8C_546/2023 (f) du 28.03.2024 – Capacité de travail dans l’activité habituelle vs dans une activité adaptée – Revenu d’invalide / Abattement sur le salaire statistique (années de service, limitations fonctionnelles pour un genou) nié

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_546/2023 (f) du 28.03.2024

 

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Capacité de travail dans l’activité habituelle vs dans une activité adaptée – Activité habituelle partiellement adaptée aux limitations fonctionnelles – Revenu d’invalide / 16 LPGA

Abattement sur le salaire statistique (années de service, limitations fonctionnelles pour un genou) nié

 

Assuré, né en 1973, travaille depuis 2011 comme opérateur logistique. Le 03.08.2014, il a glissé dans les escaliers à son domicile et ressenti une douleur au genou gauche. Les investigations médicales ont mis en évidence des antécédents opératoires (résection d’un kyste para-méniscal externe) et des troubles dégénératifs débutants. Le spécialiste en chirurgie orthopédique a pratiqué une arthroscopie du genou gauche en mars 2015 puis une arthroscopie et méniscectomie quasi totale du ménisque externe en juin 2017. L’assuré a été en mesure de reprendre son activité à 100% après ces opérations. En octobre 2020, le chirurgien traitant a procédé à l’implantation d’une prothèse unicompartimentale (PUC) externe du genou gauche. A la suite de cette opération, l’assuré a repris progressivement son activité à un taux de 80%. Se fondant sur un rapport de son médecin-conseil, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, l’assurance-accidents a, par décision du 21.02.2022, confirmée sur opposition le 03.10.2022, mis un terme au versement des indemnités journalières et à la prise en charge du traitement médical au 30.04.2022, refusé le droit à une rente d’invalidité et accordé à l’assuré une indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI), fondée sur un taux de 10%.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2022 189 – consultable ici)

Par jugement du 01.07.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2
Conformément à l’art. 16 LPGA, pour évaluer le taux d’invalidité, le revenu que l’assuré aurait pu réaliser s’il n’était pas invalide est comparé avec celui qu’il pourrait obtenir en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré. La comparaison des revenus s’effectue, en règle générale, en chiffrant aussi exactement que possible les montants de ces deux revenus et en les confrontant l’un avec l’autre, la différence permettant de calculer le taux d’invalidité (méthode ordinaire de la comparaison des revenus; ATF 137 V 334 consid. 3.1.1).

Consid. 3.3
Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS) (ATF 148 V 419 consid. 5.2, 174 consid. 6.2; 139 V 592 consid. 2.3). Aux fins de déterminer le revenu d’invalide, le salaire fixé sur cette base peut à certaines conditions faire l’objet d’un abattement de 25% au plus (ATF 148 V 419 consid. 5.2, 174 consid. 6.3; 129 V 472 consid. 4.2.3).

Consid. 3.4
Dans le domaine des assurances sociales, le juge fonde généralement sa décision sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables, c’est-à-dire qui présentent un degré de vraisemblance prépondérante. Il ne suffit donc pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible; la vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités revêtent une importance significative ou entrent raisonnablement en considération. Il n’existe par conséquent pas de principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1). Par ailleurs, la procédure est régie par le principe inquisitoire, selon lequel les faits pertinents de la cause doivent être constatés d’office par le juge. Ce principe n’est cependant pas absolu. Sa portée est restreinte par le devoir des parties de collaborer à l’instruction de l’affaire. Celui-ci comprend en particulier l’obligation des parties d’apporter, dans la mesure où cela peut raisonnablement être exigé d’elles, les preuves commandées par la nature du litige et des faits invoqués, faute de quoi elles risquent de devoir supporter les conséquences de l’absence de preuves (cf. art. 43 et 61 let. c LPGA; voir également ATF 139 V 176 consid. 5.2; 125 V 193 consid. 2).

 

Consid. 5.4
Dans ses réponses apportées le 29.10.2022 à un questionnaire soumis par le mandataire de l’assuré, le spécialiste en médecine interne générale et médecin traitant a indiqué, s’agissant de la pleine capacité de travail exigible retenue par l’assureur-accidents, qu’une reprise à plein temps était illusoire, relevant que l’orthopédiste traitant attestait toujours d’une incapacité de travail de 20%. Malgré des activités déjà allégées par l’employeur, l’assuré était toujours gêné au niveau du genou gauche qui enflait et lâchait surtout en fin de journée. Toutes les limitations fonctionnelles retenues par le médecin-conseil étaient exactes, mais l’expérience à sa place actuelle avait démontré qu’il y avait d’autres limitations tenant essentiellement au temps de travail, le médecin traitant énonçant à cet égard un facteur d’épuisement de « l’organe » handicapé souvent ignoré par les experts. Ce faisant, il se prononce sur l’exigibilité au regard de l’activité actuelle exercée par l’assuré. Ses réponses ne sont pas de nature à mettre en doute les conclusions du médecin-conseil quant à la capacité de travail entière dans une activité adaptée qui ne nécessite pas de position en porte-à-faux du membre inférieur gauche, de position à genoux ou accroupie, d’utilisation répétée d’escaliers, de déplacements en terrain accidenté ni de port de charges lourdes. La fatigue de l’articulation du genou liée à l’activité physique de l’assuré a été en outre expressément prise en compte par le médecin-conseil. Par ailleurs, rien au dossier ne permet d’attester une adaptation du poste de travail respectivement un allègement des activités par l’employeur. En l’état, l’activité d’opérateur logistique, reprise à 80%, n’est pas adaptée aux séquelles de l’accident. Au regard de la description du poste de travail contenue dans les rapports d’entretien de l’assureur-accidents, il s’agit d’une activité physique avec des ports de charges jusqu’à 30 kg, avec pour tâches principales la manutention de colis, la gestion du stock et le chargement des camions. Compte tenu en particulier du port de charges, cette activité n’est pas raisonnablement exigible.

Consid. 5.5
Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de s’écarter de la capacité de travail de 100% dans une activité adaptée retenue par l’assurance-accidents sur la base de l’appréciation de son médecin-conseil.

 

Consid. 6.2.1
Selon la jurisprudence, la mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération. Il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 419 consid. 5.3, 174 consid. 6.3; 126 V 75 consid. 5b/bb).

Consid. 6.2.2
Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral (ATF 148 V 419 consid. 5.4; 146 V 16 consid. 4.2; 142 V 178 consid. 2.5.9). En revanche, l’étendue de l’abattement sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit (ATF 148 V 419 consid. 5.4; 137 V 71 consid. 5.1).

Consid. 6.2.3
En l’espèce, la prise en compte d’un abattement lié aux années de service n’est pas justifiée dans le cadre du choix du niveau de compétences 1 de l’ESS, l’influence de la durée de service sur le salaire étant peu importante dans cette catégorie d’emplois qui ne nécessitent ni formation ni expérience professionnelle spécifique (arrêt 8C_706/2022 du 5 décembre 2023 consid. 6.3.1 et l’arrêt cité).

Pour le surplus, les séquelles de l’accident ne sont pas de nature à justifier un abattement. Les limitations au genou gauche ne restreignent la capacité de l’assuré que dans certaines positions (position en porte-à-faux du membre inférieur gauche, position à genoux et accroupie) et situations bien particulières (utilisation répétée d’escaliers, déplacement en terrain accidenté, port de charges lourdes). Ces limitations, qui ne sont pas inhabituelles, sont compatibles avec des activités simples et légères, et ne requièrent pas des concessions telles, de la part d’un employeur, qu’un abattement sur le salaire tiré de l’ESS s’imposerait pour en tenir compte.

C’est ainsi à bon droit que la cour cantonale n’a procédé à aucun abattement.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_546/2023 consultable ici

 

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