8C_505/2021 (d) du 30.05.2022 – Revenu sans invalidité d’une travailleuse du sexe – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_505/2021 (d) du 30.05.2022

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Revenu sans invalidité d’une travailleuse du sexe / 16 LPGA

Détermination du revenu sans invalidité sur la base de l’ESS, ligne Total, niv. de compétences 1

 

Assurée, née en 1987, travaille en Suisse comme travailleuse du sexe. Quelques semaines après son arrivée d’Espagne, un vol à main armée a eu lieu le 27.12.2013 sur son lieu de travail, auquel elle a échappé en sautant du premier étage de l’immeuble. Diagnostics : fracture-tassement L1 et fractures aux pieds. Fin février 2014, l’assurée a suivi un traitement psychothérapeutique en raison d’un état de stress post-traumatique. La caisse supplétive LAA a versé les prestations légales. Expertise pluridisciplinaire le 23.03.2017.

Par décision du 24.07.2018, confirmée sur opposition du 27.02.2020, la caisse supplétive LAA a suspendu les prestations à fin novembre 2017 et a accordé à l’assurée une IPAI de 50% et nié le droit à une rente.

 

Procédure cantonale (arrêt UV 2020/24 – consultable ici)

Par jugement du 14.06.2021, admission du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision sur opposition et accordant une rente d’invalidité fondée sur un taux d’invalidité de 15% dès le 01.12.2017.

 

TF

Consid. 3.2
Lors de la détermination du revenu que l’assuré aurait pu gagner s’il n’était pas devenu invalide (art. 16 LPGA), il faut en règle générale se baser sur le dernier salaire obtenu, adapté si nécessaire au renchérissement et à l’évolution réelle du revenu, en posant la présomption qu’il aurait continué d’exercer son activité sans la survenance de son invalidité ; des exceptions ne peuvent être admises que si elles sont établies au degré de la vraisemblance prépondérante (ATF 134 V 322 consid. 4.1 et les référence). Si les circonstances réelles ne permettent pas de chiffrer avec suffisamment de précision le revenu réalisable sans atteinte à la santé, il est possible de recourir à des valeurs statistiques telles que les enquêtes sur la structure des salaires (ci-après : ESS) publiées par l’Office fédéral de la statistique (OFS). Les facteurs personnels et professionnels pertinents pour la rémunération dans le cas d’espèce doivent également être pris en compte (ATF 139 V 28 consid. 3.3.2 ; arrêt 8C_595/2019 du 5 novembre 2019 consid. 6.2). Ensuite, le choix de la position déterminante dans le tableau doit refléter, dans la mesure du possible, l’évolution vraisemblable du revenu en l’absence de l’atteinte à la santé. A cet égard, il ne s’agit pas de la valeur passée du revenu sans invalidité, mais une valeur hypothétique (cf. entre autres: arrêt 8C_572/2021 du 19 janvier 2022 consid. 3.1 avec d’autres références).

Consid. 4.1
L’instance cantonale a fixé le revenu sans invalidité à CHF 54’783 sur la base de la valeur totale (valeur centrale) des salaires ESS pour les femmes exerçant des tâches physiques ou manuelles simples (ESS 2016, table TA1, niveau de compétences 1, ligne Total), indexée à l’année 2017. A cet égard, la cour cantonale a considéré que l’assurée exercerait n’importe quelle activité en tant que personne non qualifiée, en particulier dans un secteur mieux rémunéré comme la production. En effet, son objectif était de gagner ou d’économiser le plus d’argent possible en Europe pour pouvoir éventuellement faire des études plus tard. L’assurée a également toujours essayé de soutenir financièrement sa famille au Paraguay.

Consid. 5.1
Le tribunal cantonal n’a, à juste titre, pas pris en compte la dernière activité exercée en tant que travailleuse du sexe pour déterminer le revenu sans invalidité. Il s’agissait en effet d’un essai de travail que l’assurée considérait, selon ses propres déclarations, comme intolérable et qu’elle n’effectuerait donc plus d’une manière ou d’une autre. En conséquence, lors de l’expertise pluridisciplinaire, elle a déclaré que les journées de travail étaient très longues. Elle n’avait pratiquement pas dormi et devait toujours être prête à recevoir les clients. En outre, elle a été gravement maltraitée et violée par un client pendant son travail. Dans la mesure où le recours soulève la question de savoir si l’assurée aurait continué à travailler en tant que prostituée pendant une période plus longue si l’accident n’était pas survenu, il est évident que la réponse est négative au vu de ce qui précède.

Consid. 5.2
Le seul fait que l’assurée ait été employée pendant environ cinq ans et demi en Espagne dans le domaine du ménage et de la famille, respectivement dans la garde d’enfants, ne constitue pas un indice suffisant pour pouvoir reprocher à l’instance cantonale une violation du droit fédéral. Au contraire, il est incontestable que la seule motivation de l’assurée depuis son départ de son pays d’origine était de gagner le plus d’argent possible. Comme elle l’a expliqué, c’est déjà pour cette raison qu’elle est partie en Espagne. A la suite de la perte de son dernier emploi dans ce pays en raison de la crise économique, l’assurée s’est à nouveau retrouvée dans une situation financière difficile en 2013. C’est alors qu’elle a décidé de travailler un certain temps en Suisse, d’économiser de l’argent, de soutenir financièrement sa famille et de commencer plus tard des études au Paraguay. Dans ce contexte, il aurait été logique, compte tenu de sa biographie professionnelle, que l’assurée essaie de trouver un emploi dans le domaine professionnel qu’elle connaissait déjà (garde d’enfants / aide ménagère / nettoyage). Or, de telles recherches d’emploi ne sont nullement attestées. Au lieu de cela, l’assurée était même prête à s’engager dans une activité de prostituée. Cela corrobore le point de vue défendu dans l’arrêt attaqué, selon lequel, en raison de la pression financière toujours aussi forte, elle aurait (hypothétiquement) été ouverte, même en décembre 2017, non pas à la dernière activité exercée (cf. consid. 5.1 ci-dessus), mais tout de même à toutes autres activités du niveau de compétence 1. Il faut d’autant plus en déduire que, comme l’a considéré à juste titre l’instance cantonale, elle aurait eu de meilleures possibilités de gagner sa vie dans la production que dans les activités exercées jusqu’alors dans le secteur des services. Contrairement à ce que pense la caisse supplétive LAA, le manque de connaissances linguistiques de l’assurée ne s’y oppose pas. En effet, de telles connaissances ne jouent par nature qu’un rôle secondaire dans les activités lucratives qui intéressent ici les personnes non qualifiées (cf. concernant l’abattement sur le salaire statistique : arrêt 8C_594/2011 du 10 octobre 2011 consid. 5 et les référence). Indépendamment de cela, l’assurée était déjà en mesure d’apprendre le catalan dans un délai raisonnable. Il ne semble donc pas absurde qu’elle puisse se faire comprendre en allemand après un certain temps.

Consid. 6
Au vu de ce qui précède, il convient de s’en tenir au revenu sans invalidité de CHF 54’783 déterminé par l’instance cantonale. La comparaison (art. 16 LPGA) avec le revenu d’invalide de CHF 46’565.55 (non contesté) conduit à un degré d’invalidité de 15%. C’est donc à juste titre que le tribunal cantonal a admis le droit à une rente correspondante.

 

Le TF rejette le recours de la caisse supplétive LAA.

 

 

Arrêt 8C_505/2021 consultable ici

 

 

Proposition de citation : 8C_505/2021 (d) du 30.05.2022, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2022/11/8c_505-2021)

 

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