8C_226/2019 (f) du 15.11.2019 – Restitution de prestations indûment touchées – Condition de l’importance notable – 25 LPGA – 95 LACI / Notion du salaire pris en considération comme gain assuré – Indemnités de trajet – 23 al. 1 LACI / Frais de déplacement au sens des art. 5 al. 2 LAVS et 9 al. 2 RAVS / Délai d’attente – 18 al. 1bis LACI – 6a al. 3 OACI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_226/2019 (f) du 15.11.2019

 

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Restitution de prestations indûment touchées – Condition de l’importance notable / 25 LPGA – 95 LACI

Notion du salaire pris en considération comme gain assuré – Indemnités de trajet / 23 al. 1 LACI

Frais de déplacement au sens des art. 5 al. 2 LAVS et 9 al. 2 RAVS

Délai d’attente / 18 al. 1bis LACI – 6a al. 3 OACI

 

Assurée, née en 1973, mère de deux enfants, a occupé un poste de maître opticien pour B.__ SA à un taux d’activité de 50%, puis de 60%, du 01.09.2014 au 31.12.2017, date à laquelle a pris effet son licenciement. En parallèle, elle travaillait comme opticienne diplômée auprès de C.__ Sàrl à raison de quelques heures par mois. Pour cette activité, elle percevait, en sus de son salaire horaire, une indemnité de 65 fr. « par trajet », sur laquelle étaient également prélevées les cotisations sociales usuelles.

Le 04.12.2017, en raison de la perte de son activité principale, l’assurée s’est inscrite à l’office régional de placement, en indiquant être disposée à travailler à un taux d’activité de 60%. Elle a requis une indemnité de chômage à partir du 01.01.2018.

Selon un décompte de prestations du 14.02.2018, la caisse de chômage a alloué à l’assurée une indemnité nette de 3319 fr. 15 pour le mois de janvier 2018, en tenant compte d’un gain assuré de 4724 fr. et d’un gain intermédiaire brut de 375 fr. Le 05.03.2018, elle a transmis à l’assurée un nouveau décompte, rectifiant le précédent en ce sens que l’indemnité nette était fixée à 2498 fr. 70, compte tenu d’un gain assuré de 4827 fr., d’un gain intermédiaire brut de 505 fr. et d’un délai d’attente de cinq jours.

Par décision du 15.03.2018, confirmée sur opposition, la caisse de chômage a réclamé à l’assurée la restitution de 820 fr. 45, correspondant aux indemnités versées en trop pour le mois de janvier. La caisse de chômage a expliqué qu’elle avait omis dans un premier temps de prendre en compte les indemnités de trajet dans le calcul du gain assuré. Après rectification, le gain assuré mensuel avait été fixé à 5096 fr. par mois. Le gain assuré passant de 4988 fr. à 5096 fr., cela génère un délai d’attente de cinq indemnités journalières. Comme l’assurée avait cotisé sur la base d’un taux d’activité de 63,35% (60% auprès de B.__ SA et 3,35% auprès de C.__ Sàrl) et recherchait une activité à un taux de 60%, le gain assuré devait être réduit proportionnellement conformément à la perte de travail à prendre en considération. Aussi la caisse de chômage parvenait-elle à un résultat (arrondi) de 4827 fr. (5096 / 63,35 x 60).

 

Procédure cantonale (arrêt ACH 96/18 – 28/2019 – consultable ici)

Pour la cour cantonale, les indemnités de trajet ne devaient pas être prises en compte dans le calcul du gain assuré. En effet, pour autant qu’ils ne soient pas versés durant les vacances, les suppléments pour inconvénients de service ne devaient pas être considérés comme un revenu déterminant pour le calcul du gain assuré. Comme l’indemnité de trajet n’était en l’espèce pas versée pendant les vacances, elle ne devait pas faire partie du gain assuré. Il en allait de même si on la considérait comme une indemnité de frais. En définitive, de l’avis de la cour cantonale, le premier décompte ne prêtait pas le flanc à la critique, de sorte que les prestations allouées sur cette base n’étaient pas indues. Les conditions d’une restitution de prestations n’étaient donc pas réalisées.

Par jugement du 19.02.2019, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon l’art. 25 al. 1 LPGA, auquel renvoie l’art. 95 al. 1 LACI, les prestations indûment touchées doivent être restituées (première phrase). L’obligation de restituer suppose que soient réunies les conditions d’une révision procédurale (art. 53 al. 1 LPGA) ou d’une reconsidération (art. 53 al. 2 LPGA; caractère sans nul doute erroné de la décision et importance notable de la rectification) de la décision par laquelle les prestations en cause ont été allouées (ATF 142 V 259 consid. 3.2 p. 260; 138 V 426 consid. 5.2.1 p. 431; 130 V 318 consid. 5.2 p. 320 et les références).

 

Selon l’art. 23 al. 1, 1ère phrase, LACI, est réputé gain assuré le salaire déterminant au sens de la législation sur l’AVS qui est obtenu normalement au cours d’un ou de plusieurs rapports de travail durant une période de référence, y compris les allocations régulièrement versées et convenues contractuellement, dans la mesure où elles ne sont pas des indemnités pour inconvénients liés à l’exécution du travail.

Le salaire pris en considération comme gain assuré se rapproche de la notion de salaire déterminant au sens de l’art. 5 al. 2 LAVS, mais ne se recouvre pas exactement avec celui-ci, comme cela ressort du terme « normalement » (« normalerweise » ; « normalmente ») utilisé à l’art. 23 al. 1 LACI (arrêt 8C_479/2014 du 3 juillet 2015 consid. 3.2; BORIS RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, n° 8 ad art. 23 LACI). Certains montants perçus par le salarié, certes soumis à cotisation, n’entrent pas dans la fixation du gain assuré. Il en va ainsi notamment de la rémunération des heures supplémentaires (ATF 129 V 105), de l’indemnité de vacances (à certaines conditions: ATF 130 V 492 consid. 4.2.4 p. 497), des gains accessoires (art. 23 al. 3 LACI; ATF 126 V 207) ou des indemnités pour inconvénients liés aux travail ou en raison de frais occasionnés par le travail (art. 23 al. 1, première phrase, LACI; arrêts 8C_72/2015 du 14 décembre 2015; C 118/87 du 2 mai 1988).

 

Selon la législation sur l’AVS, à laquelle renvoie l’art. 23 al. 1 LACI, le salaire déterminant comprend toute rémunération pour un travail dépendant, fourni pour un temps déterminé ou indéterminé; il englobe les allocations de renchérissement et autres suppléments de salaire, les commissions, les gratifications, les prestations en nature, les indemnités de vacances ou pour jours fériés et autres prestations analogues, ainsi que les pourboires, s’ils représentent un élément important de la rémunération du travail (art. 5 al. 2 LAVS). L’art. 9 al. 1 RAVS exclut du salaire déterminant le dédommagement pour les frais généraux encourus, à savoir les dépenses résultant pour le salarié de l’exécution de ses travaux. Selon l’art. 9 al. 2 RAVS, ne font pas partie des frais généraux les indemnités accordées régulièrement pour le déplacement du domicile au lieu de travail habituel et pour les repas courants pris au domicile ou au lieu de travail habituel; ces indemnités font en principe partie du salaire déterminant.

Les frais de déplacement au sens de l’art. 9 al. 2 RAVS concernent uniquement le déplacement du domicile au lieu de travail habituel. Une indemnité visant à compenser les déplacements professionnels à partir du siège de l’employeur et à dédommager les collaborateurs pour les inconvénients découlant d’une dépréciation accrue des voitures privées utilisées sur des chantiers ne tombe pas sous le coup de cette disposition et ne fait donc pas partie du salaire déterminant (cf. arrêt 8C_964/2012 du 16 septembre 2013 consid. 4.3.2; voir aussi arrêt 8C_310/2018 du 18 décembre 2018 consid. 7.4 à propos d’une indemnité servant notamment à couvrir les frais supplémentaires subis par le travailleur en raison des déplacements de l’atelier aux chantiers).

 

En l’espèce, l’indemnité de trajet était de 65 fr. par jour travaillé et n’était pas versée pendant les vacances. Le jugement attaqué ne donne pas davantage d’indications sur le trajet visé par l’indemnité. Il est toutefois constant que l’indemnité avait trait au déplacement entre le domicile de l’assurée et son lieu de travail. Partant, sur le plan de l’AVS, l’indemnité de trajet versée par l’employeur de l’assurée pour les jours travaillés fait sans conteste partie du salaire déterminant, en vertu de l’art. 9 al. 2 RAVS.

S’il est vrai que le gain assuré en matière d’assurance-chômage ne se recouvre pas exactement avec le salaire déterminant en matière d’AVS, l’ancien Tribunal fédéral des assurances a toutefois exclu du gain assuré par l’assurance-chômage des indemnités pour des repas qui ne tombaient pas sous le coup de l’art. 9 al. 2 RAVS (arrêt C 220/00 du 3 mai 2001 consid. 3c). Par la suite, le Tribunal fédéral a tenu un raisonnement comparable en ce qui concernait une allocation en remboursement de frais fixes incluant le remboursement de frais de véhicule, laquelle n’entrait pas non plus dans le champ d’application de l’art. 9 al. 2 RAVS (arrêt 8C_290/2014 du 20 mars 2015 consid. 3). A contrario, si les frais de déplacements (ou de repas) tombent sous le coup de l’art. 9 al. 2 RAVS – comme en l’espèce -, leur dédommagement doit en principe être pris en compte dans le calcul du gain assuré par l’assurance-chômage, conformément à la règle générale de l’art. 23 al. 1, 1ère phrase, LACI. A cela s’ajoute que l’indemnité de trajet en cause peut être considérée comme du salaire normalement obtenu dans la mesure où elle est allouée d’emblée pour chaque jour travaillé. En outre, elle n’a pas pour objet de compenser des inconvénients liés à l’exécution du travail, au sens de l’art. 23 al. 1 LACI. En effet, les frais de déplacement du domicile au lieu de travail ne sont pas liés à l’exécution du travail qui incombe à l’assurée. Par conséquent, l’absence de versement de l’indemnité pendant les vacances, sur laquelle s’est fondée la cour cantonale, ne constitue pas un critère pertinent en l’espèce (sur l’utilité de ce critère cf. arrêts 8C_72/2015 du 14 décembre 2015 consid. 4.3; 8C_370/2008 du 29 août 2009 consid. 3.2). La juridiction cantonale ne pouvait donc pas exclure l’indemnité de trajet du gain assuré.

 

En ce qui concerne enfin le délai d’attente, c’est à juste titre que la caisse de chômage l’a fixé en tenant compte du gain assuré « non réduit ». En effet, la réduction proportionnelle de l’indemnité de chômage visait à tenir compte de la perte de travail partielle. En revanche, le point de savoir si un assuré doit ou non être soumis à un délai d’attente s’apprécie indépendamment de la perte de travail à prendre en considération. Le Conseil fédéral a exempté certains groupes d’assurés du délai d’attente – notamment les assurés qui ont une obligation d’entretien envers des enfants de moins de 25 ans et dont le gain assuré se situe en dessous de 60’000 fr. par an – afin d’éviter des cas de rigueur (art. 18 al. 1bis LACI en relation avec l’art. 6a al. 3 OACI). Si, dans ce contexte, l’on pouvait tenir compte d’un gain assuré réduit en fonction de la perte de travail à prendre en considération, les assurés dont la perte de travail n’est que partielle seraient privilégiés par rapport à ceux dont la perte est totale. Par exemple, dans le cas d’espèce, l’assurée serait exemptée du délai d’attente (4827 fr. x 12), alors qu’elle y serait soumise si elle avait perdu ses deux emplois (5096 fr. x 12).

 

En conclusion, la caisse de chômage était fondée à rectifier son décompte de prestations et à demander la restitution des prestations versées en trop en raison de son erreur de calcul du gain assuré. Quant à la condition de l’importance notable, elle est remplie en l’espèce, dès lors que la somme de 820 fr. 45 réclamée représente près d’un tiers de l’indemnité de janvier 2018 (sur laquelle porte l’obligation de restitution) et que la caisse de chômage s’est rapidement rendu compte de son erreur (cf. arrêt C 205/00 du 8 octobre 2002 consid. 5, non publié in ATF 129 V 110 et les arrêts cités; voir aussi MARGIT MOSER-SZELESS, in Commentaire romand, Loi sur la partie générales des assurances sociales, 2018, n° 84 ad art. 53 LPGA).

 

Le TF admet le recours du SECO, annule le jugement cantonal et confirme la décision sur opposition de la caisse de chômage.

 

 

Arrêt 8C_226/2019 consultable ici

 

 

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