8C_183/2025 (f) du 12.06.2025 – Compétence ratione loci des tribunaux cantonaux / 58 LPGA – 119 al. 1 let. a OACI – 128 OACI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_183/2025 (f) du 12.06.2025

 

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Compétence ratione loci des tribunaux cantonaux / 58 LPGA – 119 al. 1 let. a OACI – 128 OACI

 

Résumé
Dans le domaine de l’assurance-chômage, la compétence ratione loci se détermine selon le lieu où l’assuré se soumet au contrôle obligatoire auprès de l’ORP au moment de la décision attaquée, et non selon son domicile. Ainsi, lorsque la personne assurée réside dans un canton mais est contrôlée par un ORP situé dans un autre, le tribunal compétent est celui de ce second canton. En l’espèce, la compétence revenait au Tribunal cantonal fribourgeois, dès lors que la recourante – domiciliée en Valais – faisait l’objet du contrôle du chômage dans le canton de Fribourg au moment pertinent.

 

Faits
Par décision du 19.02.2024, la caisse de chômage à Sion a prononcé à l’encontre de l’assurée, domiciliée dans le canton du Valais, une suspension du droit à l’indemnité de chômage d’une durée de 31 jours, au motif qu’elle était sans travail par sa propre faute. L’assurée ayant contesté cette décision, la caisse de chômage l’a confirmée par décision sur opposition du 04.11.2024, laquelle a été notifiée à la résidence secondaire de l’assurée dans le canton de Fribourg.

 

Procédures cantonales

L’assuré a recouru contre la décision sur opposition devant le tribunal cantonal du canton de Fribourg. Estimant être incompétent ratione loci, ce dernier a déclaré le recours manifestement irrecevable et l’a transmis au tribunal cantonal du canton du Valais comme objet de sa compétence (jugement du 19.12.2024). Celui-ci s’est également déclaré incompétent à raison du lieu et n’est pas entré en matière sur le recours de l’assurée (jugement du 26.02.2025).

 

TF

Consid. 1
En recourant (en temps utile) contre la décision de non-entrée en matière du Tribunal cantonal du Valais du 26.02.2025, l’assurée a également respecté le délai de recours contre la décision du Tribunal du canton de Fribourg du 19.12.2024, par laquelle celui-ci a décliné sa compétence (art. 100 al. 1 et 5 LTF; ATF 148 I 104 consid. 1.1; 143 V 363 consid. 2; 139 V 127 consid. 5.3). Lorsque le second tribunal saisi n’entre pas en matière sur un recours en déclinant sa compétence à raison du lieu, le Tribunal fédéral doit examiner, dans le cadre de la procédure de recours introduite contre cette dernière décision, la compétence des deux tribunaux en question, sans être lié par la décision de non-entrée en matière du premier tribunal cantonal. Étant donné qu’en l’absence de compétence du second tribunal, il n’y aurait pas d’autre instance compétente, la décision de non-entrée en matière du premier tribunal cantonal ne peut pas entrer en force dans une telle situation procédurale (cf. ATF 143 V 363 consid. 2; 135 V 153 consid. 1.2 et les références).

Consid. 2.1
Dans les procédures en matière d’assurances sociales, l’art. 58 al. 1 LPGA prévoit, en ce qui concerne la compétence ratione loci des tribunaux cantonaux, la règle selon laquelle le tribunal des assurances compétent est celui du canton de domicile de l’assuré ou d’une autre partie au moment du dépôt du recours. Il convient toutefois de tenir compte d’éventuelles dérogations dans les dispositions spéciales de certaines branches d’assurances sociales (cf. ATF 136 V 106 consid. 3.2.3; arrêt 9C_738/2020 du 7 juin 2021 consid. 2.2).

Consid. 2.2
Dans le domaine de l’assurance-chômage, l’art. 100 al. 3 LACI confère au Conseil fédéral la compétence d’édicter des règles particulières de compétence dérogeant à l’art. 58 LPGA. Le Conseil fédéral a fait usage de cette compétence en édictant l’art. 128 OACI. Selon l’alinéa 1 de cette disposition, lorsque la décision attaquée a été rendue par une caisse de chômage, la détermination du tribunal cantonal des assurances s’opère selon les critères de l’art. 119 OACI. D’après l’art. 119 al. 1 let. a OACI, la compétence de l’autorité cantonale à raison du lieu se détermine d’après le lieu où l’assuré se soumet au contrôle obligatoire, pour l’indemnité de chômage (art. 18). L’art. 119 al. 2 OACI fixe comme moment déterminant celui où la décision est prise. Si, au moment où la décision est prise, l’assuré ne se soumet plus au contrôle, le tribunal compétent sera celui du lieu du domicile de l’assuré (art. 119 al. 1 let. e OACI; voir aussi BORIS RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, n° 35 ad art. 100 LACI).

Consid. 2.3
En l’espèce, les juges cantonaux fribourgeois ont constaté, après s’être renseignés auprès du contrôle des habitants de la commune de U.__, que l’assurée avait une résidence secondaire dans le canton de Fribourg, depuis le 1er janvier 2024. Son domicile principal se trouvait dans le canton du Valais. Les juges cantonaux valaisans ont pour leur part constaté qu’il ressortait des dossiers de la caisse de chômage ainsi que de l’OORP de Morat que, depuis février 2024, l’assurée était contrôlée par l’ORP de Morat, région où elle séjournait la majeure partie de son temps et y recherchait un nouvel emploi. Dans sa prise de position concernant le recours de l’assurée devant le Tribunal fédéral, le Tribunal cantonal fribourgeois admet sa compétence à raison du lieu fondée sur l’art. 119 al. 1 let. a OACI en lien avec l’art. 128 al. 1 OACI.

Il résulte des constatations cantonales précitées, lesquelles ne sont au demeurant pas contestées, que l’assurée est certes domiciliée en Valais mais qu’au moment où la caisse de chômage a rendu sa décision sur opposition le 4 novembre 2024, l’assurée séjournait pendant la semaine dans le canton de Fribourg et faisait contrôler son chômage à l’ORP de Morat. Conformément à l’art. 119 al. 1 let. a OACI, c’est donc le tribunal cantonal des assurances du canton de Fribourg qui est compétent ratione loci pour statuer sur le recours de l’assurée contre la décision sur opposition litigieuse de la caisse de chômage.

Consid. 2.4
Vu ce qui précède, la décision de non-entrée en matière du Tribunal cantonal fribourgeois doit être annulée et l’affaire renvoyée à ce tribunal pour qu’il statue sur le fond du recours de première instance.

Consid. 3
L’assurée, qui a été contrainte de recourir à la fois contre la décision du 19 décembre 2024 et celle du 25 février 2025 pour sauvegarder ses droits, obtient gain de cause et ne peut donc pas se voir imputer des frais judiciaires. Il en va de même de l’intimée, qui a renoncé à se déterminer sur le recours et ne voit pas sa décision du 4 novembre 2024 annulée ou réformée. Conformément à l’art. 66 al. 4 LTF, des frais judiciaires ne peuvent pas non plus être mis à la charge du Tribunal cantonal fribourgeois, et encore moins à la charge du Tribunal cantonal du Valais. Par conséquent, on renoncera à percevoir des frais judiciaires. L’assurée a droit à des dépens à la charge de l’État de Fribourg (art. 68 al. 4 en lien avec l’art. 66 al. 3 LTF; cf. arrêt 8C_750/2018 du 6 mai 2019 consid. 6, non publié in: ATF 145 V 247; 9C_18/2017 consid. 6, non publié in: ATF 143 V 363 et les arrêts cités).

 

Le TF admet le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_183/2025 consultable ici

 

 

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