Arrêt du Tribunal fédéral 9C_272/2024 (d) du 20.01.2025
Résumé issu de Jurisprudence du Tribunal fédéral relative au droit des cotisations AVS, Sélection de l’OFAS – n° 83, disponible ici
Délimitation entre rendement de la fortune et salaire déterminant chez les collaborateurs actionnaires en cas de rémunération au titre de « dividendes asymétriques » / 5 LAVS
Lorsqu’une société rémunère ses employés actionnaires par des dividendes asymétriques, il se pose en premier lieu la question, du point de vue du droit des cotisations, de la nature et de la fonction des prestations ainsi versées. Il s’agit donc d’examiner si la rémunération versée sous forme de dividendes asymétriques constitue sans équivoque un salaire soumis à cotisations (consid. 6.3.1). Une fois ce point clarifié, la question qui se pose est celle de la proportionnalité de la répartition entre la rémunération (totale) du travail et le rendement du capital (consid. 6.3.4)
En l’espèce, le Tribunal fédéral a décidé que l’hypothèse de l’autorité inférieure, selon laquelle l’ »asymétrie » dans les distributions de dividendes est uniquement due aux performances de travail individuelles différentes de chaque actionnaire (et non à leurs droits de participation), n’est pas manifestement inexacte. Cette interprétation n’est pas non plus entachée d’une violation du droit, si bien qu’elle reste contraignante pour le Tribunal fédéral. Cette classification en vertu du droit des cotisations demeure même si le versement de « dividendes asymétriques » – malgré la répartition proportionnelle du bénéfice prévue à l’art. 660, al. 1, CO – est autorisé du point de vue du droit des sociétés ou accepté par les autorités fiscales (consid. 6.3.2).
La société A. SA est une étude d’avocats gérée par des actionnaires et affiliée en tant qu’employeur à la caisse de compensation X. Jusqu’à l’été 2021, B., C., D. et E. étaient actionnaires de la société à hauteur de 25 % chacun, tout en étant par ailleurs employés et membres du conseil d’administration. Un contrôle de l’employeur portant sur la période du 01.01.2015 au 31.12.2019 a révélé que la société A. SA avait versé à ses collaborateurs actionnaires des libéralités d’un montant variable (non proportionnelles à leurs parts de participation), prélevées sur le « bénéfice d’exploitation » de l’année précédente et désignées comme « dividendes asymétriques ». Ces prestations n’ont pas été qualifiées de dividendes, mais de prestations appréciables en espèces découlant du rapport de travail et soumises au prélèvement de cotisations sociales. Sur cette base, la caisse de compensation a exigé de la société A. SA qu’elle lui verse des cotisations à titre rétroactif (y compris les frais d’administration) pour un montant total de 215’523,50 francs, intérêts correspondants de 23’563,80 francs en sus.
Dans son premier arrêt du 04.04.2022, l’instance inférieure relève que les dividendes constituent une rémunération pour le capital propre investi et le risque inhérent à l’investissement et qu’il s’agit, en conséquence, de prestations versées aux actionnaires et non aux employés. L’actionnariat se compose exclusivement de collaborateurs actionnaires. La caisse de compensation a intégralement requalifié cette rémunération versée sous la forme de dividendes asymétriques sans procéder à un calcul distinct du dividende au motif qu’elle représente en réalité des bonus et que ceux-ci sont soumis à l’AVS. L’instance précédente constate que, en l’espèce, les dividendes ne constituent qu’une rémunération tout à fait secondaire sous la forme d’un rendement du capital et qu’ils représentent en grande partie une rémunération effective pour la prestation de travail fournie. Elle a renvoyé l’affaire à la caisse de compensation pour examen complémentaire.
Après ce renvoi et une nouvelle décision de la caisse de compensation, l’instance inférieure a retenu, dans son deuxième arrêt du 25.03.2024, qu’il faut d’abord déduire les versements de salaires arriérés de chaque part de bénéfice et qu’ensuite il faut déterminer quelles parts liées au chiffre d’affaires de l’étude relèvent des dividendes. Ce n’est qu’une fois que le montant du bénéfice et du dividende a été établi, qu’il faut examiner si une part du dividende doit être prise en compte au titre de salaire déterminant. Étant donné que la recourante n’a pas non plus prouvé, lors de l’examen complémentaire, quel montant du chiffre d’affaires de l’étude a servi au calcul des dividendes, l’instance inférieure s’est basée, pour déterminer la part des dividendes, sur les valeurs moyennes tirées d’une publication de la Banque cantonale lucernoise intitulée « Schweizer Aktien im Langzeitvergleich, Die Performance von Aktien in der Schweiz 1969 – 2024 » (p. 11), et a qualifié un rendement de 2,5 % de dividende et l’a reconnu d’emblée comme un rendement de la fortune.
L’employeur tenu de payer des cotisations fait valoir, notamment, que, pour les montants alloués aux actionnaires, il faut s’en tenir à la répartition entre salaire et dividendes qu’il a choisie. Il estime que les conditions retenues par la jurisprudence pour convertir ou requalifier un dividende en salaire ne seraient pas remplies. En outre, l’instance inférieure a, à tort, renoncé à examiner le rapport entre les deux composantes et, en lieu et place, a qualifié lesdits versements asymétriques de salaires dans le cadre d’une « question préjudicielle », sous le couvert de l’examen d’une « tentative d’éluder le paiement de cotisations ».
TF
L’objet du litige devant le Tribunal fédéral est de savoir si la rémunération versée par l’employeur au titre de dividendes asymétriques aux associés collaborateurs doit être qualifiée de rendement de la fortune non soumis à cotisations ou de salaire déterminant.
Le Tribunal fédéral constate en premier lieu que le tribunal cantonal reconnaît expressément comme rendement de la fortune exonéré de cotisations une part des libéralités désignées en tant que « dividendes asymétriques ». Concernant les libéralités qu’une société accorde aux actionnaires qu’elle emploie, la première question qui se pose en droit des cotisations est celle de la nature et de la fonction de tels versements. La répartition entre salaire et dividende n’est en principe laissée à la libre appréciation de la société que si cette libéralité peut, à cet égard, aussi bien relever de la prestation de travail que de la participation au capital. Une fois ce point clarifié, la deuxième question consiste à déterminer si la décision de répartition entre salaire déterminant et dividendes satisfait au principe de proportionnalité. En conséquence, le tribunal cantonal a pu examiner « à titre préjudiciel » si et, le cas échéant, dans quelle mesure les « dividendes asymétriques » constituaient sans équivoque un salaire soumis à cotisation (consid. 6.3.1)
L’hypothèse de l’autorité inférieure, selon laquelle l’ »asymétrie » dans les distributions de dividendes est uniquement due aux performances de travail individuelles différentes de chaque actionnaire (et non à leurs droits de participation), n’est pas manifestement inexacte. Le tribunal cantonal n’a donc pas violé le droit en qualifiant a priori les libéralités en question – au vu des circonstances du cas concret examiné – de revenu issu de l’activité lucrative, respectivement de salaire, à hauteur de l’asymétrie, compte tenu de leur nature et de leur fonction de rémunération d’une prestation individuelle de travail efficace (ayant donc un impact sur le chiffre d’affaires). Cette classification en vertu du droit des cotisations demeure même si le versement de « dividendes asymétriques » – malgré la répartition proportionnelle du bénéfice prévue à l’art. 660, al. 1, CO – est autorisé du point de vue du droit des sociétés ou accepté par les autorités fiscales (consid. 6.3.2).
Arrêt 9C_272/2024 consultable ici