Arrêt du Tribunal fédéral 9C_102/2024 (f) du 30.06.2025
Versement de la prestation en capital et consentement du conjoint du bénéficiaire – Demande de signature légalisée par un notaire / 37 LPP – 37a LPP
Fardeau de la preuve du consentement du conjoint
Recours de l’assuré à la limite de la témérité
Résumé
Le Tribunal fédéral a confirmé le refus du versement en capital au motif que l’assuré n’avait pas produit le consentement de son épouse (signature légalisée par un notaire). Il a jugé que l’institution de prévoyance était en droit de vérifier l’authenticité de la signature et que cette exigence ne constituait pas un formalisme excessif. Faute de preuve du consentement écrit, le rejet de la demande était justifié, le recours de l’assuré se situant à la limite de la témérité.
Faits
Assuré, né en 1954, marié, est séparé de son épouse. Il était affilié pour la prévoyance professionnelle.
En avril 2019, l’institution de prévoyance l’a informé qu’il aurait droit à des prestations de vieillesse dès le 01.06.2019 et qu’il avait la possibilité d’opter pour un versement partiel ou total des prestations de vieillesse sous forme de capital. Si tel était le cas, il était invité à lui retourner avant le début du droit aux prestations le formulaire prévu à cet effet ainsi que le certificat de famille, étant précisé que pour les personnes mariées, un versement en capital ne pouvait intervenir qu’avec le consentement écrit du conjoint dont la signature devait être légalisée par un notaire.
Le 28 mai 2019, l’assuré a demandé le versement sous forme de capital sans la signature de son épouse, puis a continué de travailler jusqu’à sa retraite au 30.06.2020. L’institution de prévoyance lui a rappelé la nécessité d’une autorisation signée et légalisée de son épouse. En octobre 2021, il a réitéré sa demande de versement du capital, en indiquant qu’ils vivaient séparés depuis vingt ans et avaient signé en 2013 une renonciation réciproque à leurs avoirs de prévoyance, qu’il a produite. L’institution de prévoyance a néanmoins maintenu son exigence de signature légalisée.
Procédure cantonale (arrêt PP 13/23 – 39/2023 – consultable ici)
Par jugement du 22.11.2023, rejet de la demande par le tribunal cantonal.
TF
Consid. 3.1
Se référant à l’art. 37 LPP, les juges cantonaux ont rappelé que la prévoyance professionnelle ne profite pas seulement au preneur d’assurance mais aussi aux membres de sa famille. En effet, une partie de l’avoir de prévoyance acquis durant le mariage revient au conjoint en cas de divorce (cf. art. 22 LFLP). Or ces expectatives sont réduites en cas de paiement en espèces ou de prestations en capital.
À cet égard, l’instance cantonale a rappelé que l’art. 37a LPP protège les expectatives en ce sens qu’il empêche que le preneur d’assurance puisse mettre fin à la prévoyance professionnelle en percevant les fonds de prévoyance sans le consentement du conjoint bénéficiaire (THOMAS GEISER/CHRISTOPH SENTI in: Commentaire LPP et LFLP, 2e éd. 2020, n° 1 ss ad art. 37a LPP). Ainsi, sous le titre marginal « Consentement au versement de la prestation en capital », il est prévu à l’art. 37a LPP que lorsque l’assuré est marié ou lié par un partenariat enregistré, le versement de la prestation en capital selon l’art. 37, al. 2 et 4, n’est autorisé que si le conjoint ou le partenaire enregistré donne son consentement écrit. S’il n’est pas possible de recueillir ce consentement ou s’il est refusé, l’assuré peut en appeler au tribunal civil (al. 1). On rappellera à ce sujet que l’exigence du « consentement écrit de l’autre conjoint », « désormais nécessaire », prévue dans le Message du 1er mars 2000 relatif à la 1re révision de la LPP (FF 2000 2495, 2552), avait été introduite au 1er janvier 2005 (art. 37 al. 5 aLPP; RO 2004 1677, 1700) et qu’elle avait été étendue au partenaire enregistré dès le 1er janvier 2007 (ch. 29 de l’annexe à la loi sur le partenariat du 18 juin 2004, RO 2005 5685, 5718; FF 2003 1192).
Consid. 3.2
Dans l’ATF 130 V 103, cité par les juges cantonaux, le Tribunal fédéral a examiné le point de savoir si l’institution de prévoyance pouvait être tenue de verser une seconde fois le montant de la prestation de libre passage lorsque celle-ci avait été versée à l’assuré en violation de l’art. 5 al. 2 LFLP (soit sans le consentement écrit du conjoint de l’assuré dans les situations visées par l’art. 5 al. 1 LFLP). Il a considéré que, dans ces conditions, le versement en question n’était pas nul à la différence de ce que prévoyaient d’autres dispositions apparentées, telles que l’art. 494 al. 1 et 3 CO, où l’absence de consentement valable conduisait à la nullité de l’acte juridique, sans que la partie contractante ne puisse se prévaloir de sa bonne foi (cf. consid. 3.2). Il a alors fondé la prétention en cause sur les art. 97 ss CO et a retenu que l’institution de prévoyance est tenue de prester si elle n’a pas fait preuve de la diligence requise pour vérifier le consentement du conjoint (cf. consid. 3.3). Il a toutefois exclu que, dans la situation alors jugée, l’institution de prévoyance ait manqué à son devoir de diligence lors de la vérification du consentement des ayants droit et doive réparer le dommage en résultant (cf. consid. 3.4 et 3.5). Cette jurisprudence a été confirmée et appliquée à de nombreuses reprises (cf. ATF 133 V 205 consid. 4.4; arrêt 9C_52/2024 du 6 mars 2025 consid. 4.3.2; arrêt B 126/04 du 20 mars 2006 consid. 2.3 et les cas d’application mentionnés; cf. en particulier arrêt B 58/01 du 7 janvier 2004; voir aussi THOMAS GEISER/CHRISTOPH SENTI, op. cit., n° 59 ss ad art. 5 LFLP; Hans-Ulrich Stauffer, Berufliche Vorsorge, 3e éd. 2019, p. 472 n° 1465).
En particulier, dans le cadre de l’art. 37 al. 5 aLPP, le Tribunal fédéral a confirmé les principes relatifs à l’exigence du consentement écrit du conjoint en cas de versement en capital des avoirs de vieillesse, le règlement de l’institution de prévoyance concerné prévoyant l’exigence de la légalisation de la signature du conjoint (arrêt 9C_495/2015 du 17 juin 2016).
Consid. 4.1
Au consid. 7 de son jugement, auquel il suffit de renvoyer, l’autorité précédente a retenu que plusieurs éléments au dossier ne permettaient pas de lever le doute sur l’authenticité de la signature de l’épouse de l’assuré.
Consid. 4.2
Ce dernier fait grief aux juges cantonaux d’avoir versé dans l’arbitraire en admettant l’existence de tels doutes. Il soutient qu’il n’a pas été établi que la signature de son épouse aurait été contrefaite. En outre, il allègue que l’instance cantonale lui a fait supporter le fardeau d’une preuve qu’il ne devait pas apporter. À son avis, en cas de doute, il incombait aux juges cantonaux d’instruire en conséquence, en vertu de la maxime inquisitoire (art. 61 let. c LPGA).
Consid. 4.3
Contrairement à l’opinion de l’assuré, il lui appartient de prouver les faits justifiant le versement de la prestation en capital qu’il réclame en produisant le consentement de son épouse (cf. art. 37a LPP), le cas échéant en saisissant le tribunal civil (al. 1), de telles démarches n’incombant pas au juge des assurances.
Quant aux vérifications auxquelles l’institution de prévoyance entendait procéder, elles ne constituent nullement un cas de « formalisme renforcé » compte tenu de l’importance des intérêts en jeu, étant rappelé qu’un manque de diligence de l’institution de prévoyance pourrait l’exposer à supporter les conséquences d’une preuve insuffisante de la signature du conjoint, s’il devait s’avérer que le versement était indu (cf. arrêt 9C_52/2024 précité, consid. 4.3). Au regard des règles exposées ci-avant (consid. 3 supra) et quand bien même la loi et le règlement de l’institution de prévoyance prévoient la simple forme écrite pour le consentement, l’institution de prévoyance était légitimée à vérifier l’authenticité de la signature de l’épouse, d’autant plus que l’assuré ne démontre pas en quoi la juridiction cantonale aurait arbitrairement retenu l’existence de doutes. L’institution de prévoyance pouvait ainsi requérir la légalisation de la signature de l’épouse par un notaire ou lui proposer de passer personnellement dans ses bureaux, sans que cela constitue de surcroît un cas de formalisme excessif.
À défaut d’avoir produit le consentement légalisé de son épouse, l’assuré s’est exposé au rejet de sa demande par l’instance cantonale. Le jugement attaqué ne prête pas le flanc à la critique et le recours, qui se situe à la limite de la témérité, est donc infondé.
Le TF rejette le recours de l’assuré.
Arrêt 9C_102/2024 consultable ici