8C_324/2018 (f) du 04.12.2018 – destiné à la publication – Couverture d’assurance-accidents d’un assuré placé à l’essai par l’office AI – 1a al. 1 LAA – 18a LAI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_324/2018 (f) du 04.12.2018, destiné à la publication

 

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Couverture d’assurance-accidents d’un assuré placé à l’essai par l’office AI – 1a al. 1 LAA – 18a LAI

 

A.__, né en 1961, chauffeur-livreur, a présenté une incapacité totale de travail depuis le 21.11.2013 en raison de lombosciatalgies. Suite au dépôt d’une demande de prestations de l’assurance-invalidité, l’office AI lui a accordé le 09.02.2016 une mesure d’orientation professionnelle du 01.03.2016 au 31.05.2016 sous la forme d’un stage d’aide-magasinier auprès de B.__ SA (devenue par la suite C.__ SA). Par décision datée du 09.06.2016, l’office AI a accordé à l’assuré un placement à l’essai de l’assuré dans cette société en qualité d’aide-magasinier du 01.06.2016 au 31.08.2016, assorti des indemnités journalières correspondantes pour la même période. La mesure a été reconduite pour trois mois supplémentaires.

Le 18.10.2016, l’assuré, alors qu’il était à son travail, est tombé d’une échelle d’une hauteur d’environ trois mètres. Il a subi une fracture de la vertèbre D11. L’assurance-invalidité a interrompu le versement des indemnités journalières au 18.10.2016.

Par décision du 26.01.2017, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents de la société C.__ SA a refusé de prendre en charge le cas. Elle a retenu que l’intéressé avait bénéficié de la couverture d’assurance LAA du 01.03.2016 au 31.05.2016 (soit durant la mesure d’orientation professionnelle) et que l’assurance avait cessé de déployer ses effets trente jours après la fin de cette mesure. Quant au placement à l’essai, il n’ouvrait pas un droit à la couverture d’assurance étant donné que A.__ n’était ni salarié de C.__ SA ni en stage auprès de celle-ci.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 97/17 – 24/2018 – consultable ici)

Par jugement du 15.03.2018, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

La question est de savoir si A.__ bénéficiait d’une couverture d’assurance LAA au moment où il a été victime d’un accident dans l’entreprise au sein de laquelle il était placé (placement à l’essai au sens de l’art. 18a LAI).

 

Assurés à titre obligatoire

Selon l’art. 1a al. 1 LAA, sont assurés à titre obligatoire conformément à la présente loi, les travailleurs occupés en Suisse, y compris les travailleurs à domicile, les apprentis, les stagiaires, les volontaires, ainsi que les personnes travaillant dans des écoles de métiers ou des ateliers protégés (let. a). Conformément à la délégation que lui confère l’art. 1a al. 2 LAA, le Conseil fédéral a étendu l’assurance obligatoire à certaines catégories de personnes (art. 1a OLAA), par exemple les personnes appartenant à une communauté religieuse ou les personnes détenues (sous certaines conditions) ou encore les personnes exerçant une activité chez un employeur aux fins de se préparer au choix d’une profession (voir à ce dernier propos : ATF 124 V 301).

Selon la jurisprudence, est réputé travailleur au sens de l’art. 1a al. 1 LAA celui qui, dans un but lucratif ou de formation et sans devoir supporter de risque économique propre, exécute durablement ou provisoirement un travail pour un employeur, auquel il est plus ou moins subordonné. Sont ainsi visées avant tout les personnes au bénéfice d’un contrat de travail au sens des art. 319 ss CO ou qui sont soumises à des rapports de service de droit public (ATF 141 V 313 consid. 2.1 p. 314; 115 V 55 consid. 2d p. 58 s.). Cependant, l’existence d’un contrat de travail ne constitue pas une condition pour la reconnaissance de la qualité de travailleur au sens de l’art. 1a al. 1 LAA. En l’absence d’un contrat de travail ou de rapports de service de droit public, la qualité de travailleur doit être déterminée à la lumière de l’ensemble des circonstances économiques du cas d’espèce. Dans cette appréciation, il convient de ne pas perdre de vue que la LAA, dans la perspective d’une couverture d’assurance la plus globale possible, inclut également des personnes qui, en l’absence de rémunération, ne peuvent pas être qualifiées de travailleurs tels que les volontaires ou les stagiaires. La notion de travailleur au sens de l’art. 1a LAA est par conséquent plus large que celle que l’on rencontre en droit du travail (ATF 141 V 313 consid. 2.1 p. 315 et les références; RIEMER-KAFKA/KADERLI, Kommentar zum schweizerischen Sozialversicherungsrecht, Bundesgesetz über die Unfallversicherung, [Hürzeler/Kieser éd.], 2018, n. 28 ss).

En application de ces principes, le Tribunal fédéral a jugé, par exemple, qu’une étudiante en médecine qui effectue un stage (« Einzeltutoriat ») dans un cabinet médical est obligatoirement assurée contre les accidents (ATF 141 V 313). Il en est allé de même d’une bénéficiaire de l’aide sociale qui était placée à l’essai et sans être rémunérée dans une entreprise de nettoyage (arrêt 8C_302/2017 du 18 août 2017 consid. 4.5). Est également assurée une personne occupée sur la base d’un volontariat dans une université pour un projet de recherche en Afrique, sans être au bénéfice d’un contrat de travail et sans qu’un salaire n’ait été convenu (arrêt 8C_183/2014 du 22 septembre 2014). Plus généralement, le Tribunal fédéral a également jugé que les personnes qui travaillent à l’essai sans recevoir de salaire chez un employeur sont assurées par ce dernier, dès lors que celui-ci a un intérêt économique à la prestation accomplie (SVR 2012 UV n° 9 p. 32 [8C_503/2011] consid. 3.5). Il a enfin été jugé qu’une adolescente de 15 ans, qui travaillait pendant ses loisirs dans un centre équestre et qui, pour seule contrepartie, avait le droit de monter à cheval, était obligatoirement assurée contre les accidents (ATF 115 V 55).

 

Placement à l’essai

Le placement à l’essai vise essentiellement à évaluer la capacité de travail réelle de l’assuré sur le marché primaire de l’emploi. Cette mesure vise à augmenter les chances de réinsertion pour de nombreux assurés. Elle concerne ceux d’entre eux qui sont aptes à la réadaptation et dont les capacités sont réduites pour raison de santé. Le placement s’inscrit dans un processus global de réadaptation sur le marché primaire de l’emploi. S’il débouche sur un contrat de travail, une allocation d’initiation au travail (art. 18b LAI) peut être accordée à l’entreprise (voir Michel Valterio, Commentaire de la Loi fédérale sur l’assurance-invalidité [LAI], 2018, p. 256 s.; voir aussi MEYER/REICHMUTH, Bundesgesetz über die Invalidenversicherung [IVG], 3ème éd. 2014, n. 1 ad art. 18b LAI).

Il n’y a pas de raison de traiter différemment, sous l’angle de l’assujettissement à l’assurance-accidents obligatoire, une mesure de placement à l’essai d’un stage ou d’un volontariat. Sous ce même angle, on ne voit pas ce qui justifierait une différence entre une orientation professionnelle (art. 15 LAI) sous la forme d’un essai au travail (durant lequel l’assuré est soumis à la LAA) et un placement à l’essai au sens de l’art. 18a LAI qui en était en l’espèce la continuation. Il existe d’autant moins de raison d’opérer une distinction que la mesure de placement à l’essai présente bon nombre de caractéristiques qui sont propres au contrat individuel de travail, comme cela ressort de l’énumération figurant à l’art. 18a al. 3 LAI. Si cette disposition ne mentionne pas les art. 324a à 324b CO comme applicables par analogie, c’est que le placement à l’essai est une mesure de réadaptation de l’assurance-invalidité régie par le droit public (cf. MEYER/REICHMUTH, op. cit., n. 1 ad art. 18a LAI). En outre, A.__ n’exerçait pas durant l’exécution de la mesure de placement une simple activité de complaisance. L’activité qu’il déployait constituait un véritable engagement pour lequel C.__ SA y trouvait un intérêt économique. Il participait au processus d’exploitation de cette société et était de ce fait soumis – preuve en est l’accident dont il a été victime – aux mêmes risques professionnels que les autres travailleurs de l’entreprise. Dans ces conditions, on doit admettre qu’il était obligatoirement assuré contre les accidents auprès de l’assurance-accidents de C.__ SA.

 

On ne peut pas déduire du message du Conseil fédéral relatif à la 6ème révision de l’assurance-invalidité, premier volet (FF 2010 1647, 1717), ainsi que la réponse du Conseil fédéral du 23 octobre 2017 à une interpellation (n o 14.3730) du conseiller national Pezzatti déposée le 17 septembre 2014 que le législateur entendait exclure de l’assurance les personnes au bénéfice d’un placement à l’essai. Bien au contraire, le Conseil fédéral a clairement indiqué dans son message que celles-ci seraient obligatoirement assurées pendant le placement à l’essai. Le fait que les modalités de cette obligation (prise en charge des primes) n’ont pas été concrétisées à ce jour par voie d’ordonnance ne saurait être décisif. En effet, toute autorité appelée à appliquer le droit se doit de respecter les principes de la primauté de la loi et de la hiérarchie des normes. Dans le cas particulier, c’est donc en premier lieu au regard de la loi et de la jurisprudence qui s’y rapporte qu’il convient de décider si une personne est ou non assurée. Or, comme on l’a vu, au regard de l’art. 1a LAA et de la jurisprudence susmentionnée, on doit admettre que A.__ était obligatoirement assuré contre les accidents. Une mention spéciale à l’art. 1a OLAA du placement à l’essai aurait eu pour seule conséquence de confirmer une situation juridique existante, sans valeur constitutive d’un assujettissement obligatoire. Enfin, une prise en charge des primes par l’assurance-invalidité n’est pas une condition de cet assujettissement.

 

Dans sa décision sur opposition, l’assurance-accidents a également invoqué la recommandation n o 01/2007 du 12 mars 2007 (révisée le 9 février 2009) de la Commission ad hoc des sinistres LAA. Selon cette recommandation, une intervention temporaire auprès d’un employeur sur le marché du travail primaire avec salaire AVS ou indemnités AI bénéficie d’une couverture LAA, à l’exception des essais de travail selon l’art. 18a LAI. Cette exclusion n’est visiblement que l’expression de l’avis exprimé par le Conseil fédéral dans son message précité sur la nécessité de prévoir une couverture d’assurance spécifique pour les personnes bénéficiant d’un placement à l’essai au sens de l’art. 18a LAI. Mais, comme on l’a vu, cette couverture existe déjà en vertu de la loi. Au demeurant, de telles recommandations n’ont pas valeur d’ordonnances administratives ni de directives d’une autorité de surveillance aux autorités d’exécution de la loi. Il s’agit de simples recommandations qui ne lient pas le juge (ATF 114 V 315 consid. 5c p. 318).

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_324/2018 consultable ici

 

 

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