8C_465/2024 (f) du 05.02.2025 – Aptitude au placement d’un étudiant / 8 LACI – 15 LACI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_465/2024 (f) du 05.02.2025

 

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Droit aux indemnités chômage – Aptitude au placement d’un étudiant / 8 LACI – 15 LACI

 

Assuré, né en 1989 et titulaire d’un doctorat en droit de l’École des hautes études en sciences économiques, a travaillé notamment pour la société B.__ dans le cadre d’un contrat de travail à durée déterminée. Il s’est inscrit comme demandeur d’emploi à 50% auprès de l’Office régional de placement (ORP) et a sollicité des prestations de l’assurance-chômage à partir du 15.09.2023. Lors de son premier entretien avec son conseiller ORP le 09.10.2023, il a indiqué avoir débuté le 18.09.2023 une formation à plein temps à la Haute école d’art C.__ pour obtenir un Bachelor en communication visuelle, et a transmis le planning des cours pour l’année académique 2023-2024.

Face à des doutes sur son aptitude au placement, l’ORP a soumis le dossier à la Direction de l’autorité cantonale de l’emploi. Invité à s’exprimer, l’assuré a expliqué qu’il était disponible pour des mesures de chômage à 50%, soit 20 heures par semaine, et pour travailler les jeudis, vendredis, ainsi que les demi-journées du mercredi et du samedi. La Haute école C.__ a précisé que le Bachelor en communication visuelle représentait trois années d’études à plein temps, avec un calendrier hebdomadaire de 40 heures de cours en présentiel, mais aussi 23 semaines par an sans cours durant lesquelles les étudiants pouvaient travailler à 100%. Elle a ajouté que le parcours d’études de l’assuré pouvait être adapté ou prolongé si nécessaire, et que celui-ci était prêt à renoncer à la formation pour prendre un emploi ou suivre une mesure de l’ORP.

Par décision du 15.11.2023, confirmée sur opposition, la Direction générale de l’emploi et du marché du travail (DGEM) a déclaré l’assuré inapte au placement. En substance, elle a retenu que l’assuré n’avait jamais mentionné être prêt à renoncer à sa formation pour prendre un emploi salarié durable ou pour suivre une mesure de marché du travail, mais uniquement être disposé à adapter son plan d’études.

 

Procédure cantonale (arrêt ACH 41/24 – 108/2024 – consultable ici)

Par jugement du 18.07.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
L’assuré a droit à l’indemnité de chômage si, entre autres conditions, il est apte au placement (art. 8 al. 1 let. f LACI). Est réputé apte à être placé le chômeur qui est disposé à accepter un travail convenable et à participer à des mesures d’intégration et qui est en mesure et en droit de le faire (art. 15 al. 1 LACI). L’aptitude au placement comprend ainsi un élément objectif et un élément subjectif: la capacité de travail d’une part, c’est-à-dire la faculté d’exercer une activité lucrative salariée sans que la personne assurée en soit empêchée pour des causes inhérentes à sa personne, et d’autre part la disposition à accepter immédiatement un travail convenable au sens de l’art. 16 LACI, ce qui implique non seulement la volonté de prendre un tel travail s’il se présente, mais aussi une disponibilité suffisante quant au temps que la personne assurée peut consacrer à un emploi et quant au nombre des employeurs potentiels (ATF 146 V 210 consid. 3.1; 125 V 51 consid. 6a).

Consid. 4.2
L’aptitude au placement est évaluée de manière prospective d’après l’état de fait existant au moment où la décision sur opposition a été rendue (ATF 143 V 168 consid. 2 et les références) et n’est pas sujette à fractionnement. Soit l’aptitude au placement est donnée (en particulier la disposition à accepter un travail au taux d’au moins 20% d’une activité à plein temps; cf. art. 5 OACI), soit elle ne l’est pas (ATF 143 V 168 consid. 2; 136 V 95 consid. 5.1). Lorsqu’un assuré est disposé à n’accepter qu’un travail à temps partiel (d’un taux d’au moins 20%), il convient non pas d’admettre une aptitude au placement partielle pour une perte de travail de 100% mais, à l’inverse, d’admettre purement et simplement l’aptitude au placement de l’intéressé dans le cadre d’une perte de travail partielle (ATF 145 V 399 consid. 2.2; 136 V 95 consid. 5.1). C’est sous l’angle de la perte de travail à prendre en considération (cf. art. 11 al. 1 LACI) qu’il faut, le cas échéant, tenir compte du fait qu’un assuré au chômage ne peut ou ne veut pas travailler à plein temps (ATF 126 V 124 consid. 2; cf. BORIS RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, n° 9 ad art. 11 LACI et n° 5 ad art. 15 LACI).

Consid. 4.3
Lorsqu’un assuré participe à un cours de formation durant la période de chômage (sans que les conditions des art. 59 ss LACI soient réalisées), il doit, pour être reconnu apte au placement, clairement être disposé à y mettre un terme du jour au lendemain afin de pouvoir débuter une nouvelle activité. Cette question doit être examinée selon des critères objectifs. Une simple allégation de l’assuré ne suffit pas à cet effet (ATF 122 V 264 consid. 4; arrêts 8C_82/2022 du 24 août 2022 consid. 4.4; 8C_742/2019 du 8 mai 2020 consid. 3.4). Il faut que la volonté de l’assuré se traduise par des actes, et ce pendant toute la durée du chômage (arrêt 8C_82/2022 du 24 août 2022 loc. cit.; RUBIN, op. cit., n° 19 ad art. 15 LACI). Pour juger si l’assuré remplit cette condition, il faut examiner toutes les circonstances, notamment le coût de la formation, l’ampleur de celle-ci et le moment de la journée où elle a lieu, la possibilité de remboursement partiel en cas d’interruption de celle-ci, les clauses contractuelles relatives au délai de résiliation (s’il existe un contrat écrit) et le comportement de l’assuré (arrêt 8C_474/2017 du 22 août 2018 consid. 5.2; RUBIN, op. cit. n° 50 ad art. 15 LACI), en particulier s’il poursuit ses recherches d’emploi de manière qualitativement et quantitativement satisfaisante (arrêts 8C_933/2008 du 27 avril 2009 consid. 4.3.2; C 149/00 du 7 février 2001 consid. 2a, in DTA 2001 p. 230).

Consid. 5 [résumé]
La juridiction cantonale a constaté que l’assuré avait entamé une formation à plein temps à la Haute école C.__ en vue d’obtenir un Bachelor en communication visuelle et de se reconvertir professionnellement. Elle a estimé que la disponibilité de 23 semaines sans cours par an, soit un taux de 44%, n’était pas un argument pertinent pour démontrer l’aptitude au placement, car la disponibilité pour un emploi ou une mesure du marché du travail ne se mesure pas de façon purement mathématique, mais doit être appréciée selon les circonstances concrètes. Les juges ont constaté que, selon le planning académique, les cours se déroulaient tous les jours, souvent de 8h30 à 17h30 ou 18h, parfois jusqu’à 20h, ce qui contredisait la disponibilité avancée par l’assuré pour certains jours et demi-journées. Ils ont aussi relevé que la formation impliquait 40 heures de cours en présentiel par semaine, qu’elle n’était pas proposée à temps partiel, et que l’assuré s’était inscrit pour des études à temps plein, tout en indiquant initialement être disponible pour travailler les soirs et week-ends. À cela s’ajoutaient son engagement comme ambassadeur des réseaux sociaux de l’école, sa volonté de réaliser un film sur quatre mois, et un emploi de commis administratif à 20% dès avril 2024.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, l’instance cantonale a considéré que l’assuré ne pouvait pas exercer une activité salariée à 50%, ni qu’un employeur pourrait accepter ses horaires fluctuants. La cour cantonale a également jugé que ses déclarations sur la possibilité d’adapter son plan d’études ou d’aménager son programme ne démontraient pas une réelle volonté d’interrompre sa formation. Ce n’est que dans le cadre du recours qu’il a évoqué la possibilité de renoncer à ses études, tout en restant ouvert à un aménagement du programme. L’assuré n’a donc pas manifesté une intention claire de cesser sa formation immédiatement pour accepter un emploi ou suivre une mesure du marché du travail, ni prouvé avoir sollicité un plan d’études personnalisé. Enfin, le fait d’être prêt à accepter un emploi dans divers secteurs ne suffisait pas, selon la cour cantonale, à établir son aptitude au placement.

Consid. 6.3 [résumé]
L’assuré soutient que ses activités d’ambassadeur des réseaux sociaux et de réalisation de film ont été à tort retenues pour nier son intention de prendre un emploi durable. Il n’est effectivement pas certain que l’argumentation des juges puisse être suivie sur ce point, car ces activités étaient présentées comme des recherches d’emploi par l’assuré, sans examen particulier par la juridiction cantonale. Toutefois, ces activités, de nature très accessoire selon les propres déclarations de l’assuré, ne suffisent pas à établir son aptitude au placement. Par ailleurs, la conclusion des juges sur la disponibilité trop limitée de l’assuré repose sur d’autres éléments suffisants pour écarter le grief d’arbitraire.

Consid. 6.4
L’assuré ne saurait par ailleurs être suivi lorsqu’il se prévaut, à titre de preuves, de ses nombreuses recherches d’emploi effectuées entre septembre 2023 et juin 2024 pour attester son aptitude au placement. Le seul fait que les recherches d’emploi satisfont aux exigences jurisprudentielles ne suffit pas pour reconnaître l’aptitude au placement pendant la fréquentation d’un cours lorsqu’on peut tenir pour établi que l’intéressé n’est pas disposé à interrompre le cours en tout temps (arrêt 8C_598/2011 du 16 août 2012 consid. 4.4).

Consid. 6.5
Enfin, l’assuré ne saurait tirer argument de l’absence de mesures relatives au marché du travail en vue d’établir son aptitude au placement, alors que cette dernière est précisément l’une des conditions à l’octroi d’une telle mesure (art. 8 al. 1 let. f LACI par renvoi de l’art. 59 al. 3 let. a LACI).

Consid. 7.1 [résumé]
L’assuré reproche à la cour cantonale d’avoir appliqué à tort des précédents jurisprudentiels à son cas, estimant que seule l’application de l’art. 15 al. 1 LACI et de la jurisprudence y relative aurait dû prévaloir. Il considère que l’exigence d’abandonner ses études du jour au lendemain est contraire à la liberté économique et personnelle ainsi qu’au bon sens. Il invoque également son statut S, qui lui permet de travailler en Suisse à plein temps sans restriction, et fait valoir que sa situation financière (absence de bourse, absence de fortune) n’a pas été prise en compte. Enfin, il reproche aux premiers juges de ne pas avoir tenu compte de faits postérieurs à la décision attaquée, tels que sa demande de plan d’études personnalisé du 21 juin 2024 et ses 105 heures de travail en juin 2024 à la Haute école C.__.

Consid. 7.2 [résumé]
L’examen de l’aptitude au placement doit se faire sur la base de la situation factuelle existant jusqu’au prononcé de la décision administrative litigieuse. Les faits survenus en juin 2024, invoqués par l’assuré, ne sont pas pertinents pour l’examen du litige, puisque la période déterminante s’étend de l’inscription au chômage en septembre 2023 jusqu’à la décision sur opposition du 24 janvier 2024.

Consid. 7.3 [résumé]
La cour cantonale a examiné l’aptitude au placement de l’assuré en tenant compte du calendrier des cours et de sa volonté de renoncer à sa formation. Elle a constaté qu’il n’avait pas déposé de demande de plan d’études personnalisé ni démontré son intention de renoncer à sa formation pour prendre un emploi. Les déclarations de l’assuré évoquaient seulement la possibilité d’adapter son plan d’études, mais pas d’y renoncer. Il n’a donc pas pris de mesures concrètes pour mettre un terme à sa formation et débuter une activité salariée. Ses arguments ne suffisent pas à établir une volonté réelle de travailler à 50%, d’autant que la Haute école C.__ a confirmé que le cursus ne pouvait pas être suivi à temps partiel et qu’aucune adaptation n’était garantie. Par ailleurs, l’assuré ne conteste pas que le calendrier prévoyait 40 heures de cours en présentiel du lundi au vendredi, ce qui confirme l’absence d’arbitraire dans le constat de son indisponibilité pour un emploi durable à 50%.

Consid. 7.4
Cela étant, les juges cantonaux ont considéré, à juste titre, qu’en se prévalant de 23 semaines sans cours, équivalant à un temps de travail au taux de 44%, l’assuré faisait état d’une disponibilité sporadique, à l’instar des étudiants qui ne désirent exercer une activité lucrative qu’entre 2 semestres académiques. On ne saurait dès lors leur faire grief d’avoir cité la jurisprudence relative à l’aptitude au placement des étudiants, ressortant notamment à l’ATF 120 V 392 consid. 2a. Contrairement à ce que soutient l’assuré, les juges cantonaux n’ont pas assimilé sa situation à celle ayant donné lieu à l’ATF précité, où le litige portait sur l’aptitude au placement d’un ressortissant étranger ne possédant pas l’autorisation d’exercer une activité salariée en Suisse.

Consid. 7.5
Pour le surplus, l’argument de l’assuré relatif à son statut S « qui lui permet[trait] de travailler en Suisse à plein temps sans restriction » est dépourvu de pertinence. Son autorisation à travailler en Suisse n’a pas été remise en cause et elle ne suffit pas à fonder son aptitude au placement dès lors qu’il n’a pas la disponibilité alléguée. Quant à l’évocation de sa situation financière, elle ne démontre pas que l’assuré entendait renoncer à sa formation pour débuter une activité lucrative.

Consid. 7.6
Enfin, on ne voit pas que la décision litigieuse serait contraire aux principes de la liberté économique et personnelle, dès lors qu’elle n’interdit pas à l’assuré de continuer ses études. Ce dernier demeure libre dans son choix de poursuivre sa formation, mais il lui appartient de remplir les conditions du droit à l’indemnité de chômage s’il entend bénéficier des prestations de l’assurance-chômage.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_465/2024 consultable ici

 

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