2C_243/2020 (f) du 25.06.2020 – Devoir professionnel de l’avocat – 12 LLCA / L’avocat doit s’abstenir de tenir des propos inutilement blessants et de menacer d’un dépôt d’une plainte pénale sans aucun fondement

Arrêt du Tribunal fédéral 2C_243/2020 (f) du 25.06.2020

 

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Devoir professionnel de l’avocat / 12 LLCA

L’avocat doit s’abstenir de tenir des propos inutilement blessants et de menacer d’un dépôt d’une plainte pénale sans aucun fondement

 

L’art. 12 let. a LLCA dispose que l’avocat exerce sa profession avec soin et diligence. Cette disposition constitue une clause générale, qui permet d’exiger de l’avocat qu’il se comporte correctement dans l’exercice de sa profession (ATF 144 II 473 consid. 4.1 p. 476 et les références citées). Elle ne se limite pas aux rapports professionnels de l’avocat avec ses clients, mais comprend aussi les relations avec les confrères et les autorités (ATF 144 II 473 consid. 4.1 p. 476). L’art. 12 let. a LLCA suppose l’existence d’un manquement significatif aux devoirs de la profession (ATF 144 II 473 consid. 4.1 p. 476).

En l’occurrence, il est reproché à l’avocat recourant d’avoir violé son devoir de diligence à trois reprises: tout d’abord en remettant à sa cliente qui se trouvait en détention un courrier de son concubin, puis en dénonçant disciplinairement à tort un confrère et, enfin, en menaçant ouvertement la directrice de C.__ Sàrl – Institut d’action et de développement en psychologie du trafic (ci-après: C.__) de poursuites pénales sans fondement, ainsi qu’en adoptant à l’égard de celle-ci un ton inacceptable pour un avocat.

 

Le premier devoir professionnel de l’avocat consiste à défendre les intérêts de ses clients et il dispose d’une large marge de manœuvre pour déterminer quels sont les moyens et les stratégies qui, selon lui, sont les plus aptes à réaliser ce but (ATF 144 II 473 consid. 4.3 p. 477; 131 IV 154 consid. 1.3.2 p. 158). L’avocat peut défendre les intérêts de ses clients de manière vigoureuse et s’exprimer de manière énergique et vive. Il n’est pas tenu de choisir la formulation la plus mesurée à l’encontre de la partie adverse, ni de peser tous ses mots. Une certaine marge d’exagération, voire même de provocation, doit ainsi être acceptée (ATF 131 IV 154 consid. 1.3.2 p. 158; 130 II 270 consid. 3.2.2 p. 278; arrêts 2C_307/2019 du 8 janvier 2020 consid. 7.1.2; 2C_507/2019 du 14 novembre 2019 consid. 5.1.3; 2C_907/2017 du 13 mars 2018 consid. 3.2; 2C_620/2016 du 30 novembre 2016 consid. 2.2; 2C_103/2016 du 30 août 2016 consid. 3.2.1).

Tous les moyens ne sont toutefois pas permis. Un comportement inutilement agressif ne correspond pas à une manière d’exercer la profession avec soin et diligence au sens de l’art. 12 let. a LLCA (ATF 130 II 270 consid. 3.2.2 p. 277; arrêt 2C_307/2019 du 8 janvier 2020 consid. 5.1.3). L’avocat assume une tâche essentielle à l’administration de la justice, en garantissant le respect des droits des justiciables, et joue ainsi un rôle important pour le bon fonctionnement des institutions judiciaires au sens large. Il est partant tenu de s’abstenir de tout acte susceptible de remettre en cause la confiance qui doit pouvoir être placée dans la profession et faire montre d’un comportement correct dans son activité (ATF 144 II 473 consid. 4.3 p. 477 et les références; 130 II 270 consid. 3.2.2 p. 277 s.). Il doit contribuer à ce que les conflits juridiques se déroulent de manière appropriée et professionnelle et s’abstenir de tenir des propos inutilement blessants (ATF 131 IV 154 consid. 1.3.2 p. 158; arrêt 2C_307/2019 du 8 janvier 2020 consid. 5.1.3 et les arrêts cités). L’avocat n’agit pas dans l’intérêt de son client s’il se livre à des attaques excessives inutiles, susceptibles de durcir les fronts et de conduire à une escalade dans le conflit (ATF 130 II 270 consid. 3.2.2 p. 277; arrêt 2C_307/2019 du 8 janvier 2020 consid. 5.1.3 et les arrêts cités).

Par ailleurs, l’avocat ne peut en règle générale se servir de moyens juridiques inadéquats pour exercer des pressions (cf. arrêts 2C_782/2015 du 19 janvier 2016 consid. 5.2; 2C_247/2014 du 26 novembre 2014 consid. 2.2; 2A.448/2003 du 3 août 2004 consid. 6; par ex. la menace du dépôt d’une plainte pénale: arrêts 2C_1180/2013 du 24 octobre 2014 consid. 4.1.1; 2P.130/1997 du 30 juin 1997 in RDAT 1998 I n. 10 p. 37 consid. 5 c).

 

En l’espèce, d’après le jugement entrepris, la directrice de C.__ avait été mandatée pour effectuer une expertise visant à déterminer l’aptitude à la conduite de l’un des clients du recourant. Insatisfait du résultat de cette expertise, l’avocat recourant avait notamment écrit à C.__ que l’expertise n’avait pas été réalisée dans les règles de l’art et que les conclusions étaient « iniques et arbitraires ». Par la suite, l’avocat recourant avait invoqué une inexécution du contrat de mandat. Après que la directrice de C.__ avait formé une dénonciation à la Chambre de surveillance, l’avocat recourant lui avait en outre adressé un courrier lui impartissant un unique délai pour la retirer, en se réservant le « droit d’envisager la piste pénale » et en citant l’art. 181 CP (contrainte).

On ne voit aucune utilité dans la bonne défense des intérêts d’un client à qualifier les conclusions d’une expertise « d’iniques ». En outre, il résulte de la lecture complète des critiques du recourant figurant au dossier (cf. art. 105 al. 2 LTF) que celui-ci s’en est pris, sans aucune raison, personnellement à l’experte, en lui reprochant notamment une « désinvolture » et une « vision arbitraire », au lieu de s’en tenir à une critique factuelle du contenu de l’expertise. Le fait que l’avocat recourant ait tenu ces propos non pas oralement dans le feu d’une séance mais par écrit, mode d’expression qui laisse en règle générale l’opportunité de la réflexion et de la mesure des mots employés, constitue une circonstance aggravante (cf. arrêt 2C_247/2014 du 26 novembre 2014 consid. 2.3). Il est impossible dans ces conditions de considérer que les critiques de l’avocat sont restées dans la mesure de l’acceptable comme il le prétend.

A cela s’ajoute que rien ne justifiait que l’avocat recourant exigeât de la directrice de C.__ le retrait de sa dénonciation auprès de la Chambre de surveillance, en précisant envisager la piste pénale le cas échéant. Si l’avocat recourant estimait que les écrits qu’il avait envoyés à la directrice de C.__ n’avaient aucun contenu inutilement vexatoire ou attentatoire à l’honneur, il n’avait qu’à le faire valoir devant la Commission de surveillance, dès lors que celle-ci avait déjà été saisie. L’avocat recourant prétend n’avoir fait que formuler une « réserve usuelle de la part d’un avocat ». L’argument frise la témérité. La menace du dépôt d’une plainte pénale sans aucun fondement – on ne voit en effet aucunement en quoi le fait que la directrice de C.__ se soit adressée à la Commission de surveillance aurait pu constituer une tentative de contrainte – afin d’obtenir le retrait d’une dénonciation est inacceptable (cf. arrêt 6B_275/2016 du 9 décembre 2016 consid. 4.2.2; ATF 120 IV 17 consid. 2 p. 19).

Sur le vu de ces circonstances, c’est à bon droit que le Tribunal cantonal a confirmé que l’avocat recourant avait violé son devoir de diligence par son comportement à l’égard de la directrice de C.__.

 

Le TF rejette le recours de l’avocat.

 

 

Arrêt 2C_243/2020 consultable ici

 

 

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