8C_329/2023 (f) du 21.11.2023 – Aide sociale – Réduction du forfait d’entretien / Doute concernant la localisation exacte de son domicile – Manque de collaboration et sanction

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_329/2023 (f) du 21.11.2023

 

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Aide sociale – Réduction du forfait d’entretien / LASoc (loi fribourgeoise sur l’aide sociale)

Doute concernant la localisation exacte de son domicile – Manque de collaboration et sanction / 9 LASoc – 24 LASoc

 

Par décision du 07.02.2022, confirmée sur réclamation le 22.03.2022, la Commission sociale communale (ci-après: la Commission sociale) a octroyé à A.__ (ci-après aussi: la requérante), née en 1969, une aide matérielle avec une réduction de 20% du forfait d’entretien, à l’exception des frais de logement, pour une durée de trois mois à compter de février 2022. La réduction du forfait d’entretien et la non prise en charge du loyer étaient motivées par le manque de collaboration de la requérante et par le fait que son lieu de vie n’était pas clairement établi. Par décision du 03.05.2022, cette aide matérielle a été prolongée pour une durée de six mois, soit de mai à octobre 2022.

Par décision du 18.10.2022, confirmée sur réclamation le 20.12.2022, la Commission sociale a prolongé une nouvelle fois l’aide matérielle avec une réduction de 20% du forfait d’entretien, à l’exception des frais de logement, pour une durée de six mois, soit de novembre 2022 à avril 2023.

 

Procédure cantonale (arrêt consultable ici)

Par jugement du 27.03.2023, rejet des recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.3
Le Tribunal fédéral applique le droit d’office (art. 106 al. 1 LTF). Toutefois, il n’examine la violation de droits fondamentaux ainsi que celle de dispositions de droit cantonal et intercantonal que si ce grief a été invoqué et motivé par le recourant (art. 106 al. 2 LTF), c’est-à-dire s’il a été expressément soulevé et exposé de manière claire et détaillée. Sauf exceptions non pertinentes en l’espèce (cf. art. 95 let. c, d et e LTF), on ne peut pas invoquer la violation du droit cantonal ou communal en tant que tel devant le Tribunal fédéral (art. 95 LTF a contrario). En revanche, il est possible de faire valoir que sa mauvaise application consacre une violation du droit fédéral, comme la protection contre l’arbitraire (art. 9 Cst.) ou la garantie d’autres droits constitutionnels (ATF 145 I 108 consid. 4.4.1; 143 I 321 consid. 6.1; 142 III 153 consid. 2.5).

Appelé à revoir l’application ou l’interprétation d’une norme cantonale ou communale sous l’angle de l’arbitraire, le Tribunal fédéral ne s’écarte de la solution retenue par l’autorité cantonale de dernière instance que si celle-ci apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective, adoptée sans motif objectif et en violation d’un droit certain. En revanche, si l’application de la loi défendue par l’autorité cantonale ne s’avère pas déraisonnable ou manifestement contraire au sens et au but de la disposition ou de la législation en cause, cette interprétation sera confirmée, même si une autre solution paraît également concevable, voire préférable (ATF 148 I 145 consid. 6.1; 147 I 241 consid. 6.2.1; 145 II 32 consid. 5.1). Pour qu’une décision soit annulée pour cause d’arbitraire, il ne suffit pas que sa motivation soit insoutenable; il faut encore que cette décision soit arbitraire dans son résultat (ATF 143 I 321 consid. 6.1; 141 I 49 consid. 3.4).

 

Consid. 3.2
Aux termes de l’art. 9 al. 1 LASoc (loi sur l’aide sociale du 14 novembre 1991 ; RS/FR 831.0.1), la personne dans le besoin a son domicile au sens de la présente loi dans la commune où elle réside avec l’intention de s’y établir. En vertu de l’art. 24 LASoc, la personne qui sollicite une aide matérielle est tenue d’informer le service social de sa situation personnelle et financière de manière complète et de produire les documents nécessaires à l’enquête (al. 1); le bénéficiaire doit informer sans délai le service social de tout changement de sa situation (al. 3). Selon l’art. 1 al. 1 de l’ordonnance du 2 mai 2006 fixant les normes de calcul de l’aide matérielle de la loi sur l’aide sociale [ordonnance relative à l’aide matérielle ; RS/FR 831.0.12]), toute personne dans le besoin vivant à domicile et tenant son ménage a droit à un montant forfaitaire pour son entretien. L’art. 10 de cette ordonnance prévoit qu’en cas de manquement, les montants forfaitaires fixés à l’article 2 peuvent être réduits de 5 à 30% à titre de sanction (al. 2); les réductions sont limitées à douze mois (al. 3, première phrase); les réductions de 20% et plus sont limitées à six mois et ne peuvent être prolongées sans une nouvelle évaluation (al. 3, seconde phrase).

 

Consid. 7.1
La cour cantonale a exposé que la Commission sociale reprochait à la requérante d’avoir violé son obligation de collaborer et de renseigner, ses propos peu clairs ayant instillé un doute concernant la localisation exacte de son domicile, ce qui aurait compliqué la prise de décision. Constatant que les propos de la requérante n’avaient effectivement pas toujours été très clairs, les juges cantonaux ont exposé que celle-ci avait soutenu loger chez son oncle, domicilié sur le territoire communal. La Poste avait toutefois indiqué que l’intéressée disposait également d’une adresse au lieu de domicile de sa mère, qui vivait dans une commune voisine. La requérante avait en outre admis dormir parfois chez sa mère et d’autres fois chez des amis. Par ailleurs, un rapport d’enquête du 01.10.2021 – dont la valeur probante ne pouvait pas être mise en cause – était parvenu à la conclusion qu’elle ne résidait pas chez son oncle, mais plus probablement chez sa mère. L’autorité précédente a ajouté que par le passé, la requérante avait notamment omis de déclarer qu’elle bénéficiait des prestations complémentaires de sa grand-mère rentrée dans son pays d’origine, de sorte que ses déclarations devaient être appréhendées avec circonspection. On pouvait donc retenir une violation de l’obligation de collaborer et l’intéressée avait été avertie à plusieurs reprises que ses prestations pouvaient être réduites pour ce motif. En réduisant de 20% le forfait d’entretien, la Commission sociale avait respecté le principe de la proportionnalité. A défaut de l’existence établie d’un domicile sur le territoire communal, elle aurait en effet été en droit d’octroyer une seule aide d’urgence à la requérante. Elle avait toutefois décidé de « faire un geste », au vu notamment de possibles troubles psychiques observés chez la requérante, laquelle avait obtenu une prestation supplémentaire à celle qu’elle aurait dû percevoir.

Consid. 7.3
Il n’est pas contesté que la requérante possède deux adresses postales, l’une chez son oncle et l’autre chez sa mère. Selon le rapport d’enquête du 01.10.2021, la présence de l’intéressée chez son oncle – où elle soutient être domiciliée – n’a jamais pu être attestée, ni le matin ni le soir. Lorsque les enquêteurs se sont présentés à elle, au sortir d’une rencontre avec les services sociaux, elle n’a consenti à une visite du domicile qu’après avoir appelé son oncle, lequel est ensuite venu la retrouver pour lui donner les clés du logement. Dans l’appartement, les enquêteurs n’ont trouvé aucune affaire personnelle dans la chambre censée être celle de la requérante, et aucun document administratif personnel laissant penser que celle-ci y vivait. Pour toute explication, la requérante a déclaré aux enquêteurs que ses sous-vêtements se trouvaient dans une commode située dans la chambre de son oncle et que ses autres affaires étaient dans un garde-meuble situé dans une cave qu’elle louait. Sur cette base, le tribunal cantonal n’a pas versé dans l’arbitraire en retenant qu’il était douteux que la requérante vécût effectivement chez son oncle et qu’elle avait violé son obligation de renseigner au sens de l’art. 24 LASoc. S’agissant de ses antécédents, il ressort de l’arrêt entrepris que la requérante a, depuis sa première demande d’aide matérielle en avril 2018, écopé de plusieurs avertissements et de sanctions – sous la forme de réductions provisoires du forfait d’entretien, voire d’une suspension provisoire de l’aide matérielle – en lien avec de multiples violations de son obligation de renseigner. La requérante ne pouvant pas ignorer les conséquences d’une réitération d’un tel comportement, la cour cantonale n’a pas non plus procédé à une application arbitraire de l’art. 10 de l’ordonnance relative à l’aide matérielle en confirmant les décisions de réduction de 20% du forfait d’entretien.

Par ailleurs, le raisonnement des juges cantonaux est exempt de contradictions. Ceux-ci ont relevé que malgré les manquements de la requérante et les sérieux doutes concernant son domicile, la Commission sociale avait finalement consenti à lui octroyer un forfait d’entretien – quoique réduit -, alors qu’elle n’y avait pas droit en l’absence d’un domicile dans la commune. Cette fiction de domicile sur le territoire communal pour le forfait d’entretien, validée par l’instance cantonale, s’avère pour la requérante tout sauf arbitraire dans son résultat. En ce qui concerne les griefs que la juridiction cantonale n’a pas traités, on se bornera à rappeler que le juge n’a pas l’obligation d’exposer et de discuter tous les faits, moyens de preuve et griefs invoqués par les parties, mais peut – comme cela a été le cas en l’espèce – se limiter à l’examen des questions décisives pour l’issue du litige (ATF 147 IV 249 consid. 2.4; 142 II 154 consid. 4.2). Pour le reste, la législation cantonale en matière de réduction du forfait d’entretien ne distingue pas les manquements d’un requérant en fonction du degré de gravité de sa faute. En outre, la Commission sociale a prononcé des décisions de réduction de 20% de ce forfait pour des durées de trois mois, respectivement six mois, soit dans la limite de l’art. 10 al. 3, seconde phrase, de l’ordonnance relative à l’aide matérielle. L’arrêt attaqué échappe ainsi également à la critique eu égard à l’application du principe de la proportionnalité.

 

Consid. 8
Concernant les frais de logement, la requérante reproche finalement à la cour cantonale d’avoir fondé sa décision sur des motifs qui n’auraient pas été retenus par la Commission sociale. Tel serait le cas du fait – avancé par les juges cantonaux s’il fallait admettre un domicile chez l’oncle de la requérante – selon lequel on imaginait mal celui-ci, locataire et non propriétaire de son logement, introduire des poursuites pour exiger de sa nièce le paiement d’un sous-loyer, au vu des conditions d’accueil ressortant du rapport d’enquête. Ce dernier grief doit aussi être écarté. Le tribunal cantonal disposant d’une pleine cognition en fait et en droit, on ne voit pas que le simple énoncé de motifs appuyant le rejet d’un recours puisse consacrer une violation du droit d’être entendu.

 

Le TF rejette le recours de A.__.

 

Arrêt 8C_329/2023 consultable ici

 

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