4A_362/2020 (f) du 22.01.2021 – Responsabilité civile – Prescription – 60 CO (teneur jusqu’au 31.12.2019) / Dies a quo du délai de prescription – Connaissance cumulative du dommage et de la personne qui en est l’auteur / Abus de droit – 2 al. 2 CC

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_362/2020 (f) du 22.01.2021

 

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Responsabilité civile – Prescription / 60 CO (teneur jusqu’au 31.12.2019)

Dies a quo du délai de prescription – Connaissance cumulative du dommage et de la personne qui en est l’auteur

Abus de droit / 2 al. 2 CC

 

N.B.__ et C.B.__ sont propriétaires d’une parcelle sur laquelle est érigé un bâtiment construit avant 1800 (ci-après: le bâtiment historique).

A.__ sont propriétaires d’une parcelle mitoyenne, occupée depuis 1990 par la station de pompage de…. Avant cela, cette parcelle abritait une ancienne centrale de télécommunication. Les deux bâtiments sont séparés par une cour. A.__ ont installé à l’époque de la construction de leur immeuble un joint d’étanchéité sur leur parcelle, lequel longe le bas de la façade est du bâtiment des propriétaires B.__.

Les propriétaires B.__ ont rencontré des problèmes d’infiltration d’eau dans le bâtiment historique en 2005-2006, puis en 2008-2009 et ont procédé à des travaux qui ont permis de les juguler.

En 2012, et surtout en 2013 à la suite de fortes intempéries, ils ont derechef constaté des dégâts d’eau. Les locaux étaient devenus insalubres et les locataires du sous-sol/rez inférieur avaient dû quitter les lieux. Le seul moyen d’investigation avait été de détruire les locaux, de mettre les murs et les sols – soit les dallages – à nu et de procéder à l’enlèvement des plafonds. C’est alors, après avoir effectué des tests in situ, que leur architecte, C.__, et eux se sont rendu compte que l’eau provenait du mur mitoyen avec A.__.

Selon l’architecte prénommé, le joint installé par A.__ s’était détérioré, ce qui avait causé les dégâts. Dans un rapport du 13.01.2014, il pointe la responsabilité du joint horizontal installé au pied de la façade, sans exclure que le joint vertical entre les deux immeubles soit également la source d’infiltrations d’eau. Le dommage total y est chiffré à 384’524 fr. pour les années 2013 et 2014 dont le 85% devrait être assumé par A.__, soit 326’845 fr. 40. Ce rapport a été communiqué à A.__.

Sur la base de ce rapport, les propriétaires B.__ ont entrepris les travaux préconisés par l’architecte en créant un nouveau mur extérieur et en posant une ferblanterie et une protection sur le joint longeant la façade est de leur bâtiment, afin d’en assurer son étanchéité. Ces travaux se sont achevés fin juillet 2014 et les locaux ont été reloués au début du même mois. Les infiltrations ont totalement cessé depuis leur achèvement.

Les propriétaires B.__ et A.__ n’ont pas pu s’entendre, ces derniers contestant leur responsabilité et le contenu du rapport du 13.01.2014.

N.B.__ et A.__ ont mandaté d’un commun accord D.__ SA afin de procéder à une expertise du bâtiment et de déterminer l’éventuelle responsabilité de A.__.

D.__ SA a délivré son rapport le 26.02.2015. Il dédouane A.__ de toute responsabilité en retenant qu’aucun manquement n’a été révélé s’agissant de la station de pompage alors que, dans le bâtiment historique, la construction du sous-sol n’a pas été réalisée dans les règles de l’art et ne permet pas de se prémunir durablement de l’humidité dans le terrain.

L’architecte des propriétaires B.__ a, à la lecture de ce rapport, décidé de dresser une contre-expertise. Le 28.04.2015, il a délivré un second rapport dans lequel, après avoir chiffré les travaux entrepris en 2013 et 2014 à 325’945 fr. 60 et la perte locative à 42’408 fr., il procède à la répartition suivante : à la charge de A.__, l’entier de la perte locative, l’essentiel des travaux entrepris en 2013 (62’240 fr. sur 63’960 fr. après déduction d’une facture de géomètre) et le 67% des travaux entrepris en 2014 (165’665 fr. 60 sur 261’985 fr. 60), déduction faite d’un montant de 14’705 fr. à titre de vétusté (car une partie des locaux avait été rénovée douze ans auparavant), ce qui fait un total de 270’313 fr. 60; le solde à la charge des propriétaires B.__.

Cette contre-expertise a été communiquée le 21.05.2015 à A.__ accompagnée d’une mise en demeure de verser la somme de 270’313 fr. 60 au 15.06.2015. Par réponse du 02.06.2015, A.__ ont persisté dans leur refus.

Le 15.06.2015, les propriétaires B.__ ont requis une poursuite contre A.__ pour la somme susdite, dont le commandement de payer a été frappé d’opposition.

 

Procédures cantonales

Le 26.08.2016, N.B.__ et C.B.__ ont assigné A.__ en justice en paiement de 270’313 fr. 60, somme qu’ils réduiront ultérieurement à 267’000 fr, plus intérêts. A.__ ont conclu au rejet de la demande. Ils ont invoqué la prescription au motif que le délai d’un an avait commencé à courir au plus tard le 13.01.2014, date du rapport de l’architecte C.__.

Un expert judiciaire a été nommé en la personne de E.__, lequel a délivré son rapport le 04.11.2018.

Par jugement du 29.10.2019, le Tribunal de première instance de Genève a condamné A.__ à verser aux demandeurs la somme de 217’706 fr. plus intérêts et prononcé la mainlevée définitive de l’opposition à concurrence de ce montant. Le premier juge a estimé que les prétentions en dommages-intérêts des propriétaires B.__ n’étaient pas prescrites. En date du 26.03.2014, même si certains éléments laissaient supposer que les infiltrations avaient pu provenir du bâtiment mitoyen de A.__, ils n’avaient pas encore de connaissance certaine de l’auteur du dommage, raison pour laquelle ils s’en étaient remis à D.__ SA pour en déterminer l’origine et le responsable. D.__ SA n’avait pas reconnu la responsabilité de A.__; ce n’était donc qu’après la remise du rapport de contre-expertise de l’architecte C.__ du 28.04.2015 que les propriétaires B.__ avaient pu retenir que la responsabilité de A.__ était engagée. Le délai de prescription avait commencé à courir le 28.04.2015 et avait été interrompu par la notification du commandement de payer, le 28.08.2015. Les propriétaires B.__ avaient ensuite agi en justice dans un délai d’un an à compter de cette date. S’agissant des responsabilités, le Tribunal s’est fondé sur le rapport d’expertise judiciaire dont il ressortait que plusieurs facteurs avaient joué un rôle dans la survenance du dommage. Constatant que l’expert n’avait pu associer un coût à un problème précis, il a statué en équité et fait supporter à A.__ le 60% des coûts relatifs aux années 2013 et 2014 et aux propriétaires B.__ le 40% restant.

Statuant sur appel de A.__, la Cour de justice de Genève a, par arrêt du 05.05.2020 (C/16647/2016, ACJC/614/2020), confirmé le jugement entrepris. La cour cantonale a raisonné en deux étapes. En premier lieu, elle a considéré que le dies a quo de la prescription remontait au 14.01.2014, c’est-à-dire le lendemain de la réception par les demandeurs du rapport de l’architecte C.__. Selon les juges cantonaux, ce rapport imputait clairement au défendeur la responsabilité du principe d’étanchéité entre les deux immeubles; il chiffrait également le montant total du dommage à 384’524 fr. sur la base des devis des entreprises. Contrairement à l’opinion du premier juge, la date déterminante ne correspondait donc pas à la réception du rapport de contre-expertise de l’architecte C.__ du 28.04.2015. Certes, ce dernier rapport chiffrait exactement le montant du dommage sur la base non plus des devis, mais des factures des entreprises qui avaient, dans l’intervalle, exécuté les travaux. Cela étant, les demandeurs ne pouvaient différer leur demande jusqu’à en connaître la somme exacte : l’ampleur du préjudice ne résultait pas d’une situation évolutive et des infiltrations subséquentes ne s’étaient pas produites. Si les réflexions de la cour cantonale s’étaient arrêtées là, il lui eût fallu conclure que la prescription était acquise. Les juges cantonaux ont toutefois estimé que A.__ excipait abusivement de la prescription. Le 26.03.2014, les parties avaient mandaté d’un commun accord D.__ SA aux fins d’effectuer une expertise destinée à déterminer tant les causes des dommages survenus que leur imputation. Il s’agissait d’une démarche qui avait incité les demandeurs à ne pas se préoccuper de l’interruption du délai de prescription, dès lors qu’ils étaient maintenus dans la confiance que cette expertise-là aboutirait à une solution amiable et dans le sens de leurs intérêts. Toujours selon les juges cantonaux, l’abus de droit avait infléchi le cours de la prescription : le délai avait couru du 14.01.2014 au 25.03.2014, puis il avait été suspendu du 26.03.2014 au 26.02.2015, date à laquelle D.__ SA avait rendu son rapport. Il avait repris son cours le lendemain, soit le 27.02.2015, et avait été interrompu par la réquisition de poursuite des demandeurs à la suite de laquelle le commandement de payer du 28.08.2015 avait été notifié. Au final, il n’avait donc pas atteint une année.

 

TF

Prescription

L’art. 60 al. 1 CO exige la connaissance cumulative du dommage et de la personne qui en est l’auteur.

Selon la ligne tracée par la jurisprudence, le créancier connaît suffisamment le dommage lorsqu’il apprend, touchant son existence, sa nature et ses éléments, les circonstances propres à fonder et à motiver une demande en justice; le créancier n’est pas admis à différer sa demande jusqu’au moment où il connaît le montant absolument exact de son préjudice, car le dommage peut devoir être estimé selon l’art. 42 al. 2 CO. Au demeurant, le dommage est suffisamment défini lorsque le créancier détient assez d’éléments pour qu’il soit en mesure de l’apprécier (ATF 111 II 55 consid. 3a p. 57; 109 II 433 consid. 2 p. 434). Le créancier est en mesure de motiver sa demande lorsqu’il connaît le montant réel (maximal) de son dommage. Il lui est en effet toujours possible de réduire en tout temps ses conclusions en cours d’instance (art. 227 al. 3 CPC; arrêt 4A_509/2015 du 11 février 2016 consid. 3.2), s’il se révèle que sa demande était trop élevée (ATF 74 II 30 consid. 1c), en particulier s’il est parvenu à diminuer le dommage.

Le délai de l’art. 60 al. 1 CO part du moment où le lésé a effectivement connaissance du dommage au sens indiqué ci-dessus, et non de celui où il aurait pu découvrir l’importance de sa créance en faisant preuve de l’attention commandée par les circonstances (ATF 136 III 322 consid. 4.1; 131 III 61 consid. 3.1.1; arrêt 4A_52/2020 du 19 août 2020 consid. 3.3.2). Cette jurisprudence ne va cependant pas jusqu’à protéger celui qui se désintéresse de la question du dommage. Le lésé est tenu d’avoir un comportement conforme à la bonne foi (art. 2 CC). S’il connaît les éléments essentiels du dommage, on peut attendre de lui qu’il se procure les informations nécessaires à l’ouverture d’une action (ATF 109 II 433 consid. 2 p. 435, confirmé notamment par l’arrêt 2C.3/2005 du 10 janvier 2007 consid. 5.1; arrêt 4A_454/2010 du 6 janvier 2011 consid. 3.1).

Quant à la connaissance de la personne, auteur du dommage au sens de l’art. 60 al. 1 CO, elle n’est pas acquise dès l’instant où le lésé présume que la personne en cause pourrait devoir réparer le dommage, mais seulement lorsqu’il connaît les faits qui fondent son obligation de réparer; en revanche, il n’est pas nécessaire qu’il connaisse également le fondement juridique de ce devoir; en effet, l’erreur de droit – qu’elle soit excusable ou non – n’empêche pas le cours de la prescription (ATF 131 III 61, consid. 3.1.2, 82 II 43 consid. 1a; arrêts 4C.182/2004 du 23 août 2004 consid. 5.2.1, 4C.234/1999 du 12 janvier 2000 consid. 5c/cc).

 

Dies a quo du délai de prescription

En l’espèce, la cour cantonale n’a pas méconnu ces principes en retenant que les propriétaires B.__ avaient eu une connaissance suffisante du dommage ainsi que de la personne responsable à réception du premier rapport de leur architecte, daté du 13.01.2014.

Les propriétaires B.__ ont beau jeu de prétendre qu’en janvier 2014, de fortes incertitudes subsistaient quant à la cause du dommage, c’est-à-dire la personne du responsable. En réalité, après la mise à nu des locaux et la réalisation de tests in situ, leur architecte a été catégorique sur le fait que l’eau provenait du mur mitoyen du bâtiment historique avec A.__, l’étanchéité de leur construction, respectivement du joint horizontal installé par leurs soins, étant déficiente. Certes, ce même architecte a déclaré lors de son audition comme témoin avoir continué à « se méfier » de, autrement dit à évaluer, l’hypothèse selon laquelle l’eau provenait également des sous-sols en plus des murs. La cour cantonale ne l’a nullement passée sous silence. Toutefois, à supposer réalisée, cette hypothèse, qu’il n’a – entre parenthèses – lui-même pas jugée suffisamment sérieuse pour justifier d’emblée la réalisation de travaux de réfection, n’aurait en tout état de cause constitué qu’une cause additionnelle du dommage. L’architecte a estimé que le 85% du dommage total, soit 326’845 fr. 40, était à la charge de A.__. Les propriétaires B.__ estiment avoir obtenu des informations suffisantes uniquement à la lecture du second rapport de leur architecte, daté du 28.04.2015. Ils méconnaissent toutefois que ce dernier a déclaré qu’il n’y avait « aucune différence » entre son rapport du 13.01.2014 et la contre-expertise du 28.04.2015. Ils avancent encore qu’auparavant, la situation n’était pas « clairement établie » et en veulent pour preuve que les deux expertises – i.e. celle de leur architecte et celle de D.__ SA – parvenaient à des résultats contradictoires. Cette lecture des événements ne convainc toutefois pas. Le rapport de cette société n’a fait que les convaincre de la justesse des conclusions de leur architecte, que ce dernier a confirmées en se fendant – spontanément à l’en croire, démontrant ainsi que ses convictions étaient solidement ancrées – d’une contre-expertise. Ils ont d’ailleurs aussitôt brandi celle-ci à l’appui de leurs prétentions contre A.__. La responsabilité de ce dernier ne relevait donc pas seulement du domaine des hypothèses; les propriétaires B.__ n’avaient pas de raison d’en douter dès le moment où le premier rapport de leur architecte qui ne comportait pas moins de 138 pages la pointait du doigt après que des tests l’ont révélée.

Quant au montant du dommage, les propriétaires B.__ font valoir qu’ils n’avaient aucune certitude que les travaux préconisés dans ce rapport permettraient d’éviter les infiltrations d’eau; raison pour laquelle, nonobstant les travaux entrepris, leur architecte avait fait réaliser un faux-plancher technique et amovible afin de pouvoir constater à tout moment l’état du sol. Ils prêtent toutefois au doute des vertus dont il est dépourvu en la circonstance. Car si les propriétaires B.__ se trouvaient en proie à une telle hésitation quant à savoir si les travaux indiqués seraient suffisants, ils devaient se procurer les informations pour chiffrer ceux qui s’imposeraient en complément. Rien n’indique que cela fût impossible ou disproportionné dans le cas d’espèce. L’on peut fort bien concevoir que – comme l’a exprimé l’expert judiciaire – le problème de l’étanchéité soit parmi ceux qui sont les plus difficiles à résoudre dans le domaine de la construction et qu’il soit très difficile de résoudre à 100% un semblable problème. Cela étant, le principe de la prescription serait vidé de son essence si le délai ne commençait à courir qu’à partir du moment où les demandeurs devaient bénéficier d’une certitude absolue. Le fait qu’il s’agisse in casu d’un court délai de prescription ne change rien à cela.

Le dies a quo du délai de prescription relatif d’un an est bien celui retenu dans le jugement attaqué, à savoir le 14.01.2014.

 

Abus de droit – 2 al. 2 CC

A teneur de l’art. 2 al. 2 CC, l’abus manifeste d’un droit n’est pas protégé par la loi. Cette règle permet au juge de corriger les effets de la loi dans certains cas où l’exercice d’un droit allégué créerait une injustice manifeste. Le juge apprécie la question au regard des circonstances concrètes. Les cas typiques en sont l’absence d’intérêt à l’exercice d’un droit, l’utilisation d’une institution juridique de façon contraire à son but, la disproportion manifeste des intérêts en présence, l’exercice d’un droit sans ménagement et l’attitude contradictoire. L’abus de droit doit être admis restrictivement, comme l’exprime l’adjectif « manifeste » utilisé dans le texte légal (ATF 143 III 279 consid. 3.1 p. 281; 135 III 162 consid. 3.3.1 p. 169 et les arrêts cités).

Le débiteur commet un abus de droit au sens de l’art. 2 al. 2 CC en se prévalant de la prescription non seulement lorsqu’il amène astucieusement le créancier à ne pas agir en temps utile, mais aussi lorsque, sans mauvaise intention, il a un comportement qui incite le créancier à renoncer à entreprendre des démarches juridiques pendant le délai de prescription et que, selon une appréciation raisonnable, fondée sur des critères objectifs, ce retard apparaît compréhensible. Ainsi, quand le débiteur – alors que le délai de prescription courait encore – a déterminé le créancier à attendre, il abuse de son droit en lui reprochant ensuite de n’avoir pas agi après s’être prévalu de la prescription (venire contra factum proprium; ATF 143 III 348 consid. 5.5.1; 128 V 236 consid. 4a; 113 II 269 consid. 2e et les réf.; cf. également ATF 131 III 430 consid. 2). Le comportement en cause peut par exemple consister à maintenir le créancier dans l’espoir que des discussions aboutiront à une solution favorable à ses intérêts (cf. arrêt C.114/1987 du 6 juillet 1987 consid. 4; KARL SPIRO, Die Begrenzung privater Rechte durch Verjährungs-, Verwirkungs- und Fatalfristen, vol. I, 1975, p. 245 ss). Le comportement du débiteur doit être en relation de causalité avec le retard à agir du créancier (ATF 143 III 348 consid. 5.5.1; 128 V 236 consid. 4a).

En l’espèce, la cour cantonale a considéré que le fait pour A.__ de mandater un expert d’un commun accord avec les propriétaires B.__ constituait une démarche qui avait incité ces derniers à ne pas se préoccuper de l’interruption du délai de prescription « dès lors qu’ils étaient maintenus dans la confiance que cette expertise-là aboutirait à une solution amiable et dans le sens de leurs intérêts », ajoutant encore « en effet, cette expertise avait notamment pour but de déterminer tant les causes des dommages survenus que l’imputation de ceux-ci ».

Ces considérations ne sauraient être partagées. En l’absence d’assurances expresses de son adverse partie, pour quelle raison le créancier serait-il incité à renoncer à entreprendre des démarches juridiques tant qu’une expertise conjointe est en cours ? Le résultat de celle-ci n’est pas d’emblée acquis; elle peut parfaitement parvenir à une conclusion défavorable à ses intérêts. C’est précisément ce qui s’est produit en l’occurrence, à mesure que le rapport d’expertise de D.__ SA exonère A.__ de toute responsabilité. Sans désemparer, les propriétaires B.__ ont dès lors eu recours à une contre-expertise de leur propre architecte pour en infirmer les conclusions, avant de requérir la poursuite puis d’agir en justice. La cour cantonale a toutefois considéré que les propriétaires B.__ étaient « maintenus dans la confiance que cette expertise-là aboutirait à une solution amiable et dans le sens de leurs intérêts ». A ce stade pourtant, les propriétaires B.__ et A.__ n’avaient pas pu s’entendre, ces derniers contestant leur responsabilité et le contenu du premier rapport de l’architecte C.__ du 13.01.2014. Et les questions soumises à l’expert ne contenaient pas le germe d’un aveu de A.__ d’une quelconque responsabilité. Elles tendaient tout simplement à déterminer quel était le responsable des dégâts et le montant du dommage. Les propriétaires B.__ étaient visiblement persuadés de leur bon droit, disposant d’un rapport tranché de leur architecte mettant en cause le bâtiment de A.__. Cela étant, ils ne pouvaient pour autant présumer que l’expert mandaté conjointement adhérerait à ces conclusions et que A.__ se rangerait nécessairement aux résultats de la nouvelle expertise : ils ne s’y sont eux-mêmes pas pliés. Ils devaient envisager que l’expert en cause exprime un avis divergent et, soit obtenir une renonciation expresse à invoquer la prescription de leur adverse partie, soit interrompre le cours de celle-ci, ce qu’ils ont fait ultérieurement – mais tardivement – en requérant une poursuite à son encontre. Leur retard à agir n’est objectivement pas compréhensible.

Partant, il n’y a rien d’abusif pour A.__ à invoquer la prescription de la créance en dommages-intérêts. Contrairement à ce qu’avancent les propriétaires B.__ en invoquant l’équité, cette institution n’est pas ici détournée de son but.

 

La prescription d’un an qui a débuté le 14.01.2014 est ainsi échue le 14.01.2015 sans avoir été interrompue. Elle fait ainsi échec à l’exigibilité de la créance invoquée par les propriétaires B.__.

 

Le TF admet le recours de A.__, réformant l’arrêt de la cour cantonale, en ce sens que la demande des propriétaires B.__ contre A.__ est intégralement rejetée.

 

 

Arrêt 4A_362/2020 consultable ici

 

 

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