9C_229/2024 (f) du 27.06.2024 – Droit à la rente de veuf AVS – Arrêt CourEDH Beeler contre Suisse ne déploie pas d’effet rétroactif – Pas de motif de reconsidération

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_229/2024 (f) du 27.06.2024

 

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Droit à la rente de veuf AVS – Arrêt CourEDH Beeler contre Suisse ne déploie pas d’effet rétroactif – Pas de motif de reconsidération / 24 al. 2 LAVS – 52 al. 2 LPGA

 

L’assuré, après le décès de son épouse, a reçu une rente de veuf à partir du 01.06.2019. Ce droit a été supprimé le 31.01.2020, car le plus jeune enfant de l’assuré avait atteint l’âge de 18 ans. L’assuré a demandé la reprise du versement de sa rente de veuf en se basant sur l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après: la CourEDH) Beeler contre Suisse (requête n° 78630/12) du 11 octobre 2022, qui avait constaté une inégalité de traitement entre hommes et femmes concernant les rentes de survivants en Suisse. Le 19.04.2023, la caisse de compensation a rejeté sa demande, affirmant que les conditions du régime transitoire de l’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) n’étaient pas remplies, dès lors que l’assuré ne percevait plus de rente de veuf et n’avait pas contesté la suppression du droit à cette prestation avant le 11.10.2022. Le 28.04.2023, l’assuré a contesté ce régime transitoire, le jugeant discriminatoire. La caisse de compensation lui a répondu qu’elle considérait avoir donné suite à sa requête et l’a invité à s’adresser à l’OFAS (correspondance du 10.05.2023). Par courrier du 15.06.2023, l’OFAS a confirmé la position exprimée par la caisse de compensation le 19.04.2023.

 

Procédure cantonale

Le 23.06.2023, l’assuré a saisi le tribunal cantonal d’une «demande de reconsidération de la décision d’extinction du droit à la rente de veuf, contestation de la décision de non-entrée en matière de l’autorité, contestation du régime transitoire adopté par l’OFAS ».

Par jugement du 05.04.2024, la juridiction cantonale a déclaré le recours irrecevable.

 

TF

Consid. 4.1
L’instance précédente a considéré que le courrier de la caisse de compensation du 19.04.2023, par lequel elle avait indiqué à l’assuré que sa rente de veuf allouée jusqu’en janvier 2020 ne pouvait pas être « réactivée », parce qu’il ne pouvait pas se prévaloir du régime transitoire mis en place par l’OFAS (cf. OFAS, Régime transitoire en matière de rentes de veufs de l’AVS suite à un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme [CEDH], in: Bulletin à l’intention des caisses de compensation AVS et des organes d’exécution des PC n° 460) revêtait le caractère d’un refus d’entrer en matière sur une demande de reconsidération. Elle a exposé à cet égard que la faculté de l’assureur social de reconsidérer ou non sa décision a pour corollaire qu’il n’existe pas de droit à la reconsidération (au sens de l’art. 53 al. 2 LPGA) que l’assuré pourrait faire valoir en justice. Après avoir encore constaté que le courrier de la caisse de compensation du 10.05.2023 confirmait le contenu du courrier du 19.04.2023, la juridiction cantonale a nié qu’une voie de droit fût ouverte contre le refus de la caisse de compensation d’entrer en matière sur la demande de reconsidération du 03.04.2023. Partant, elle a déclaré irrecevable le recours formé par l’assuré.

Consid. 5
Conformément à l’art. 53 al. 2 LPGA, l’assureur social peut reconsidérer une décision formellement passée en force de chose jugée et sur laquelle une autorité judiciaire ne s’est pas prononcée quant au fond, à condition qu’elle soit sans nul doute erronée et que sa rectification revête une importance notable. Pour juger du bien-fondé d’une reconsidération, il faut se fonder sur la situation juridique existant au moment où la décision initiale a été rendue, compte tenu de la pratique en vigueur à l’époque (ATF 144 I 103 consid. 2.2 et les références).

De jurisprudence constante, l’administration n’est pas tenue de reconsidérer les décisions; elle en a simplement la faculté (cf. art. 53 al. 2 LPGA) et ni l’assuré ni le juge ne peuvent l’y contraindre (ATF 133 V 50 consid. 4.1 et les références). Il n’existe ainsi pas de droit à la reconsidération que l’assuré pourrait déduire en justice. Cependant, lorsque l’administration entre en matière sur une demande de reconsidération et examine si les conditions d’une reconsidération sont remplies, avant de statuer au fond par une nouvelle décision de refus, celle-ci est susceptible d’être attaquée par la voie d’un recours. Le contrôle juridictionnel dans la procédure de recours subséquente se limite alors au point de savoir si les conditions d’une reconsidération (inexactitude manifeste de la décision initiale et importance notable de la rectification) sont réunies (ATF 119 V 475 consid. 1b/cc; 117 V 8 consid. 2a; 116 V 62; cf. aussi arrêt 9C_447/2007 du 10 juillet 2008 consid. 1 et les références).

 

Consid. 6.1
Quoi qu’en dise tout d’abord l’assuré, on rappellera que le refus de l’administration d’entrer en matière sur une demande de reconsidération est compatible avec la garantie d’un droit à un recours effectif devant une autorité judiciaire, dès lors que l’intéressé a eu l’occasion de recourir contre la décision initiale (cf. arrêt 8C_866/2009 du 27 avril 2010 consid. 3.3; cf. aussi arrêt 9C_680/2023 du 1er mai 2024 consid. 4.3).

Consid. 6.2
En ce que l’assuré affirme ensuite que la caisse de compensation est entrée en matière sur sa demande de reconsidération, dès lors qu’elle « a examiné les conditions établies par le régime transitoire de l’OFAS », il méconnaît les conditions de la reconsidération et le contenu du prononcé du 19.04.2023. À cette date, la caisse intimée a conclu que la rente de veuf ne pouvait pas être « réactivée ». Elle a considéré que l’assuré ne peut pas bénéficier du régime transitoire mis en place par l’OFAS, selon lequel à partir du 11.10.2022, les veufs avec enfant ont les mêmes droits que les veuves avec enfant, à savoir que la rente de veuf ne s’éteint plus lorsque le cadet des enfants atteint l’âge de dix-huit ans. Elle a également indiqué que l’arrêt de la CourEDH Beeler contre Suisse n’a pas d’effet rétroactif et ne s’applique qu’aux veufs dont la rente est (encore) versée au 11.10.2022 et aux ayants droit pour une période postérieure. Dès lors, pour motiver la non-reprise du versement de la rente de veuf de l’assuré, la caisse de compensation n’a pas examiné le caractère manifestement erroné (au sens de l’art. 53 al. 2 LPGA) de la suppression de la rente de veuf au regard de la situation juridique existant au moment où la décision initiale a été rendue, compte tenu de la pratique en vigueur à l’époque (cf. consid. 5 supra). On ne peut donc en conclure que la caisse de compensation serait entrée en matière sur une demande de reconsidération de la décision (informelle) par laquelle la rente de veuf a été supprimée. Partant, la conclusion de l’instance cantonale, selon laquelle le recours de l’assuré contre le refus de la caisse de compensation d’entrer en matière sur la demande de reconsidération était irrecevable est conforme au droit.

Compte tenu de ce qui précède, les griefs de l’assuré quant à « l’incompatibilité du régime transitoire [de l’OFAS] avec l’interdiction des discriminations » n’ont dès lors pas à être examinés par le Tribunal fédéral. Ils portent essentiellement sur des questions matérielles et non sur le caractère recevable du recours de l’assuré.

Consid. 6.3
Quant à l’arrêt (AHV 2023/2) rendu le 17.08.2023 par le Tribunal des assurances du canton de St-Gall, auquel l’assuré se réfère, celui-ci ne saurait rien en tirer en sa faveur, dès lors déjà que le Tribunal fédéral l’a annulé par arrêt 9C_558/2023 du 29 février 2024.

On ajoutera, au demeurant, que l’arrêt de la CourEDH Beeler contre Suisse, par lequel la CourEDH a constaté une violation par la Suisse de l’art. 14 CEDH (interdiction de la discrimination) en relation avec l’art. 8 CEDH (droit au respect de la vie privée et familiale) et l’art. 24 al. 2 LAVS (extinction du droit à la rente de veuf lorsque le dernier enfant atteint l’âge de 18 ans), ne déploie pas d’effet rétroactif; pour rétablir une situation conforme au droit conventionnel, il y a lieu de renoncer, pour le futur, à supprimer la rente de veuf au seul motif que le cadet des enfants de l’intéressé a atteint l’âge de 18 ans (cf. ATF 143 I 50 consid. 4.1 et 4.2; 143 I 60 consid. 3.3; cf. aussi les arrêts 9C_481/2021 et 9C_749/2020 du 9 janvier 2023 consid. 2.1). L’arrêt de la CourEDH ne saurait dès lors fonder le droit à la reprise du versement de la rente de veuf pour les intéressés dont la prestation a cessé d’être versée à la suite d’une décision devenue définitive avant le 11.10.2022; un droit rétroactif à la rente de veuf ne peut être admis que s’il existe un titre de révocation au sens de l’art. 53 al. 1 et 2 LPGA, à savoir une reconsidération ou une révision procédurale (arrêt 9C_281/2022 du 28 juin 2023 consid. 4.2 et les références). Sur ce dernier point, il suffit de préciser que contrairement à ce qu’allègue l’assuré en se prévalant pour la première fois en instance fédérale des conditions de la révision procédurale, un changement de loi ou de jurisprudence ne constitue en principe pas un motif de révision (procédurale) (ATF 147 V 234 consid. 5.2; 135 V 201 consid. 6.1.1).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré, dans la mesure où il est recevable.

 

 

Arrêt 9C_229/2024 consultable ici

 

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