Arrêt du Tribunal fédéral 9C_631/2023 (f) du 24.06.2024
Calcul de la rente de vieillesse / art. 52 Règl. 883/2004
Convention de sécurité sociale Suisse-Portugal – Egalité de traitement et discrimination basée sur le handicap / 8 al. 1 Cst. – 8 al. 2 Cst. – 8 CEDH – 14 CEDH
Assurée, ressortissante portugaise née en 1957, a travaillé et accompli des périodes de cotisations au Portugal de 1972 à 1988, puis en Suisse d’octobre 1988 jusqu’à son accession à l’âge de la retraite en 2021. Par décision du 15.09.2021, confirmée sur opposition le 03.06.2022, la caisse de compensation lui a alloué une rente de vieillesse de CHF 1’057 par mois dès le 01.09.2021. Le calcul de la rente tenait compte d’un revenu annuel moyen déterminant de CHF 38’718, de cinq ans de bonifications pour tâches éducatives et d’une échelle de rente 27 déterminée en fonction d’une durée de cotisations de vingt-six ans et trois mois.
Procédure cantonale (arrêt 608 2022 108 – consultable ici)
Par jugement du 30.08.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.
TF
Consid. 3.1 [résumé]
La cour cantonale a confirmé le droit de l’assurée à une rente de vieillesse de CHF 1’057 par mois. Elle a considéré que, dans le cadre de la coordination européenne des systèmes de sécurité sociale, la caisse de compensation était en droit d’effectuer un calcul « autonome » de la rente, conformément à l’art. 52 par. 1 let. a du Règlement (CE) n° 883/2004 (RS 0.831.109.268.1), sans tenir compte des périodes de cotisations accomplies au Portugal, conformément à la jurisprudence constante (ATF 133 V 329 consid. 4.4; 131 V 371 consid. 5, 6 et 7.1; 130 V 51 consid. 5; arrêts 9C_368/2020 du 9 juin 2021 consid. 5 in: SVR 2021 AHV n° 22 p. 71; 9C_9/2018 du 19 juin 2018 consid. 3.2).
La juridiction a également relevé que, bien que l’assurée ait exercé son droit à la libre circulation avant l’entrée en vigueur de l’Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP; RS 0.142.112.681) le 01.06.2002, elle ne pouvait pas se prévaloir d’une disposition plus favorable de la Convention de sécurité sociale du 11 septembre 1975 entre la Suisse et le Portugal (RS 0.831.109.654.1; ci-après: la convention Suisse-Portugal) dans la mesure où il n’en existait pas.
Consid. 3.2 [résumé]
L’assurée ne conteste pas l’application de l’art. 52 par. 1 let. a du règlement n° 883/2004, mais critique la décision des juges cantonaux concernant la convention Suisse-Portugal. Elle argue que si elle avait été invalide à l’âge de la retraite en Suisse (64 ans), sa rente suisse de vieillesse aurait dû inclure les périodes de cotisations au Portugal, selon l’art. 12 al. 2 de la convention, n’ayant pas encore atteint l’âge de la retraite au Portugal (66 ans et 6 mois).
L’assurée soutient que cette disposition crée une inégalité de traitement (art. 8 al. 1 Cst.) et une discrimination basée sur le handicap (art. 8 al. 2 Cst. et 14 CEDH en lien avec l’art. 8 CEDH). Elle affirme que la convention traite différemment les ressortissants portugais en bonne santé et ceux devenus invalides avant l’âge de la retraite, installés en Suisse avant le 01.06.2002, sans justification objective.
Elle conclut que les juges auraient dû prendre en compte ses périodes de cotisations au Portugal dans le calcul de sa rente, appliquant ainsi une échelle de rente complète ou supérieure à l’échelle 27.
Consid. 4.1
Selon l’art. 8 al. 1 Cst., tous les être humains sont égaux devant la loi. Le principe de l’égalité exige que ce qui est semblable soit traité de manière identique et que ce qui est dissemblable soit traité de manière différente. Ainsi, un acte normatif viole l’art. 8 Cst. lorsqu’il établit des distinctions qui ne se justifient par aucun motif raisonnable au regard des faits à réglementer ou qu’il omet d’opérer des distinctions qui s’imposent au vu des circonstances (cf. ATF 149 I 125 consid. 5.1).
Consid. 4.2
Selon l’art. 8 al. 2 Cst., nul ne doit subir de discrimination du fait notamment de son origine, de sa race, de son sexe, de son âge, de sa langue, de sa situation sociale, de son mode de vie, de ses convictions religieuses, philosophiques ou politiques ni du fait d’une déficience corporelle, mentale ou psychique. Il y a discrimination lorsqu’une personne est traitée juridiquement de manière différente uniquement en raison de son appartenance à un groupe particulier qui, historiquement ou dans la réalité sociale actuelle, souffre d’exclusion ou de dépréciation. Le principe de non-discrimination n’interdit pas pour autant toute distinction basée sur l’un des critères énumérés à l’art. 8 al. 2 Cst. de manière non exhaustive. Mais l’usage d’un tel critère fait naître une présomption de différenciation inadmissible qui ne peut être renversée que par une justification qualifiée (cf. ATF 147 I 89 consid. 2.1; 145 I 73 consid. 5.1).
L’art. 14 CEDH n’offre pas à l’assurée une protection plus étendue que le principe de l’égalité garanti à l’art. 8 Cst. (cf. ATF 148 I 160 consid. 8.1).
Consid. 4.3
L’argumentation que l’assurée développe en l’occurrence n’est pas fondée. On relèvera préalablement que, contrairement à ce qu’elle postule pour établir une inégalité de traitement, les périodes de cotisations accomplies au Portugal ne sont pas nécessairement prises en compte dans le calcul de la rente suisse de vieillesse lorsque celle-ci se substitue à une rente suisse d’invalidité (cf. arrêt 9C_540/2023 du 3 juin 2024 consid. 6-8). L’assurée ne saurait dès lors déduire de cet élément une distinction injustifiée entre les ressortissants portugais valides et ceux invalides installés en Suisse avant le 01.06.2002. On ajoutera que si l’état de santé d’un individu est bien un critère en vertu duquel celui-ci ne doit pas subir une discrimination d’après l’art. 8 al. 2 Cst., il est toutefois parfaitement justifié qu’une réglementation portant notamment sur le calcul de prestations d’invalidité (comme l’art. 12 al. 1 de la convention Suisse-Portugal) ou de prestations de vieillesse venant se substituer à une rente d’invalidité (comme l’art. 12 al. 2 de ladite convention) prévoie une distinction entre les personnes valides et celles invalides. L’invocation et la reconnaissance d’une discrimination en raison du handicap dans un tel contexte reviendraient à vider la réglementation de toute sa raison d’être. On relèvera encore que, contrairement à ce que se limite à affirmer l’assurée sans l’établir, l’éventuelle prise en compte des périodes portugaises de cotisations dans le calcul de la rente suisse de vieillesse d’un ressortissant portugais invalide n’implique pas obligatoirement que sa rente sera plus élevée que celle du ressortissant portugais en bonne santé. En effet, le montant de la rente ne dépend pas seulement du nombre de périodes de cotisations mais également d’autres critères, tels que le montant du revenu annuel moyen, qui peut être plus élevé chez une personne valide dans la mesure où son état de santé ne limite pas ses possibilités de gain. Le ressortissant portugais invalide dont les périodes de cotisations dans son pays d’origine sont prises en compte dans le calcul de sa rente suisse de vieillesse n’est donc pas forcément avantagé par rapport à un ressortissant portugais en bonne santé.
Le TF rejette le recours de l’assuré.
Arrêt 9C_631/2023 consultable ici