8C_171/2024 (f) du 03.09.2024 – Revenu d’invalide – Détermination de la ligne de l’ESS / 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_171/2024 (f) du 03.09.2024

 

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Revenu d’invalide – Détermination de la ligne de l’ESS / 16 LPGA

Branches économiques 69-71 vs 77-82 de l’ESS

 

Assuré, né en 1962 et titulaire d’un CFC de cuisinier obtenu en juillet 1981, a été victime d’un grave accident de la circulation en le 19.07.1982, entraînant un polytraumatisme des membres inférieurs et plusieurs opérations. Depuis cet accident, il a été en incapacité totale de travail et a déposé une demande de prestations AI en janvier 1984. L’office AI a alors pris en charge une reconversion professionnelle, permettant à l’assuré de suivre une formation de programmeur et employé de commerce (type G), achevée en 1988. Il a ensuite exercé la profession de comptable pour différents employeurs. Par décision du 04.04.1989, l’office AI a refusé toute rente d’invalidité, considérant qu’il n’y avait pas de perte de gain.

Le 08.03.2018, l’assuré a déposé une nouvelle demande de prestations AI, invoquant notamment des acouphènes survenus après un accident de la route en 2013. Une expertise pluridisciplinaire a été ordonnée (médecine interne, ORL, rhumatologie, psychiatrie), concluant que l’assuré restait apte à travailler à plein temps comme comptable, mais avec une baisse de rendement de 30% depuis l’accident de 2013 en raison des troubles ORL. Par décision du 02.11.2021, l’office AI a refusé d’octroyer une rente d’invalidité, estimant que le taux d’invalidité calculé selon la comparaison entre le revenu hypothétique de cuisinier et celui de comptable à 70% restait insuffisant pour ouvrir le droit à une rente.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 12.02.2024, admission du recours par le tribunal cantonal et octroi d’un quart de rente d’invalidité, fondé sur un taux d’invalidité de 46%, dès le 01.09.2018.

 

TF

Consid. 5.1 [résumé]
L’office AI recourant reproche à la cour cantonale d’avoir établi les faits de manière manifestement inexacte et d’avoir violé le droit fédéral dans la détermination du revenu hypothétique d’invalide. Il soutient que la ligne 77-82 (« Activités de services administratifs et de soutien »), retenue par les juges cantonaux et appliquée dans la décision du 02.11.2021, ne permet pas de fixer un revenu d’invalide qui exploite pleinement la capacité résiduelle de gain de l’assuré. Selon la NOGA 2008, le secteur d’activité de l’assuré correspond aux activités comptables et fiduciaires de la branche 6920, qui serait plus précise que la ligne 77-82. L’office AI estime qu’il n’est pas justifié d’utiliser une branche différente pour déterminer le revenu d’invalide par rapport à celle utilisée pour le revenu sans invalidité, d’autant que la poursuite de l’activité habituelle restait exigible selon les experts, avec une capacité de travail de 100% et une diminution de rendement de 30%. Il propose de retenir un revenu avec invalidité de CHF 53’426, calculé sur la base de la branche 69-71 (« Activités juridiques, comptables, de gestion d’architecture, d’ingénierie ») de l’ESS 2018, niveau de compétences 2, en tenant compte de la durée hebdomadaire de travail, d’une capacité résiduelle de 70% et d’un abattement de 5%. Ce calcul, comparé au revenu sans invalidité de CHF 80’339.85, ne permettrait pas d’atteindre un taux d’invalidité suffisant pour ouvrir le droit à la rente.

Consid. 5.2
Contrairement à ce que soutient l’assuré, l’office AI recourant peut revenir sur la détermination du revenu d’invalide, bien que cet aspect n’ait pas été contesté en procédure cantonale. En effet, une argumentation juridique nouvelle est admissible en instance fédérale pour autant qu’elle repose sur les faits retenus par la cour cantonale (ATF 136 V 362 consid. 4.1).

Consid. 5.3.1
Lorsque les tables ESS sont appliquées, il convient de se fonder, en règle générale, sur les salaires mensuels indiqués dans la table TA1 (secteur privé), à la ligne « total »; on se réfère alors à la statistique des salaires bruts standardisés, en se fondant toujours sur la valeur médiane ou centrale (ATF 148 V 174 consid. 6.2 et les arrêts cités). Lorsque cela paraît indiqué dans un cas concret pour permettre à l’assuré de mettre pleinement à profit sa capacité résiduelle de travail, il y a lieu parfois de se référer aux salaires mensuels de secteurs particuliers (secteur 2 [production] ou 3 [services]), voire à des branches particulières. Cette faculté reconnue par la jurisprudence concerne les cas particuliers dans lesquels, avant l’atteinte à la santé, l’assuré concerné a travaillé dans un domaine pendant de nombreuses années et où une activité dans un autre domaine n’entre pratiquement plus en ligne de compte (arrêt 8C_709/2023 du 8 mai 2024 consid. 6.2.1 et les arrêts cités).

Consid. 5.3.2
La correcte application des tables de l’ESS, notamment le choix de la table et du niveau de compétences applicable, est une question de droit que le Tribunal fédéral revoit librement (ATF 143 V 295 consid. 2.4; 132 V 393 consid. 3.3).

Consid. 5.4
En l’espèce, selon l’expertise pluridisciplinaire, dont la valeur probante – reconnue implicitement par la juridiction cantonale – n’est pas remise en cause par les parties, l’assuré dispose d’une capacité de travail totale, moyennant une baisse de rendement de 30% depuis 2013, dans son domaine d’activité habituel de comptable. Il n’y a donc pas lieu de se fonder sur la branche particulière « Activités de services administratifs et de soutien » (ligne 77-82) comme l’ont fait les juges cantonaux. Avec l’office AI recourant, on ne voit en effet pas que cette branche serait particulièrement adaptée à la situation de l’assuré au point de justifier son application. Selon la NOGA 2008, cette branche regroupe les activités de location et location-bail (77), les activités liées à l’emploi (78), les activités des agences de voyage, voyagistes, services de réservation et activités connexes (79), les activités d’enquête et de sécurité (80), les activités de services relatifs aux bâtiments et aménagement paysager (81) ainsi que les activités administratives et autres activités de soutien aux entreprises (82) (cf. NOGA, site interne www.kubb-tool.bfs.admin.ch/fr/code/n, consulté le 22 août 2024). Au contraire, on doit admettre que le secteur d’activités ressortant de la ligne 69-71 est adapté et exigible, dès lors qu’il comprend des activités correspondant aux types de tâches que l’assuré est susceptible d’assumer en fonction de ses qualifications et regroupe effectivement les activités comptables (6920).

Au demeurant, il était contradictoire de la part de la juridiction cantonale de se fonder, pour l’évaluation du revenu d’invalide, sur des branches d’activités différentes de celles utilisées pour l’évaluation du revenu hypothétique sans invalidité, alors que l’assuré peut continuer à travailler en tant que comptable, comme auparavant. Il y a lieu de confirmer, pour le surplus, le niveau de compétences 2 qui n’est pas contesté (sur les niveaux de compétences, voir arrêt 8C_657/2023 du 14 juin 2024 consid. 6.1, destiné à la publication, et les arrêts cités).

Consid. 5.5
Par conséquent, le taux d’invalidité doit être recalculé. A juste titre, il convient de se référer aux salaires statistiques de l’ESS de l’année 2018 (selon les données publiées au moment de la décision litigieuse, cf. ATF 150 V 67 consid. 4.2 et les références), particulièrement au salaire auquel peuvent prétendre les hommes du niveau de compétences 2, ligne 69-71, soit 6’453 fr. par mois, montant qui doit être adapté à l’horaire de travail moyen de la branche concernée (41,5 heures par semaine en 2018; tableau « Durée normale du travail dans les entreprises selon la division économique », branche 69 « Activités juridiques et comptables ») et au taux d’activité raisonnablement exigible de l’assuré (70%). De ce montant, il convient encore de déduire 5% à titre d’abattement, non remis en cause en instance fédérale. Le revenu d’invalide s’élève ainsi à CHF 53’426 par année. Compte tenu d’un revenu sans invalidité de CHF 80’339.85 (6’453 x 41.5 / 40 x 12) – on rectifiera d’office, sur ce point, le revenu calculé par la juridiction cantonale sans adaptation à la durée hebdomadaire du travail dans les entreprises -, il résulte un taux d’invalidité de 33,5%, arrondi à 34% (ATF 130 V 121 consid. 3.2), qui n’ouvre pas le droit à une rente de l’assurance-invalidité (art. 28 al. 2 LAI).

 

Le TF admet le recours de l’office AI.

 

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