8C_240/2021 (f) du 15.09.2021 – Clôture du cas (19 al. 1 LAA) – Pas de délai pour s’adapter aux nouvelles circonstances / Notion de marché du travail équilibré (16 LPGA) – Pas de prise en compte de la pandémie de Covid-19 dans l’évaluation du revenu d’invalide / Moment déterminant de l’examen du critère de l’âge

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_240/2021 (f) du 15.09.2021

 

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Clôture du cas (19 al. 1 LAA) – Pas de délai pour s’adapter aux nouvelles circonstances

Revenu d’invalide – Capacité de travail exigible / 16 LPGA

Notion de marché du travail équilibré – Pas de prise en compte de la pandémie de Covid-19 dans l’évaluation du revenu d’invalide

Moment déterminant de l’examen du critère de l’âge (critère nié en l’espèce)

 

Assuré, né en 1962, aide-concierge, chute à trottinette le 12.03.2017, subissant plusieurs fractures de la cheville droite, traitées conservativement. À compter du 01.02.2019, il a repris son travail d’aide-concierge à 50%.

Par courrier du 02.04.2020, l’assurance-accidents a informé l’assuré qu’elle allait mettre un terme au paiement des soins médicaux et de l’indemnité journalière avec effet au 01.05.2020. Par décision du 14.04.2020, confirmée sur opposition le 20.05.2020, elle lui a alloué une indemnité pour atteinte à l’intégrité fondée sur un taux de 15%; elle lui a en revanche refusé le droit à une rente d’invalidité, au motif qu’il n’existait pas de diminution notable de la capacité de gain due à l’accident.

 

Procédure cantonale

Selon les faits constatés par la cour cantonale, l’assuré dispose d’une pleine capacité de travail dans une activité adaptée, soit dans une activité lui permettant d’alterner les positions assise et debout, permettant des déplacements ponctuels sur terrain régulier, sans port de charge répété, sans port de charge lourde, sans utilisation d’échelle ou de travail sur les toits, sans déplacement en terrain instable, sans utilisation répétée d’escaliers, sans devoir s’agenouiller ou s’accroupir. L’activité d’aide-concierge, qu’il exerçait au moment de l’accident, n’est en revanche plus exigible à plein temps. Au vu de cette capacité de travail résiduelle, la cour cantonale a retenu que le changement d’activité lucrative était exigible et entrait dans le cadre de l’obligation faite à un assuré de diminuer son dommage, en soulignant que l’assuré avait déjà travaillé dans différents domaines, en particulier en tant qu’opérateur en horlogerie, soit dans une activité qui était adaptée à ses limitations fonctionnelles.

Par jugement du 23.02.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Clôture du cas – Délai pour s’adapter aux nouvelles circonstances (consid. 4.2)

S’agissant de la clôture du cas, l’assuré reproche à l’assurance-accidents de lui avoir signifié cette information du jour au lendemain et soutient que celle-ci aurait dû le prévenir qu’il devait rechercher un travail dans un domaine différent.

Cette critique n’est toutefois pas justifiée. En effet, on rappellera que la naissance du droit à la rente au sens de l’art. 19 al. 1 LAA correspond au moment à partir duquel l’assuré peut potentiellement prétendre à une rente d’invalidité, indépendamment de l’octroi effectif d’une telle rente.

Le Tribunal fédéral a récemment précisé à cet égard que dès lors que l’état de santé de l’assuré est stabilisé et qu’il y a en conséquence lieu d’examiner s’il a droit à une rente d’invalidité, l’assureur-accidents n’est pas tenu de lui impartir un délai pour s’adapter aux nouvelles circonstances et de continuer de lui verser les indemnités journalières pendant cette période; il doit clore le cas et mettre un terme au paiement de l’indemnité journalière (arrêt 8C_39/2020 du 19 juin 2020 consid. 3.2 et 4.3 et les références citées). C’est ainsi à bon droit que la cour cantonale a confirmé la décision de l’assurance-accidents mettant un terme au versement de l’indemnité journalière avec effet au 01.05.2020, sans accorder à l’assuré un délai d’adaptation.

 

Notion du marché du travail équilibré

Pour évaluer le taux d’invalidité, le revenu que l’assuré aurait pu obtenir s’il n’était pas devenu invalide est comparé avec celui qu’il pourrait obtenir en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA; méthode ordinaire de la comparaison des revenus). On relèvera à cet égard que la notion de marché du travail équilibré est une notion théorique et abstraite qui sert de critère de distinction entre les cas tombant sous le coup de l’assurance-chômage et ceux qui relèvent de l’assurance-invalidité; elle implique, d’une part, un certain équilibre entre l’offre et la demande de main d’œuvre et, d’autre part, un marché du travail structuré de telle sorte qu’il offre un éventail d’emplois diversifiés, tant au regard des exigences professionnelles et intellectuelles qu’au niveau des sollicitations physiques (arrêts 9C_597/2018 du 18 janvier 2019 consid. 5.2; 9C_326/2018 du 5 octobre 2018 consid. 6.1).

On ne saurait certes se fonder sur des possibilités de travail irréalistes, mais il ne faut pas non plus poser des exigences excessives à la concrétisation des possibilités de travail et des perspectives de gain; cet examen s’effectue de façon d’autant plus approfondie que le profil d’exigibilité est défini de manière restrictive (arrêt 8C_95/2020 du 14 mai 2020 consid. 5.2.2).

L’assuré conteste l’appréciation de la cour cantonale, en faisant valoir qu’au vu de la crise sanitaire liée à la pandémie du Covid-19, il serait illusoire d’affirmer qu’il pourrait réaliser un revenu de 65’000 fr. par année. Les entreprises horlogères, soit le domaine dans lequel il devrait travailler, n’engageraient plus de nouvel employé. Âgé de 58 ans, il n’aurait aucune perspective de se faire engager.

En tant que l’assuré se plaint que l’état de crise engendré par la pandémie de Covid-19 n’a pas été pris en compte dans l’évaluation du revenu d’invalide, il perd de vue que ce grief a déjà été traité et écarté de manière convaincante par les juges cantonaux. Ceux-ci ont en effet rappelé que la possibilité de retrouver un emploi doit être examinée au vu d’un marché du travail équilibré, qui est une notion théorique et abstraite excluant de tenir compte des fluctuations conjoncturelles. Admettre le contraire aboutirait à ce résultat qu’un assuré serait tantôt admis à bénéficier de la rente et tantôt ne le serait pas suivant que les offres d’emploi seraient peu nombreuses ou au contraire abondantes, si bien que les décisions des autorités administratives seraient dépourvues de tout fondement objectif. C’est ainsi à raison que la cour cantonale a conclu qu’il n’y avait pas lieu d’examiner si l’assuré pouvait être concrètement placé eu égard aux conditions concrètes du marché du travail, mais uniquement s’il pouvait encore exploiter économiquement sa capacité résiduelle de travail sur un marché où les places de travail disponibles correspondent à l’offre de la main d’œuvre.

Si la cour cantonale a certes mentionné, à titre d’exemple, l’emploi d’opérateur en horlogerie comme activité adaptée aux limitations fonctionnelles de l’assuré, le Tribunal fédéral rappelle que le marché du travail hypothétique – réputé équilibré – offre généralement un éventail suffisamment large d’activités accessibles aux assurés. Tel est notamment le cas dans le secteur des tâches physiques et manuelles simples, prises en compte par l’assurance-accidents, puis par la cour cantonale, pour déterminer le revenu d’invalide (ESS 2018; TA 1, niveau de compétence 1). A juste titre, l’assuré ne prétend pas que son profil d’exigibilité médicale serait formulé de manière tellement restrictive que cela nécessiterait un éclaircissement approfondi des possibilités d’emploi.

 

Moment déterminant de l’examen du critère de l’âge

Par ailleurs, bien qu’il s’agisse d’un facteur étranger à l’invalidité, l’âge (avancé) peut conduire avec d’autres éléments personnels ou professionnels à ce que la capacité résiduelle de travail ne soit plus requise de manière réaliste sur un marché du travail équilibré (ATF 138 V 457 consid. 3.1; arrêt 8C_55/2021 du 9 juin 2021 consid. 5.1). Le moment où la question de la mise en valeur de la capacité (résiduelle) de travail pour un assuré proche de l’âge de la retraite doit être examinée correspond au moment où il a été constaté que l’exercice (partiel) d’une activité lucrative était médicalement exigible (ATF 146 V 16 consid. 7.1; 145 V 2 consid. 5.3.1; 138 V 457 consid. 3 et les références citées).

S’agissant du facteur âge invoqué par l’assuré, même à supposer que ce facteur constitue un critère pertinent en matière d’assurance-accidents (cf. art. 28 al. 4 OLAA; arrêts 8C_597/2020 du 16 juin 2021 consid. 5.2.5; 8C_500/2020 du 9 décembre 2020 consid. 3.3.2.3), la juridiction cantonale a constaté à juste titre que l’assuré n’avait pas atteint le seuil à partir duquel le Tribunal fédéral reconnaît que ce facteur nécessite une approche particulière. En effet, au moment déterminant où l’examen final par le médecin d’arrondissement a eu lieu et où l’exigibilité a été déterminée (21.02.2020), l’assuré avait un peu plus de 57 ans. Il lui restait donc une durée d’activité de presque huit ans jusqu’à l’âge de la retraite. Partant, l’appréciation de la cour cantonale, selon laquelle un changement d’emploi est exigible de l’assuré pour diminuer son dommage, s’avère fondée.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_240/2021 consultable ici

 

 

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