8C_471/2017 (f) du 16.04.2018 – Revenu d’invalide selon l’ESS – 16 LPGA / Assuré monomanuel – Prise en compte de la ligne « total secteur privé » et non du secteur 3 « Services » uniquement / Abattement de 10% pour un monomanuel (main non dominante)

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_471/2017 (f) du 16.04.2018

 

NB : la Cour a statué à 5 juges ; le jugement a fait l’objet d’une séance publique

Consultable ici : https://bit.ly/2khhski

 

Revenu d’invalide selon l’ESS / 16 LPGA

Assuré monomanuel – Prise en compte de la ligne « total secteur privé » et non du secteur 3 « Services » uniquement

Abattement de 10% pour un monomanuel (main non dominante)

 

Assuré, né en 1958 (cf. jugement cantonal), barman dans un dancing, a été victime d’une agression sur son lieu de travail le 14.02.2012, lors de laquelle il a subi une fracture P2 D4 de la main gauche, nécessitant une réduction ouverte et une ostéosynthèse par deux vis de compression. L’évolution s’est compliquée d’une algoneurodystrophie de Südeck. L’assuré a été licencié avec effet au 31.10.2012.

L’assurance-accidents a confié une expertise à un spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et chirurgie de la main. Dans son rapport du 18.12.2012, ce médecin a indiqué que le cas n’était pas encore stabilisé. L’activité de barman n’était pas exigible au moment de l’expertise. A plein temps, seule une activité de surveillance ou de télésurveillance était envisageable. L’assuré était par ailleurs limité dans toutes les activités nécessitant les mouvements répétitifs, l’habileté manuelle fine et les efforts de la main gauche. Le pouce et l’index de la main gauche pouvaient cependant être utilisés dans certaines activités bi-manuelles ponctuelles.

L’assuré a séjourné à la Clinique E.__ du 24.07.2013 au 28.08.2013. Dans leur rapport, les médecins de la clinique E.__ ont retenu les limitations fonctionnelles provisoires suivantes : activités de dextérité fine avec la main gauche, activités nécessitant une force de serrage avec la main gauche ainsi que le port de charges et les mouvements répétitifs de la main gauche. Selon ces médecins, la situation n’était pas stabilisée du point de vue médical. Le pronostic de réinsertion dans l’ancienne activité était jugé défavorable ; en revanche il était favorable dans une activité respectant les limitations fonctionnelles précitées.

Dans un rapport du 14.07.2015, le médecin-expert, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et chirurgie de la main, n’a constaté aucune amélioration depuis sa précédente expertise et a indiqué que l’état de santé devait désormais être considéré comme stabilisé.

Par une décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a alloué une indemnité pour une atteinte à l’intégrité de 15% et a refusé d’allouer une rente d’invalidité, au motif que le taux d’invalidité présenté par l’assuré était inférieur à 10%.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2016 134 – consultable ici : https://bit.ly/2KKUj4G)

La juridiction cantonale a retenu que l’assuré avait droit à une rente de l’assurance-accidents fondée sur un degré d’invalidité de 21%.

Pour fixer le revenu d’invalide, la juridiction cantonale s’est référée au salaire découlant de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS) 2012, tableau TA1, niveau de compétences 1 pour les hommes effectuant des tâches physiques ou manuelles simples dans le secteur privé 3 des services. Elle a adapté ce montant compte tenu du temps de travail hebdomadaire moyen dans les entreprises en 2014 et de l’évolution moyenne des salaires et a retenu un revenu annuel de 60’504 fr. 20. Elle a en outre opéré une déduction de 15% sur le salaire statistique pour tenir compte des limitations liées au handicap et a retenu un revenu d’invalide de 51’428 fr. 55. Comparé à un revenu sans invalidité de 64’723 fr. (non contesté), le taux d’incapacité de gain s’élevait à 21%.

Par jugement du 17.05.2017, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Revenu d’invalide selon l’ESS

Selon la jurisprudence, le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, la jurisprudence considère que le revenu d’invalide peut être évalué sur la base des statistiques salariales (ATF 129 V 472 consid. 4.2.1 p. 475; 126 V 75 consid. 3b/aa p. 76 et les références). Dans ce cas, il convient de se fonder, en règle générale, sur les salaires mensuels indiqués dans la table ESS TA1, à la ligne « total secteur privé » (ATF 124 V 321 consid. 3b/aa p. 323). Toutefois, lorsque cela apparaît indiqué dans un cas concret pour permettre à l’assuré de mettre pleinement à profit sa capacité résiduelle de travail, il y a lieu parfois de se référer aux salaires mensuels de secteurs particuliers (secteur 2 [production] ou 3 [services]), voire à des branches particulières. Tel est notamment le cas lorsque avant l’atteinte à la santé, l’assuré a travaillé dans un domaine pendant de nombreuses années et qu’une activité dans un autre domaine n’entre pratiquement plus en ligne de compte (arrêt 9C_237/2007 du 24 août 2007 consid. 5.1, non publié in ATF 133 V 545).

Il est vrai que l’assuré a travaillé exclusivement dans le secteur de la restauration au cours des trente-cinq années ayant précédé son accident, le plus souvent comme barman. Cependant, on ne voit pas qu’une activité dans un autre domaine n’entre pratiquement plus en ligne de compte. En effet, il ressort de l’expertise du spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et chirurgie de la main que dans un poste adapté où il utilise principalement sa main droite dominante et accessoirement les deux premiers doigts de sa main gauche, l’assuré pourrait théoriquement retrouver une certaine capacité de travail. Dans une activité purement monomanuelle droite, il pourrait travailler normalement, par exemple dans un poste de surveillance ou de télésurveillance.

Pour le salaire d’invalide, il y a dès lors lieu de se référer à la ligne « total » du tableau TA1, à savoir un revenu mensuel moyen de 5’210 fr. pour les hommes effectuant des tâches physiques ou manuelles simples.

 

Abattement

L’étendue de l’abattement (justifié dans un cas concret) constitue une question typique relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit si elle a commis un excès positif ou négatif de son pouvoir d’appréciation ou a abusé de celui-ci (ATF 137 V 71 consid. 5.1 p. 72 s., 132 V 393 consid. 3.3 p. 399), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (cf. ATF 130 III 176 consid. 1.2 p. 180). Contrairement au pouvoir d’examen du Tribunal fédéral, celui de l’autorité judiciaire de première instance n’est en revanche pas limité dans ce contexte à la violation du droit (y compris l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation), mais s’étend également à l’opportunité de la décision administrative (« Angemessenheitskontrolle »). En ce qui concerne l’opportunité de la décision en cause, l’examen porte sur le point de savoir si une autre solution que celle que l’autorité, dans un cas concret, a adoptée dans le cadre de son pouvoir d’appréciation et en respectant les principes généraux du droit, n’aurait pas été plus judicieuse quant à son résultat. A cet égard, le juges des assurances sociales ne peut, sans motif pertinent, substituer sa propre appréciation à celle de l’administration ; il doit s’appuyer sur des circonstances de nature à faire apparaître sa propre appréciation comme la mieux appropriée (ATF 126 V 75 consid. 6 p. 81).

La juridiction cantonale a considéré qu’il y avait lieu de retenir, en lieu et place de l’abattement de 10% auquel avait procédé l’assurance-accidents, un abattement de 15%, au vu du fait que seule une activité légère était possible et que l’assuré était limité dans toutes les activités nécessitant les mouvements répétitifs ainsi que l’habileté manuelle fine et les efforts de la main gauche.

Dans sa décision sur opposition, l’assureur-accidents avait justifié la prise en considération d’un abattement de 10% en se référant aux limitations liées au handicap (difficultés pour un droitier de fléchir 3 doigts de la main gauche), jugeant l’assuré apte à exercer une activité adaptée à plein temps sans diminution de rendement, notamment dans une activité dans la production industrielle légère ou dans les services. Un abattement de 10% tient suffisamment compte des limitations présentées par l’assuré et la juridiction cantonale n’apporte aucun motif pertinent pour substituer sa propre appréciation à celle de l’administration.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et confirme la décision de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_471/2017 (la Cour a statué à 5 juges ; le jugement a fait l’objet d’une séance publique) consultable ici : https://bit.ly/2khhski

 

 

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