Arrêt du Tribunal fédéral 8C_318/2025 (f) du 26.09.2025
Opposition non motivée de la protection juridique avec une demande d’accès au dossier / 52 LPGA – 10 al. 5 OPGA – 61 let. b LPGA
Manque de diligence de la mandataire
Résumé
Représentée par sa protection juridique, l’assurée a formé opposition à une décision, demandant l’accès à son dossier peu avant l’échéance du délai légal. L’assurance-accidents a déclaré l’opposition irrecevable, estimant que la mandataire avait agi tardivement. La cour cantonale a annulé cette décision et renvoyé la cause à l’assureur-accidents pour qu’elle statue sur le fond.
En l’espèce, l’assurance-accidents n’avait pas à transmettre le dossier immédiatement, l’assurée n’ayant pas signalé l’urgence de sa requête et sa mandataire ayant attendu plusieurs jours avant d’agir. Il a considéré qu’un délai de trois jours pour traiter une demande de consultation n’était pas excessif et que la prolongation du délai d’opposition n’était pas justifiée, dès lors que le retard résultait du manque de diligence de la mandataire.
Faits
Assurée, victime d’un accident de voiture à l’étranger le 07.03.2019, lui causant un traumatisme crânien, diverses contusions et une fracture à la main droite.
Par décision du 25.03.2024, notifiée le lendemain, l’assurance-accidents a mis fin au versement des prestations avec effet au 31.03.2024. Se fondant notamment sur une expertise médicale du 31.10.2023, transmise à l’assurée par courrier du 22.12.2023 pour qu’elle puisse formuler d’éventuelles questions complémentaires à l’expert ou émettre des remarques sur le contenu du rapport, l’assurance a retenu que la seule atteinte à la santé encore en lien de causalité naturelle avec l’accident était un trouble de stress post-traumatique, lequel n’était pas incapacitant et ne nécessitait plus de traitement médical.
Par courrier A Plus du 02.05.2024, distribué le lendemain matin et anticipé par courriel, l’assurée, représentée par son assurance de protection juridique, a déclaré s’opposer formellement à la décision précitée. Invoquant sa récente constitution, sa mandataire a sollicité une copie du dossier, afin de pouvoir motiver l’opposition. Une procuration datée du 01.05.2024 était jointe au pli.
Par courriel du 13.05.2024, l’assurance-accidents a sollicité des précisions quant à la date à laquelle l’assurée avait annoncé le sinistre à son assurance de protection juridique, afin de déterminer si les conditions de régularisation de l’opposition étaient remplies. Le lendemain, la mandataire de l’assurée a répondu qu’elle avait été mandatée le 01.05.2024. Les bureaux étant fermés ce jour-là, elle avait formé opposition le lendemain, afin de sauvegarder le délai échéant le 07.05.2024. N’ayant en sa possession que la décision du 25.03.2024, elle demeurait dans l’attente du dossier de l’assurée.
Par courriel du 15.05.2024, l’assurance-accidents a requis une copie de l’avis de sinistre envoyé par l’assurée à son assurance de protection juridique, dans un délai échéant le 22.05.2024, en précisant qu’à défaut, elle n’entrerait pas en matière sur l’opposition. Le 16.05.2024, l’assurance de protection juridique a réitéré sa demande d’accès au dossier, en précisant notamment qu’elle avait demandé à recevoir dans les meilleurs délais une copie du dossier complet afin de pouvoir compléter l’opposition, ce qui aurait pu être fait avant la fin du délai légal échéant le 07.05.2024.
Par décision du 27.05.2024, l’assurance-accidents a déclaré l’opposition irrecevable.
Procédure cantonale (arrêt ATAS/315/2025 – consultable ici)
Par jugement du 02.05.2025, admission partielle du recours par le tribunal cantonal.
TF
Consid. 3.1
Selon l’art. 52 LPGA, les décisions rendues en matière d’assurance sociale peuvent être attaquées dans les trente jours par voie d’opposition auprès de l’assureur qui les a rendues, à l’exception des décisions d’ordonnancement de la procédure. L’art. 10 OPGA, édicté sur la base de la délégation de compétence prévue à l’art. 81 LPGA, prévoit que l’opposition doit contenir des conclusions et être motivée (al. 1); si elle ne satisfait pas à ces exigences ou si elle n’est pas signée, l’assureur impartit un délai convenable pour réparer le vice, avec l’avertissement qu’à défaut, l’opposition ne sera pas recevable (al. 5).
Consid. 3.2
Aux termes de l’art. 61 let. b LPGA, l’acte de recours doit contenir un exposé succinct des faits et des motifs invoqués, ainsi que les conclusions; si l’acte n’est pas conforme à ces règles, le tribunal impartit un délai convenable au recourant pour combler les lacunes, en l’avertissant qu’en cas d’inobservation le recours sera écarté. La règle de l’art. 61 let. b LPGA découle du principe de l’interdiction du formalisme excessif et constitue l’expression du principe de la simplicité de la procédure qui gouverne le droit des assurances sociales (arrêt 8C_245/2022 précité consid. 3.2). C’est pourquoi le juge saisi d’un recours dans ce domaine ne doit pas se montrer trop strict lorsqu’il s’agit d’apprécier la forme et le contenu de l’acte de recours. Il s’agit là d’une prescription formelle, qui oblige le juge de première instance – excepté dans les cas d’abus de droit manifeste – à fixer un délai pour corriger les imperfections du mémoire de recours (ATF 143 V 249 consid. 6.2; 134 V 162 consid. 2). En raison de l’identité grammaticale des art. 61 let. b LPGA et 10 al. 5 OPGA, les principes exposés ci-dessus valent aussi en procédure administrative, l’idée à la base de cette réflexion étant de ne pas prévoir des exigences plus sévères en procédure d’opposition que lors de la procédure de recours subséquente (ATF 142 V 152 consid. 2.3 et les références citées).
Consid. 3.3
Selon la jurisprudence, les art. 61 let. b LPGA et 10 al. 5 OPGA, qui prévoient l’octroi d’un délai supplémentaire pour régulariser un acte de recours respectivement une opposition, visent avant tout à protéger l’assuré sans connaissances juridiques qui, dans l’ignorance des exigences formelles de recevabilité, dépose une écriture dont la motivation est inexistante ou insuffisante peu avant l’échéance du délai de recours ou d’opposition, pour autant qu’il en ressorte clairement que son auteur entend obtenir la modification ou l’annulation d’une décision le concernant et sous réserve de situations relevant de l’abus de droit. Dans ce contexte, on prendra en considération qu’un mandataire professionnel est censé connaître les exigences formelles d’un acte de recours ou d’une opposition et qu’il lui est également connu qu’un délai légal n’est pas prolongeable. En cas de représentation, l’octroi d’un délai supplémentaire en application des dispositions précitées s’impose donc uniquement dans la situation où l’avocat ou le mandataire professionnellement qualifié ne dispose plus de suffisamment de temps avant l’échéance du délai légal de recours ou d’opposition pour motiver ou compléter la motivation de l’écriture initiale. Il s’agit typiquement de la situation dans laquelle un assuré, qui n’est pas en possession du dossier le concernant, mandate tardivement un avocat ou un autre mandataire professionnellement qualifié et qu’il n’est pas possible pour ce dernier, en fonction de la nature de la cause, de prendre connaissance du dossier et de déposer un recours ou une opposition motivés à temps. Il n’y a alors pas de comportement abusif de la part du mandataire professionnel s’il requiert immédiatement la consultation du dossier et motive ultérieurement l’écriture initiale qu’il a déposée dans le délai légal pour sauvegarder les droits de son mandant. En dehors de ce cas de figure, les conditions de l’octroi d’un délai supplémentaire en vertu des art. 61 let. b LPGA et 10 al. 5 OPGA ne sont pas remplies (arrêts 8C_245/2022 précité consid. 3.3; 8C_817/2017 du 31 août 2018 consid. 4 et les références).
Consid. 5.3
Il ressort des constatations du tribunal cantonal que l’assurée a pris contact avec sa mandataire le 19.04.2024, que cette dernière lui a envoyé une procuration pour signature le 30.04.2024, puis qu’elle a adressé à l’assurance-accidents une opposition non motivée, avec une demande d’accès au dossier, le jeudi 02.05.2024, par courrier électronique et par courrier postal reçu par l’assurance-accidents le lendemain, c’est-à-dire trois jours ouvrables avant l’échéance du délai légal le mardi 07.05.2024.
Contrairement à l’avis de la juridiction cantonale, on ne peut pas reprocher à l’assurance-accidents de n’avoir pas immédiatement réagi à ces communications en envoyant le dossier demandé avant l’échéance du délai de recours. Il ne ressort pas des constatations des juges cantonaux que l’assurée aurait mis en évidence d’une quelconque manière le caractère urgent de sa demande en raison de l’échéance très proche du délai d’opposition. Par ailleurs, un délai de traitement de trois jours ouvrables pour une demande de consultation d’un dossier n’a rien d’exceptionnel. La mandataire de l’assurée a elle-même attendu plus de dix jours avant de demander une procuration à sa mandante et plus de douze jours avant de demander le dossier à l’assurance-accidents pour consultation. À défaut d’agir plus rapidement, il lui appartenait au moins de mettre en évidence le caractère urgent de sa demande. Elle ne pouvait pas se limiter aux démarches qu’elle avait elle-même effectuées en prenant bien davantage de temps, laisser le délai d’opposition arriver à échéance sans autre intervention auprès de l’assurance-accidents et ensuite lui faire grief de ne pas lui avoir communiqué le dossier dans les trois jours.
Pour les mêmes motifs, l’assurance-accidents a refusé à juste titre de prolonger le délai pour motiver l’opposition, la mandataire de l’assurée ayant trop tardé avant de faire signer une procuration et de demander à consulter le dossier pour pouvoir déposer une opposition motivée en temps utile. Seul le mandataire professionnel consulté tardivement ou qui n’a pu prendre connaissance du dossier qu’au dernier moment, voire qui n’a pas pu en prendre connaissance en dépit d’une demande présentée avec diligence, peut obtenir un délai pour compléter son opposition.
Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.
Arrêt 8C_318/2025 consultable ici