Arrêt du Tribunal fédéral 8C_661/2023 (f) du 21.05.2024
Rente d’invalidité et marché équilibré du travail / 28 al. 1 LAI – 16 LPGA
Nécessité d’un horaire de travail flexible pour une assurée atteinte d’une endométriose – Capacité de travail exigible de 50% sur le mois
Assurée, née en 1991, est au bénéfice d’un diplôme d’études de commerce, d’un diplôme de Fitness Training Instructor ainsi que d’un diplôme et d’un certificat attestant d’une formation dans le domaine de l’immobilier. Le 23.04.2020, elle a demandé des prestations de l’assurance-invalidité en raison des conséquences d’une endométriose dont elle souffrait depuis l’âge de treize ans.
A la suite d’une instruction complémentaire, le SMR a conclu, le 05.05.2021, qu’il était raisonnablement exigible de retenir une capacité de travail d’au moins 50% dans une activité adaptée dès décembre 2019. Les limitations fonctionnelles étaient les suivantes : pas de port de charges ni de déplacements de longue durée, possibilité d’alterner différentes positions et d’accéder facilement à des toilettes et flexibilité des horaires. Il se fondait en particulier sur un rapport établi le 26.04.2021 par la Dre B.__, spécialiste FMH en médecine interne générale. L’assurée a fait un stage auprès des Établissements publics pour l’intégration (ci-après: les ÉPI) du 20.09.2021 au 19.12.2021 en tant qu’assistante administrative à raison de 20 heures par semaine. Dans le rapport subséquent établi le 03.03.2022, le maître de réadaptation professionnelle a conclu que l’assurée avait les capacités nécessaires pour exercer avec compétence et professionnalisme une activité dans le domaine administratif (secrétariat); le seul frein constaté au cours du stage avait été le grand nombre d’absences pour maladie, lesquelles nécessitaient une flexibilité d’horaires qui était impossible à réaliser dans l’économie ordinaire. La division de réadaptation professionnelle a proposé de retenir un taux d’invalidité de 55% pour l’assurée, en tenant compte d’un temps de travail raisonnablement exigible de 50% et d’un abattement de 10%, en raison du taux d’occupation. Le 09.06.2022, une conseillère en réadaptation professionnelle a précisé que durant le stage, aucune difficulté n’avait été observée sur le plan physique et que l’assurée n’avait pas formulé de plaintes. Ses absences étaient liées à son atteinte à la santé. Celle-ci influait l’horaire de travail et la nature des tâches, qui ne devaient pas être demandées dans des délais courts et urgents. Sur un marché du travail équilibré, l’assurée pourrait occuper un poste à 50% dans le domaine administratif en organisant son horaire sur le mois. Elle avait de très bonnes capacités d’adaptation sur des tâches complexes, une grande polyvalence et était rapidement autonome.
Par décision du 03.11.2022, l’OAI a octroyé à l’assurée une demi-rente d’invalidité fondée sur un taux de 55% dès le 01.12.2020, sous réserve des indemnités journalières déjà versées.
Procédure cantonale (arrêt ATAS/671/2023 – consultable ici)
Par jugement du 06.09.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.
TF
Consid. 3.1
On rappellera préalablement que l’invalidité consiste en une diminution des possibilités de gain de l’assuré sur un marché équilibré du travail si cette diminution résulte d’une atteinte à la santé et si elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (cf. art. 7 al. 1 et 8 al. 1 LPGA).
Consid. 3.2
Chez les assurés actifs, le degré d’invalidité doit être déterminé sur la base d’une comparaison des revenus. Pour cela, le revenu que l’assuré aurait pu obtenir s’il n’était pas invalide est comparé avec celui qu’il pourrait obtenir en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA). Aux termes de l’art. 28 al. 1 LAI (dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021 [modification de la LAI du 19 juin 2020, Développement continu de l’AI; RO 2021 705]) déterminant en l’espèce (ATF 148 V 21 consid. 5.3 et les références), le droit à une rente d’invalidité présuppose notamment que l’assuré a présenté une incapacité de travail (art. 6 LPGA) d’au moins 40% en moyenne durant une année sans interruption notable et qu’au terme de cette année, il est invalide (art. 8 LPGA) à 40% au moins. Selon l’échelonnement des rentes prévu à l’art. 28 al. 2 LAI, l’assuré a droit à une rente entière s’il est invalide à 70% au moins, à un trois quarts de rente s’il est invalide à 60% au moins, à une demi-rente s’il est invalide à 50% au moins ou à un quart de rente s’il est invalide à 40% au moins.
Consid. 5
La notion de marché équilibré du travail est une notion théorique et abstraite qui sert de critère de distinction entre les cas tombant sous le coup de l’assurance-chômage et ceux qui relèvent de l’assurance-invalidité. Elle implique, d’une part, un certain équilibre entre l’offre et la demande de main d’œuvre et, d’autre part, un marché du travail structuré de telle sorte qu’il offre un éventail d’emplois diversifiés, tant au regard des exigences professionnelles et intellectuelles qu’au niveau des sollicitations physiques (ATF 110 V 273 consid. 4b; arrêts 9C_597/2018 du 18 janvier 2019 consid. 5.2; 9C_326/2018 du 5 octobre 2018 consid. 6.2).
Lorsqu’il s’agit d’examiner dans quelle mesure un assuré peut encore exploiter économiquement sa capacité résiduelle de gain sur le marché du travail entrant en considération pour lui (art. 7 al. 1 et 16 LPGA), on ne saurait subordonner la concrétisation des possibilités de travail et des perspectives de gain à des exigences excessives; cet examen s’effectue de façon d’autant plus approfondie que le profil d’exigibilité est défini de manière restrictive. Il s’ensuit que pour évaluer l’invalidité, il n’y a pas lieu d’examiner la question de savoir si un invalide peut être placé eu égard aux conditions concrètes du marché du travail, mais uniquement de se demander s’il pourrait encore exploiter économiquement sa capacité résiduelle de travail lorsque les places de travail disponibles correspondent à l’offre de la main d’oeuvre. On ne saurait toutefois se fonder sur des possibilités de travail irréalistes. Ainsi, on ne peut parler d’une activité exigible au sens de l’art. 16 LPGA, lorsqu’elle ne peut être exercée que sous une forme tellement restreinte qu’elle n’existe pratiquement pas sur le marché général du travail ou que son exercice suppose de la part de l’employeur des concessions irréalistes et que, de ce fait, il semble exclu de trouver un emploi correspondant (ATF 138 V 457 consid. 3.1; arrêts 9C_304/2018 du 5 novembre 2018 consid. 5.1.1; 9C_941/2012 du 20 mars 2013 consid. 4.1.1).
Consid. 6.1
Selon les constatations de la doctoresse B.__ telles que rapportées par la cour cantonale, l’assurée disposait d’une capacité de travail de 100% hors des périodes de crises. La doctoresse a ainsi proposé de retenir une capacité de travail réduite à 50% pour tenir compte des périodes de crises qui survenaient en général une fois par mois pendant quelques jours. D’un point de vue médical, une activité à 50% était envisageable si l’assurée pouvait bénéficier d’horaires flexibles sur un mois. La cour cantonale a encore relevé que les absences de l’assurée pendant le stage aux ÉPI avaient été plus fréquentes que celles avancées par la doctoresse B.__.
Consid. 6.2
On ne saurait suivre l’assurée lorsqu’elle soutient que les limitations fonctionnelles qu’entraînent son atteinte à la santé, en particulier la nécessité d’un horaire de travail flexible, rendent illusoire toute recherche d’emploi, y compris sur un marché de l’emploi réputé équilibré. On doit au contraire admettre qu’un tel marché du travail est suffisamment diversifié et qu’il comprend, dans le domaine administratif tout au moins, des emplois permettant d’organiser relativement librement son temps de travail sur le mois, pour un engagement à 50%. Ce n’était pas le cas lors du stage de trois mois aux ÉPI, où le taux d’activité de l’assurée avait d’emblée été limité à 20 heures par semaine, alors que selon les constatations médicales l’assurée avait une capacité de travail entière (8 heures par jour) en dehors de ses crises liées à l’endométriose. Cette capacité de travail a été fixée médicalement à 50% au lieu de 100% pour tenir compte de la flexibilité des horaires que requérait l’état de santé de l’assurée. Celle-ci dispose donc en réalité d’une capacité (fonctionnelle) totale de travail avec un rendement moyen sur le mois diminué de 50%, compte tenu de ses jours d’absence lors de crises.
Quant à l’argument selon lequel l’assurée avait chaque fois perdu ses emplois précédents en raison de son taux d’absentéisme pour des raisons de santé, il ne saurait davantage remettre en cause ses possibilités réelles de réinsertion sur le marché équilibré de l’emploi à 50%. Dans sa dernière activité professionnelle, l’assurée était engagée à 100% (ou 8 heures par jour; cf. questionnaire de l’assurance-invalidité pour l’employeur) et il ne ressort par ailleurs d’aucune autre pièce au dossier que l’assurée avait été engagée à un taux inférieur à 100% dans les autres emplois exercés précédemment. Par rapport à sa situation professionnelle antérieure, ses absences pour cause de maladie ne seraient désormais plus un obstacle financier pour un employeur potentiel.
Le TF rejette le recours de l’assurée.
Arrêt 8C_661/2023 consultable ici