Arrêt du Tribunal fédéral 8C_209/2023 (f) du 16.10.2023
Recours en matière de droit public contre un jugement cantonal portant exclusivement sur le droit à des prestations complémentaires fondées sur la législation cantonale / 89 LTF
Pas de qualité pour recourir du service cantonal de prestations complémentaires pour la restitution de prestations d’aide sociale versées
A.__, née en 1988, mariée et mère de deux enfants nés en 2016 et 2020, est au bénéfice de prestations complémentaires familiales et d’aide sociale depuis 2018. Le 16.11.2021, le service des bourses et prêts d’études lui a octroyé une bourse d’étude de 24’000 fr. pour l’année scolaire 2020-2021 dans le cadre d’une formation universitaire à distance.
Par décision du 25.02.2022, le service des prestations complémentaires (ci-après: SPC) a recalculé son droit aux prestations d’aide sociale et lui a réclamé la restitution du montant de 7’638 fr. à titre de prestations versées indûment du 01.09.2020 au 28.02.2021. Ce montant incluait un subside de 502 fr. indûment versé par le service de l’assurance-maladie. A teneur du plan de calcul, une bourse d’étude de 21’000 fr. était prise en compte dans son revenu déterminant.
A.__ s’y est opposée, soutenant qu’elle n’aurait pas dû recevoir de bourse d’études pour le semestre 2020, car elle n’était pas encore immatriculée à l’université durant cette période, son parcours d’étude ayant débuté en 2021. Par décision sur opposition du 13.04.2022, portant sur les prestations d’aide sociale, le SPC a maintenu la demande de restitution.
Procédure cantonale (arrêt ATA/213/2023 – consultable ici)
Par jugement du 07.03.2023, admission du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision sur opposition et renvoyant la cause au SPC pour nouveau calcul du droit aux prestations d’aide sociale pour la période du 01.09.2020 au 28.02.2021 au sens des considérants.
TF
Consid. 2.2
En l’espèce, les prestations d’aide sociale litigieuses étaient octroyées par le service cantonal de prestations complémentaires (cf. art. 26 al. 3 du règlement du canton de Genève du 27 juin 2012 relatif aux prestations complémentaires familiales [RPCFam; RSG J 4 25.04]), qui interjette un recours en matière de droit public contre l’arrêt cantonal niant son droit au remboursement. Il sied ainsi d’examiner d’abord la qualité pour recourir du SPC.
Consid. 3.1
Le droit de recours des collectivités publiques est visé en premier lieu par l’art. 89 al. 2 LTF. Toutefois, lorsque les conditions fixées par cette disposition ne sont pas remplies, comme c’est indéniablement le cas en l’espèce, il faut examiner si l’autorité peut se prévaloir de l’art. 89 al. 1 LTF. D’après cette disposition, a qualité pour former un recours en matière de droit public quiconque a pris part à la procédure devant l’autorité précédente ou a été privé de la possibilité de le faire (let. a); est particulièrement atteint par la décision ou l’acte normatif attaqué (let. b); et a un intérêt digne de protection à son annulation ou à sa modification (let. c). La qualité pour recourir de la règle générale de l’art. 89 al. 1 LTF est en premier lieu conçue pour les particuliers. Il est toutefois admis que les collectivités publiques peuvent s’en prévaloir à certaines conditions restrictives. Elles peuvent recourir si la décision litigieuse les atteint de la même manière qu’un particulier, ou du moins de manière analogue, dans leurs intérêts patrimoniaux, ou lorsque cette décision les touche dans leurs prérogatives de puissance publique, de manière qualifiée. Le simple intérêt général à une correcte application du droit n’est pas suffisant dans ce contexte. De même, n’importe quel intérêt financier découlant directement ou indirectement de l’exécution d’une tâche de droit public ne permet pas à la collectivité concernée de se fonder sur l’art. 89 al. 1 LTF. Il faut qu’elle soit touchée dans des intérêts centraux liés à sa puissance publique (ATF 140 I 90 consid. 1.2; voir également ATF 141 II 161 consid. 2.1; 135 I 43 consid. 1.3).
La jurisprudence admet que ces conditions sont remplies lorsqu’une commune recourt contre un jugement cantonal dans le domaine de l’aide sociale, pour autant que ce jugement puisse avoir valeur de précédant et entraîner ainsi des charges financières importantes pour la commune (ATF 140 V 328 consid. 6.4.4, 6.4.5 et 6.6). Elle se montre en revanche beaucoup plus restrictive lorsque s’opposent des organes d’une même collectivité publique, notamment les autorités exécutives et judiciaires cantonales, en particulier lorsqu’il s’agit d’interpréter ou d’appliquer du droit cantonal. En effet, lors de l’adoption de la LTF, le Parlement a rejeté la proposition du Conseil fédéral qui tendait à habiliter les gouvernements cantonaux, dans certains cas, à attaquer les arrêts de leurs propres tribunaux cantonaux; le législateur ne voulait pas que les litiges entre autorités exécutives et judiciaires suprêmes des cantons soient tranchés par le Tribunal fédéral. En Suisse, la règle est donc celle de l’interdiction des procédures dites » intra-organiques » (ATF 141 II 161 consid. 2.2; arrêts 2C_285/2023 du 13 septembre 2023 consid. 3; 1C_36/2021 du 3 juin 2021 consid. 1.2.1; FLORENCE AUBRY GIRARDIN, in Commentaire de la LTF, 3e éd. 2022, n° 61 et 63 ad art. 89 LTF).
Consid. 3.2
Selon la jurisprudence, conformément à la légitimation fondée sur l’art. 89 al. 1 LTF, seule une collectivité publique comme telle (voire une autre personne morale de droit public) peut se prévaloir de cette disposition, mais pas une autorité ou une branche de l’administration dépourvue de la personnalité juridique, à moins d’avoir une procuration expresse lui permettant d’agir au nom de la collectivité publique en cause. Peu importe à cet égard que l’autorité ait ou non rendu la décision administrative à l’origine de la procédure et ait pris part à la procédure devant le tribunal cantonal (ATF 141 I 253; 140 II 539 consid. 2.2; 136 V 351 consid. 2.4; 134 II 45 consid. 2.2.3; arrêt 2C_1016/2011 du 3 mai 2012 consid. 1.3, non publié in ATF 138 I 196).
Consid. 3.3
Le Tribunal fédéral a déjà nié la qualité du SPC pour interjeter un recours en matière de droit public contre un jugement cantonal portant exclusivement sur le droit à des prestations complémentaires fondées sur la législation cantonale. D’une part, le SPC ne se voit pas expressément conférer la qualité pour recourir par une loi fédérale au sens de l’art. 89 al. 2 let. d LTF, le droit de recours prévu par l’art. 38 OPC-AVS/AI, en relation avec l’art. 62 al. 1bis LPGA, ne concernant que les litiges relatifs à des prestations complémentaires fondées sur le droit fédéral. D’autre part, il ne dispose pas d’un intérêt digne de protection à l’annulation ou à la modification du jugement entrepris au sens de l’art. 89 al. 1 let. c LTF (ATF 134 V 53 consid. 2 et 3; arrêt 8C_1033/2008 du 26 mars 2009 consid. 2). En appliquant les mêmes principes, le Tribunal fédéral a également nié la qualité pour recourir du SPC en rapport avec un jugement cantonal portant exclusivement sur le droit à des subsides destinés à la couverture des primes de l’assurance-maladie, fondé sur la loi cantonale d’application de la loi fédérale sur l’assurance-maladie du 29 mai 1997 (LaLAMal; RSG J 3 05; arrêt 8C_642/2009 du 3 septembre 2009 consid. 2.3). En l’espèce, il n’y a aucun motif de s’écarter de ces jurisprudences.
Consid. 3.4
Indépendamment de ce qui précède, le recours a été formé par le SPC en son propre nom et est signé par la directrice dudit service. Celui-ci est un service administratif cantonal rattaché à l’Office de l’action, de l’insertion et de l’intégration sociales du canton de Genève (OAIS), lui-même rattaché au Département cantonal de la cohésion sociale (DCS; art. 9 al. 1 let. b ch. 1 du règlement sur l’organisation de l’administration cantonale du 1er juin 2018, en vigueur jusqu’au 31 mai 2023, respectivement art. 9 al. 1 let. c ch. 1 du règlement sur l’organisation de l’administration cantonale du 1er juin 2023 [ROAC; RSG B 4 05.10]). Ainsi, le service recourant est une entité cantonale dépourvue de la personnalité juridique. L’office recourant ne prétend pas qu’il aurait agi en tant que représentant du canton de Genève et ne démontre pas non plus qu’il serait habilité à agir pour le canton dans la procédure devant le Tribunal fédéral (cf. ATF 134 II 45 consid. 2.2.3). Du reste, les corporations de droit public sont en principe représentées seulement par leurs autorités supérieures, en l’occurrence le Conseil d’Etat s’agissant de Genève (arrêt 2C_971/2012 du 28 juin 2013 consid. 2.3; voir aussi arrêt 2C_1016/2011 du 3 mai 2012 consid. 1.3 non publié aux ATF 138 I 196). Pour ce motif, le recours est irrecevable.
Le TF a déclaré le recours du service des prestations complémentaires irrecevable.
Arrêt 8C_209/2023 consultable ici