8C_563/2024 (f) du 14.02.2025 – Prestations complémentaires – Montant des pensions alimentaires reconnu comme dépenses / Convention ratifiée par un juge étranger et conventions ultérieures passées sous seing privé

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_563/2024 (f) du 14.02.2025

 

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Prestations complémentaires – Montant des pensions alimentaires reconnu comme dépenses / 10 al. 3 let. e LPC

Convention ratifiée par un juge étranger et conventions ultérieures passées sous seing privé

 

Assuré, né en 1958 et de nationalité suisse, s’est installé en Grèce en 1995, où il a épousé B.__, née en 1970. Ils ont eu une fille en 2000. Depuis 2013, il est à nouveau domicilié à Genève. Par décision du 19.03.2019, le Tribunal de première instance d’Athènes a prononcé la dissolution de leur mariage, ratifiant une convention privée du 20.10.2017 prévoyant des pensions alimentaires de EUR 1’000 pour leur fille (pendant deux ans) et de EUR 300 pour l’ex-épouse.

Le 05.04.2023, l’assuré a atteint l’âge légal de la retraite et, dès le 01.05.2023, il a perçu des rentes mensuelles de l’AVS (CHF 1’589) et de la prévoyance professionnelle (CHF 621.05). Le 14.04.2023, il a demandé des prestations complémentaires, déclarant verser des pensions alimentaires de EUR 500 pour sa fille et de EUR 1’000 pour son ex-épouse.

Par décision du 12.10.2023, confirmée sur opposition le 30.11.2023, le service des PC a calculé les prestations dès le 01.05.2023. Il a reconnu une pension alimentaire en faveur de l’ex-épouse uniquement pour les mois de mai à juillet 2023. Les PC fédérales ont été fixées à CHF 1’532 pour mai, à CHF 1’367 pour juin et juillet, à CHF 544 d’août à octobre, puis à CHF 1’133.90 dès novembre. Les PC cantonales ont été établies à CHF 554 par mois depuis mai.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/646/2024 – consultable ici)

Par jugement du 27.08.2024, admission partielle du recours par le tribunal cantonal. À l’inverse du service des prestations complémentaires, les juges cantonaux ont considéré qu’une contribution d’entretien de EUR 300 en faveur de l’ex-femme de l’assuré devait être prise en considération dans le calcul des prestations complémentaires dès le 01.08.2023.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 9 al. 1 LPC, le montant de la prestation complémentaire annuelle correspond à la part des dépenses reconnues qui excède les revenus déterminants, mais au moins au plus élevé des montants suivants: la réduction des primes la plus élevée prévue par le canton pour les personnes ne bénéficiant ni de prestations complémentaires ni de prestations d’aide sociale (let. a); 60% du montant forfaitaire annuel pour l’assurance obligatoire des soins au sens de l’art. 10 al. 3 let. d (let. b). En vertu de l’art. 10 al. 3 let. e LPC, sont notamment reconnues comme dépenses, pour toutes les personnes, les pensions alimentaires versées en vertu du droit de la famille.

Consid. 3.2
Selon la jurisprudence afférente à l’art. 10 al. 3 let. e LPC, cette disposition a pour but de compenser des besoins vitaux accrus en raison d’obligations alimentaires (ATF 147 V 441 consid. 4.3.3). Les organes des prestations complémentaires sont liés par les décisions ayant force de chose jugée que le juge civil a rendues en matière de contributions d’entretien, que ce soit en homologuant une convention ou en fixant lui-même les contributions (ATF 147 V 441 consid. 3.3.1; arrêts 9C_396/2018 du 20 décembre 2018 consid. 5.1; 9C_740/2014 du 9 mars 2015 consid. 4.1). Toutefois, si l’administration parvient, après un examen approprié, à la conclusion que le bénéficiaire de prestations complémentaires doit payer des contributions trop élevées par rapport à ses possibilités financières, elle doit lui fixer un délai approprié pour introduire une demande en modification du jugement civil (arrêt 9C_396/2018 précité consid. 5.1; cf. aussi MICHEL VALTERIO, Commentaire de la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI, 2015, n° 66 ad art. 10 LPC). Selon le ch. 3271.02 des directives de l’OFAS concernant les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI (DPC), qui sont conformes au droit fédéral (cf. arrêt 9C_396/2018 précité consid. 5.2), si la situation financière du bénéficiaire de PC vient à se péjorer de manière conséquente et durable, l’organe PC doit exiger de celui-ci qu’il sollicite une modification du jugement de divorce ou de la convention conclue entre les parties; le bénéficiaire de PC doit être averti par écrit des conséquences indiquées au ch. 3271.03. Le ch. 3271.03 DPC prévoit que si l’assuré ne se conforme pas à cette exigence dans les trois mois, l’organe PC prend une décision sur la base du dossier existant; il est en droit de prévoir un montant correspondant de zéro franc.

Consid. 4.1 [résumé]
La juridiction cantonale a constaté que le jugement de divorce prononcé en Grèce le 19.03.2019 avait validé une convention conclue entre l’assuré et son ex-épouse le 20.10.2017. Cette convention prévoyait notamment une pension alimentaire de EUR 1’000 par mois pour leur fille, limitée à deux ans, avec possibilité de révision « d’un commun accord en fonction des besoins du moment de l’enfant » à partir du 20.10.2019, ainsi qu’une pension de EUR 300 par mois pour l’ex-épouse, sans limitation de durée. En validant cette convention, le juge civil grec avait fixé la contribution d’entretien en faveur de l’ex-épouse à EUR 300 mensuels pour une durée indéterminée.

L’assuré ne pouvait se prévaloir des conventions ultérieures passées sous seing privé, non validées par un tribunal, qui prévoyaient une augmentation de la pension versée à son ex-épouse (EUR 1’000 dès janvier 2021, puis EUR 800 dès juin 2023). Les motifs avancés par l’assuré pour justifier ces augmentations, tels que l’absence de partage de son deuxième pilier, étaient déjà connus des parties lors de la ratification de la convention initiale par le juge grec et ne pouvaient donc être pris en considération.

Consid. 4.2 [résumé]
Les juges cantonaux ont estimé que l’assuré pouvait, de bonne foi, penser avoir satisfait aux exigences du service des prestations complémentaires en obtenant une réduction de la pension alimentaire de EUR 1’000 à EUR 800. Le service des PC ne lui avait pas clairement indiqué qu’il devait modifier la convention de 2017 ratifiée par le juge grec, et non celle en vigueur depuis février 2023. Dès lors, il ne pouvait lui être reproché de ne pas avoir saisi la justice grecque, et la contribution d’entretien de EUR 300 par mois fixée par le jugement de 2019 ne pouvait être écartée sans examen.

Les juges cantonaux ont relevé qu’au moment de la convention de 2017, l’assuré percevait une indemnité de chômage de CHF 3’706 par mois, tandis que son ex-épouse travaillait à mi-temps. Depuis sa retraite en avril 2023, ses revenus avaient diminué à CHF 2’210 (rentes AVS et LPP). Toutefois, il n’était pas probable qu’une demande auprès du juge grec aurait permis de réduire ou supprimer la pension de EUR 300, compte tenu notamment de la durée du mariage, de la répartition des rôles durant la vie commune, des efforts de l’ex-épouse qui travaillait désormais à plein temps pour un salaire modeste (EUR 829.25), et de la réduction importante de la pension versée à leur fille sans emploi, qui vivait encore avec sa mère.

Enfin, l’absence de partage des avoirs de prévoyance professionnelle avait favorisé l’assuré au détriment de son ex-épouse, qui n’avait pas pu se constituer une telle prévoyance. Dans ces circonstances, la pension de EUR 300 restait adaptée et devait être prise en compte dans le calcul des prestations complémentaires dès le 01.08.2023.

Consid. 5.2.1
Il ressort des faits constatés par la cour cantonale qu’à l’appui de sa demande de prestations du 14.04.2023, l’assuré a produit la convention du 20.10.2017, la décision du tribunal grec du 19.03.2019 prononçant la dissolution du mariage, ainsi que les conventions sous seing privé des 04.01.2021 et 10.02.2023, qui prévoyaient toutes deux des contributions d’entretien mensuelles de EUR 1’000 en faveur de son ex-femme.

En réponse à cette demande, le service des PC a, par pli du 03.05.2023, requis de l’assuré la transmission de plusieurs documents, en particulier la « copie intégrale du jugement de divorce ou la convention de divorce modifiée », au motif que sa situation financière s’était péjorée, en précisant que s’il ne s’y conformait pas dans un délai de trois mois, un montant de 0 fr. pourrait être retenu.

Le 31.05.2023, l’assuré a répondu en expliquant avoir en vain cherché à savoir quel montant pouvait être admis au titre de contribution d’entretien pour son ex-épouse, l’Hospice général ayant évoqué une somme de CHF 833. Il précisait avoir demandé par téléphone au service des PC s’il pouvait signer une nouvelle convention sous seing privé, mais on lui avait répondu qu’il devait produire un jugement d’un tribunal suisse.

Le 07.06.2023, le service des PC s’est contenté de lui adresser un rappel, en mentionnant n’avoir pas reçu la copie intégrale du jugement de divorce ou de la convention modifiée, sans préciser que le montant de la contribution d’entretien évoqué par l’Hospice général était supérieur à celui ratifié par le juge grec et qu’il était nécessaire de diminuer la première pension convenue.

Le 15.06.2023, l’assuré a fait parvenir au recourant une nouvelle convention datée du 14.06.2023 prévoyant une contribution d’entretien de CHF 833 (EUR 800).

Le 17.07.2023, le service des PC a sollicité la production d’un document bancaire, sans référence à la contribution d’entretien.

Consid. 5.2.2
Sur la base de cette correspondance, les juges cantonaux ont retenu que le service des PC n’avait pas indiqué clairement à l’assuré qu’il devait modifier la convention de 2017 ratifiée par le juge du divorce, et non pas celle en vigueur depuis le 10.02.2023. Le service des PC ne critique pas, à raison, cet établissement des faits. Alors que l’assuré lui avait transmis, en sus de la convention d’octobre 2017 ratifiée par la justice grecque, deux conventions ultérieures prévoyant une contribution d’entretien plus importante, le service des PC s’est en effet contenté d’exiger une copie du jugement de divorce ou de la « convention de divorce modifiée », sans préciser à quelle convention il se référait et, surtout, sans attirer l’attention de l’assuré sur la nécessité de saisir le juge grec d’une demande en modification du jugement de divorce du 19.03.2019, en vue de diminuer ou de supprimer la contribution d’entretien de EUR 300 ratifiée par ce juge. Par la suite, tandis que l’assuré cherchait à diminuer la pension de EUR 1’000 qu’il versait depuis 2021, le service des PC n’a pas clarifié la situation, pas même après réception de la nouvelle convention du 14.06.2023, qui abaissait la pension à EUR 800.

Dans ces circonstances, le service des PC ne pouvait pas calculer le droit aux prestations complémentaires fédérales dès le 01.08.2023 sans prendre en compte, au titre de dépense reconnue, la contribution d’entretien de EUR 300 dont l’assuré est toujours légalement tenu de s’acquitter. Le point de savoir si ce dernier aurait eu de bonnes chances ou non d’obtenir de la justice grecque la réduction ou la suppression de cette contribution peut rester indécis; en l’absence d’une communication claire et complète de ce qui était attendu de lui, le service des PC n’était pas en droit d’écarter cette dépense sur la base du dossier existant, en se livrant à un examen préjudiciel du droit de l’ex-femme à une contribution d’entretien. Il s’ensuit que le recours doit être rejeté.

 

Le TF rejette le recours du service des PC.

 

Arrêt 8C_563/2024 consultable ici

 

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