Arrêt du Tribunal fédéral 8C_314/2024 (f) du 23.12.2024
Droit aux prestations complémentaires – Séjour légal en Suisse et permis de séjour valable pendant les dix années précédant immédiatement la demande / 5 al. 1 LPC
Impossibilité d’expulsion ou mesure pénale en cours ne rend pas le séjour légal
Assujettissement fiscal et cotisation à l’AVS ne remplacent pas l’exigence de résidence légale en Suisse
L’assuré, né en 1964 et originaire de U.__, est arrivé en Suisse le 08.07.1994 et a obtenu une autorisation de séjour au titre du regroupement familial à la suite de son mariage, le 08.07.1994, avec une Suissesse. Cette autorisation n’a pas été renouvelée à son échéance, le 07.07.1998. Malgré son divorce en 1999 et un second mariage en 2007 (également dissous en 2011), il a continué à résider à Genève.
En septembre 2000, il a été condamné à une peine de réclusion avec expulsion du territoire suisse. En 2003, sa peine a été suspendue pour un traitement hospitalier. En 2006, sa libération conditionnelle a été ordonnée avec une expulsion immédiate, mais cette dernière a été annulée par le tribunal en 2007.
L’assuré a travaillé comme monteur-électricien de 2007 à 2015. En 2019, l’office AI lui a octroyé une rente entière d’invalidité avec effet au 01.12.2015. Sa demande de prestations complémentaires a été refusée en juillet 2019, motif pris qu’il n’était pas titulaire d’une autorisation de séjour dans le canton de Genève.
En septembre 2023, une nouvelle demande de prestations complémentaires a été rejetée. Bien que l’assuré ait prouvé son domicile et sa résidence à Genève, il n’avait pas résidé de manière ininterrompue en Suisse avec un permis de séjour valable pendant les dix années précédant immédiatement sa demande.
Procédure cantonale (arrêt ATAS/259/2024 – consultable ici)
Par jugement du 22.04.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.
TF
Consid. 4
L’arrêt attaqué expose correctement les règles applicables à la solution du litige, en indiquant en particulier que selon l’art. 5 al. 1 LPC, dans sa teneur en vigueur jusqu’au 1er janvier 2023, les étrangers n’ont droit à des prestations complémentaires que s’ils séjournent de manière légale en Suisse. Ils doivent y avoir résidé de manière ininterrompue pendant les dix années précédant immédiatement la date à laquelle ils demandent la prestation complémentaire (délai de carence). Le tribunal cantonal a aussi à juste titre précisé que la condition du séjour légal en Suisse n’est qu’une reprise de la jurisprudence du Tribunal fédéral déjà applicable avant l’entrée en vigueur de la disposition en question (cf. arrêts 9C_423/2013 du 26 août 2014 consid. 4.2 et 4.3; P 42/90 du 8 janvier 1992). Dans son jugement, l’instance précédente a en outre rappelé que, d’après la jurisprudence cantonale, ce critère s’applique également dans le cadre de l’application de la loi (genevoise) sur les prestations complémentaires cantonales du 25 octobre 1968 (LPCC; RS/GE J 4 25). Il suffit d’y renvoyer.
Consid. 5 [résumé]
Les juges cantonaux ont reconnu que l’assuré avait probablement résidé en Suisse depuis plus de dix ans au moment de sa dernière demande de prestations complémentaires. Cependant, ils ont souligné qu’il n’avait jamais possédé de titre de séjour valable pendant le délai de carence requis, et que cette situation persistait au moment de la décision contestée. Par conséquent, le refus des prestations complémentaires fédérales ou cantonales était justifié.
Ils ont précisé que la jurisprudence en matière d’assurance-invalidité, qui permet l’octroi de prestations même en l’absence d’autorisation de travail (cf. ATF 118 V 79), ne s’appliquait pas dans ce cas. En effet, contrairement à l’AVS et à l’AI, les prestations complémentaires sont financées par le budget général de la Confédération et des cantons, et non par des cotisations d’assurance. Le tribunal cantonal a également souligné que le fait d’avoir cotisé à l’AVS pendant une période supérieure au délai de carence ne pouvait pas se substituer à l’exigence de résidence légale en Suisse (arrêt 9C_423/2013 précité consid. 4.2 et 4.3).
Par ailleurs, ce n’était pas parce que l’office cantonal genevois de la population et des migrations avait refusé un permis de séjour à l’assuré, tout en renonçant à prononcer son expulsion administrative, que cette autorité lui aurait donné, par ce biais, l’assurance que son séjour, toléré de facto en Suisse, serait considéré comme légal dans la perspective d’un droit à des prestations complémentaires.
Consid. 6.1
L’assuré se plaint d’une violation des art. 7 et 12 Cst., ainsi que des art. 4 et 5 LPC. En s’appuyant sur l’ATF 118 V 79, il soutient qu’il aurait droit aux prestations complémentaires en raison de l’assujettissement fiscal dont il aurait fait objet durant toute la période où il a travaillé en Suisse, ayant ainsi participé au budget général de la Confédération et des cantons finançant les prestations auxquelles il prétend. En outre, dès lors qu’une autorité judiciaire lui aurait imposé de ne pas quitter la Suisse, il serait erroné de retenir que son séjour ne serait que « toléré » par les autorités. En refusant d’octroyer à l’assuré les prestations complémentaires requises, dont il aurait besoin pour vivre en Suisse, la décision violerait son droit à la dignité humaine et son droit d’obtenir de l’aide dans des situations de détresse.
Consid. 6.2
Les critiques sont mal fondées. En l’absence d’autorisation de séjour, celui-ci ne peut pas être considéré comme étant légal au sens de l’art. 5 al. 1 LPC. Le fait que l’assuré ne puisse pas être expulsé ou qu’une mesure pénale soit en cours d’exécution ne permet pas de retenir le contraire. Ces éléments pourraient tout au plus avoir une pertinence dans le cadre de la procédure d’octroi d’une autorisation de séjour, soit lors d’une étape préalable à une demande de prestations complémentaires. Ainsi, comme rappelé par la cour cantonale (cf. consid. 4 supra), le bien-fondé d’une telle demande présuppose le séjour légal du requérant, ce qui rend sans pertinence l’argument relatif aux circonstances du séjour prolongé de l’assuré en Suisse. Il en va de même des griefs tirés de l’ATF 118 V 79, visant à transposer purement et simplement dans le cas d’espèce les principes développés dans cet arrêt, bien que le présent litige ne concerne ni le droit à des prestations de l’assurance-invalidité, ni l’existence d’une autorisation de travail (cf. aussi arrêt 9C_38/2020 du 20 octobre 2020 consid. 3). Enfin, les critiques relatives à la prétendue violation des art. 7 et 12 Cst. ne satisfont pas aux exigences de motivation accrue de l’art. 106 al. 2 LTF (cf. consid. 2.2 supra), ce qui les rend irrecevables.
Le TF rejette le recours de l’assuré.
Arrêt 8C_314/2024 consultable ici