condition de la connexité matérielle et temporelle était remplie, et compte tenu du fait que l’assuré avait présenté un taux d’invalidité supérieur à 70% depuis le second semestre 2018, les juges cantonaux ont considéré que la CPM était en principe tenue de lui verser une rente entière d’invalidité dès le 01.02.2019, sous réserve d’une surindemnisation. Ils ont ensuite fixé le montant annuel de cette rente à 20’524 fr., en se fondant sur le salaire assuré au 01.01.2014 de 41’602 fr., conformément aux certificats de prévoyance de l’intimé (art. 18 al. 3 OPP 2 en relation avec l’art. 24 LPP). La juridiction de première instance a encore examiné s’il y avait surindemnisation pour l’année 2019, ce qu’elle a nié. Elle a finalement fixé le taux d’intérêt moratoire sur les rentes échues à 5%, faute de disposition réglementaire sur ce point, à partir du 23.04.2019. En conséquence, elle a admis la demande de l’assuré.

 

TF

Consid. 5.2
L’arrêt entrepris expose de manière complète les dispositions légales et les principes jurisprudentiels relatifs notamment à l’assurance obligatoire des salariés (art. 2 et 7 LPP) et aux catégories de salariés non soumises à l’assurance obligatoire (art. 1j OPP 2 en relation avec l’art. 2 al. 4 LPP), au droit à des prestations d’invalidité de la prévoyance professionnelle obligatoire (art. 23 LPP) et à la notion de survenance de l’incapacité de travail, en relation avec la double condition de la connexité matérielle et temporelle nécessaire pour fonder l’obligation de prester d’une institution de prévoyance (ATF 135 V 13 consid. 2.6; 134 V 20 consid. 3.2.1 et 5.3 et les références), ainsi qu’aux conditions dans lesquelles les décisions de l’assurance-invalidité lient l’institution de prévoyance compétente (ATF 144 V 72 consid. 4.1; 138 V 409 consid. 3.1 et les arrêts cités). Il rappelle également les règles applicables à l’obligation de verser des prestations d’invalidité lorsque l’assuré exerce plusieurs activités lucratives à temps partiel et est obligatoirement affilié à plusieurs institutions de prévoyance (ATF 144 V 72 consid. 5.3.4; 136 V 390 consid. 3 et 4; 129 V 132 consid. 4.3.3), ainsi qu’au calcul de ces prestations (art. 24 LPP et 18 OPP 2) et à la possibilité, pour l’institution de prévoyance, de réduire ses prestations afin d’éviter une surindemnisation de l’assuré (art. 34a LPP, art. 24 OPP 2). Il suffit d’y renvoyer.

 

Consid. 7.1
Conformément à l’art. 23 al. 1 LPP, ont droit à des prestations d’invalidité les personnes qui sont invalides à raison de 40% au moins au sens de l’AI, et qui étaient assurées lorsqu’est survenue l’incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité. Certes, comme le fait valoir l’assuré, la qualité d’assuré doit exister au moment de la survenance de l’incapacité de travail, mais pas nécessairement lors de l’apparition ou de l’aggravation de l’invalidité. Cette interprétation littérale est conforme au sens et au but de l’art. 23 LPP, lequel vise à faire bénéficier de l’assurance le salarié qui, après une maladie d’une certaine durée, devient invalide alors qu’il n’est plus partie à un contrat de travail (ATF 138 V 227 consid. 5.1; 136 V 65 consid. 3.1; 123 V 262 consid. 1a). Cela étant, on rappellera également que lorsqu’un assuré est obligatoirement affilié à plusieurs institutions de prévoyance sur la base de différentes activités à temps partiel et qu’il doit quitter un de ses emplois en raison d’une invalidité, seule la caisse de pensions de l’employeur avec lequel le rapport de travail s’est terminé à cause des empêchements rencontrés doit s’acquitter d’une rente entière d’invalidité, calculée sur le salaire perçu dans l’activité partielle abandonnée, les autres institutions de prévoyance n’ayant en revanche pas l’obligation de verser des prestations (ATF 136 V 390 consid. 3 et 4).

Dans l’ATF 129 V 132 consid. 4.3.3, le Tribunal fédéral a jugé que lorsqu’un assuré devient invalide à 50% et abandonne pour cette raison l’un de ses emplois, conservant l’autre au même taux que précédemment, l’institution de prévoyance de l’employeur restant peut être tenue à prestations en cas d’augmentation ultérieure de l’incapacité de travail pour les mêmes raisons de santé lorsque cette augmentation survient à un moment où l’intéressé est assuré auprès d’elle (et a une incidence sur les rapports de travail avec l’employeur concerné). Il résulte de cet arrêt que l’institution de prévoyance libérée de l’obligation de verser des prestations d’invalidité parce que l’incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’invalidité n’avait pas eu d’incidence sur les rapports de travail concernés, ne peut être tenue de verser des prestations, en cas d’aggravation ultérieure de l’invalidité pour les mêmes raisons de santé, qu’à la condition que la personne soit toujours assurée au moment où l’incapacité de travail alors déterminante – à savoir, l’augmentation de l’incapacité de travail dont la cause est à l’origine de l’aggravation de l’invalidité – est survenue. Par conséquent, en tant que la juridiction cantonale a retenu qu’il importait peu que l’incapacité de travail de l’intimé se fût ou non manifestée de manière défavorable dans le cadre des rapports de travail avec l’Ecole-Club, son raisonnement ne saurait être suivi.

Consid. 7.2
En l’espèce, selon les constatations cantonales, non contestées par les parties, l’assuré a été affilié à titre obligatoire auprès de la Caisse de pensions du 01.01.2013 au 31.12.2014, mais non plus postérieurement à cette date. De plus, l’aggravation de son état de santé, qui trouve sa cause dans la sclérose en plaques ayant occasionné une incapacité de travail en avril 2013, est survenue en 2018, soit à un moment où il n’était plus assuré auprès de la CPM. Dans ces circonstances, une obligation de prester de la CPM ne pourrait être reconnue que si l’incapacité de travail initiale avait eu une incidence sur l’emploi exercé par l’assuré pour le compte de l’Ecole-Club et pour lequel il était assuré auprès de la Caisse de pensions, conformément à l’art. 23 let. a LPP. A cet égard, l’assuré soutient que tel est le cas, puisqu’il aurait présenté une claire diminution de rendement dans l’activité déployée pour l’Ecole-Club, dès le début de sa maladie en avril 2013, à tel point que la CMP aurait, selon lui, été tenue de lui verser une rente d’invalidité de 50% dès la reconnaissance de son droit à une demi-rente d’invalidité de l’assurance-invalidité par décision du 08.01.2016.

L’argumentation de l’assuré ne peut pas être suivie. S’il a certes présenté des incapacités de travail pendant la période d’emploi pour le compte de l’Ecole-Club durant laquelle il était affilié auprès de la Caisse de pensions, celles-ci ont cependant été peu nombreuses, courtes et isolées (à savoir à 100% du 11.02.2013 au 15.02.2013, du 26.03.2013 au 04.04.2013 et du 30.05.2013 au 02.06.2013 et 100% du 09.07.2014 au 20.07.2014 et du 08.08.2014 au 20.08.2014). A cet égard, l’assuré se limite à indiquer que le dossier instruit par la juridiction cantonale démontre une diminution de sa capacité fonctionnelle et de rendement dans l’activité qu’il exerçait pour le compte de l’Ecole-Club, et à déduire de la modification de son contrat de travail avec cet employeur, le 23.11.2016, qu’il n’effectuait désormais plus de tâches d’enseignement, mais uniquement des tâches administratives. Ce faisant, il ne démontre pas qu’il aurait présenté une incapacité de travail durable dans le cadre de son emploi pour l’Ecole-Club dès le début de sa maladie en 2013, soit pendant la période d’affiliation auprès de la CPM. Si le fait qu’une personne réduise son taux d’activité peut, suivant les circonstances, constituer un indice important, en faveur d’une incapacité de travail au sens de l’art. 23 LPP, cette réduction du taux d’occupation doit être due à des raisons de santé et ne suffit pas, à elle seule, pour démontrer une diminution de la capacité de rendement. Cela vaut en particulier lorsqu’il existe des raisons concurrentes, telles que le souhait de disposer de davantage de temps pour certaines autres activités ou pour une formation continue (arrêts 9C_420/2015 du 26 janvier 2016 consid. 4.2.2; 9C_394/2012 du 18 juillet 2012 consid. 3.1.2 et les arrêts cités).

Or en l’espèce, outre qu’il ressort des constatations cantonales, non contestées par l’assuré, que la diminution du taux d’occupation pour l’Ecole-Club s’accompagne notamment d’une augmentation du taux d’occupation pour l’institut C.__, ainsi que du suivi d’une formation (LLM suivi à l’Université D.__ entre août 2013 et le printemps 2014), aucun des médecins consultés n’a fait état d’une incapacité de travail durable dans l’activité exercée pour le compte de l’Ecole-Club en 2013 ou 2014. Dans ce contexte, la juridiction cantonale a retenu que l’incapacité de travail dès avril 2013 avait été attestée « en temps réel » et s’était manifestée de manière défavorable dans le cadre des rapports de travail avec l’étude d’avocats; une constatation semblable en ce qui concerne les rapports de travail avec l’Ecole-Club fait défaut. Par ailleurs, l’assuré a présenté une capacité de travail correspondant en tout cas à la capacité de travail résiduelle de 50% dès le 01.04.2013 (puis de 40% dès janvier 2017) dans une activité adaptée, telle que celle de formateur pour l’Ecole-Club et l’institut C.__, retenue par les organes de l’assurance-invalidité.

Consid. 7.3
En définitive, dès lors que l’assuré n’a pas subi d’incapacité de travail déterminante dans son emploi pour le compte de l’Ecole-Club pendant la durée de son affiliation auprès de la Caisse de pensions au sens de l’art. 23 let. a LPP à la suite de l’atteinte à la santé qui s’est manifestée en 2013, la CPM ne saurait être tenue de prendre en charge l’aggravation de l’invalidité intervenue en 2018, soit à un moment où l’assuré ne lui était plus affilié. Aussi, la juridiction cantonale n’était-elle pas en droit de reconnaître l’obligation de la CPM de verser à l’assuré une rente de la prévoyance professionnelle dès le 01.02.2019, en lien avec l’aggravation de l’invalidité ultérieure. Le recours est bien fondé.

 

Le TF admet le recours de la Caisse de pensions.

 

Arrêt 9C_61/2021 consultable ici

Cf. également demande de révision 9F_4/2022, 9F_5/2022

 

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