8C_195/2015 (f) du 10.02.2016 – Suicide par arme à feu (fusil) – 37 al. 1 LAA / Erreur de traitement constitutive d’un accident – non-hospitalisation du patient – 4 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_195/2015 (f) du 10.02.2016

 

Consultable ici : http://bit.ly/1R9sSNn

 

Suicide par arme à feu (fusil) – 37 al. 1 LAA

Erreur de traitement constitutive d’un accident – non-hospitalisation du patient – 4 LPGA

 

Assuré travaillant au service d’une banque privée pendant douze ans en qualité d’analyste financier et gestionnaire. A la fin de l’année 2011, son employeur a résilié les rapports de travail avec effet au 31.03.2012, en raison de difficultés économiques. L’assuré a été libéré de son obligation de travailler à compter du 31.12.2011. Il s’est toutefois rendu à la banque pour travailler jusqu’à la fin du mois de février 2012.

Consultation en janvier 2012 auprès de son médecin traitant, spécialiste en médecine interne générale, en raison d’un état anxio-dépressif. Introduction d’un traitement anxiolytique (Lexotanil) et anti-dépresseur (Cymbalta). Consultations auprès d’un spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie dès le 25.02.2012. Prescription de Citalopram en remplacement du Cymbalta. Lors de la dernière consultation du 14.03.2012, une hospitalisation à prévoir à brève échéance a été discutée en raison de la péjoration de son état de santé au cours des jours précédents, marqué par une importante fatigue et des sentiments d’impuissance liés à cet état, une fluctuation de l’humeur et la présence plus marquée d’idées suicidaires. Le 15.03.2012, en rentrant, l’épouse de l’assuré a constaté que la voiture de son mari n’était pas dans le garage, mais que son « blackberry » son « palm » et ses lunettes étaient là, ce qui était inhabituel. Elle a ensuite appelé le psychiatre pour lui expliquer la situation. Ce dernier lui a répondu qu’elle devait impérativement retrouver son mari et appeler la police, ajoutant que ce dernier avait des idées suicidaires et qu’il avait parlé d’un fusil. L’épouse est allée voir dans l’armoire où son époux rangeait son arme désassemblée. Les portes de l’armoire étaient entrouvertes, l’arme ne s’y trouvait plus et les habits étaient renversés, comme si l’arme avait été prise à la hâte. Les recherches effectuées par la police lui ont permis de retrouver le corps sans vie de l’assuré à côté de la cabane, à 200 mètres de son véhicule stationné au bord de la route en contrebas. Il a été constaté qu’il s’était suicidé au moyen de son arme à feu.

L’assureur-accidents a refusé d’allouer les prestations, à l’exception de l’indemnité pour frais funéraires, par décision du 24.09.2012, confirmée sur opposition.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 8/13 – 10/2015 – consultable ici : http://bit.ly/1UhQNQ0)

Les premiers juges ont relevé que l’assuré a eu un comportement relativement cohérent le 15.03.2012. Son attitude traduisait la volonté, déjà manifestée auprès de son médecin traitant, de préserver ses proches autant que possible. En effet, il avait emporté son arme démontée, encore emballée dans des sachets en plastique, et avait quitté le domicile familial en voiture jusqu’à un lieu isolé. Là, il y avait monté son arme et mis fin à ses jours en se couchant sur son fusil. Cette manière de procéder dénotait le souci d’épargner à sa famille la découverte de son corps en rentrant du travail ou de l’école. La position du corps comme celle du fusil, soit une arme proche de la tête, avaient probablement été dictées par la volonté de garantir que le tir fût précis, pour être sûr d’être mortellement atteint. Pour la juridiction cantonale, ces éléments sont difficilement compatibles avec l’hypothèse d’une incapacité de discernement. Dans ce contexte également, le fait que l’assuré n’avait pas annulé des rendez-vous qu’il avait dans la journée du 15.03.2012 ou dans les jours suivants, ou encore le fait d’avoir planifié des vacances et acheté des billets d’avion ainsi que réservé une voiture de location pour ces vacances, le 06.03.2012, reflétaient le caractère fluctuant de l’humeur de l’assuré pendant la période ayant précédé son décès, mais ne traduisaient pas une incohérence indiquant que son suicide eût été commis en l’absence de capacité de discernement. L’envoi de son CV à deux employeurs entre 7h et 8h le matin même du 15.03.2012 permettait tout au plus de conclure qu’il n’avait pas encore, à ce moment-là, alors qu’il était encore entouré des siens ou que ces derniers venaient de partir, d’idées suicidaires. Qu’il ait ensuite subi, dans la matinée, une baisse de moral qui l’a conduit à mettre fin à ses jours ne permettait pas de conclure à un acte commis en l’absence de toute capacité de discernement.

Par arrêt du 22.01.2015, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Suicide et (in)capacité de discernement

Selon l’art. 6 al. 1 LAA, les prestations d’assurance sont allouées en cas d’accident professionnel, d’accident non professionnel et de maladie professionnelle. Est réputé accident toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort (art. 4 LPGA). Si l’assuré a provoqué intentionnellement l’atteinte à la santé ou le décès, aucune prestation d’assurance n’est allouée, sauf l’indemnité pour frais funéraires (art. 37 al. 1 LAA). Même s’il est prouvé que l’assuré entendait se mutiler ou se donner la mort, l’art. 37 al. 1 LAA n’est pas applicable si, au moment où il a agi, l’assuré était, sans faute de sa part, totalement incapable de se comporter raisonnablement, ou si le suicide, la tentative de suicide ou l’automutilation est la conséquence évidente d’un accident couvert par l’assurance (art. 48 OLAA).

Le suicide comme tel n’est un accident assuré que s’il a été commis dans un état d’incapacité de discernement. Cette règle, qui découle de la jurisprudence, est exprimée à l’art. 48 OLAA. Par conséquent, il faut, pour entraîner la responsabilité de l’assureur-accidents, que, au moment de l’acte et compte tenu de l’ensemble des circonstances objectives et subjectives, en relation aussi avec l’acte en question, l’intéressé ait été privé de toute possibilité de se déterminer raisonnablement en raison notamment d’une déficience mentale ou de troubles psychiques (ATF 140 V 220 consid. 3 p. 222; 129 V 95; 113 V 61 consid. 2a p. 62 ss; RAMA 1990 n° U 96 p. 182 consid. 2). L’incapacité de discernement n’est donc pas appréciée dans l’abstrait, mais concrètement, par rapport à un acte déterminé, en fonction de sa nature et de son importance, les facultés requises devant exister au moment de l’acte (principe de la relativité du discernement; voir par exemple ATF 134 II 235 consid. 4.3.2 p. 239). Le suicide doit avoir pour origine une maladie mentale symptomatique. En principe, l’acte doit être insensé. Un simple geste disproportionné, au cours duquel le suicidaire apprécie unilatéralement et précipitamment sa situation dans un moment de dépression ou de désespoir ne suffit pas (voir par exemple arrêt 8C_916/2011 du 8 janvier 2013 consid. 2.2 et les références).

Savoir si le suicide ou la tentative de suicide a été commis dans un état d’incapacité de discernement doit être résolu selon la règle du degré de la vraisemblance prépondérante généralement appliquée en matière d’assurances sociales. Le juge retiendra alors, parmi plusieurs présentations des faits, celle qui lui apparaît comme la plus vraisemblable (arrêt 8C_916/2011 du 8 du janvier 2013 consid. 2.2 et les références). Il n’existe donc pas un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré; le défaut de preuve va au détriment de la partie qui entendait tirer un droit du fait non prouvé (ATF 126 V 319 consid. 5a p. 322).

In casu, la modalité du suicide – à savoir le fait d’avoir emporté une arme démontée, encore emballée dans des sachets en plastique, d’avoir quitté le domicile en voiture jusqu’à un lieu isolé, d’y avoir ensuite monté son arme et mis fin à ses jours en se couchant sur son fusil – parle plutôt en faveur de la présence du discernement au moment du passage à l’acte. Au vu de ce qui précède, on peut considérer avec les premiers juges, qu’il n’est pas établi au degré de la vraisemblance prépondérante que l’assuré était privé, au moment déterminant, de sa capacité de discernement.

 

Erreur de traitement constitutive d’un accident

Selon la jurisprudence, les erreurs de traitement peuvent être constitutives d’un accident (art. 4 LPGA) dès lors qu’il s’agit de confusions ou de maladresses grossières et extraordinaires, voire d’un préjudice intentionnel avec lequel personne ne comptait ni ne devait compter. Il s’agit en principe d’atteintes survenues à l’occasion d’actes médicaux: l’acte médical comme tel ou le traitement médicamenteux est la cause directe de l’atteinte à la santé (pour une casuistique, voir Ghislaine Frésard-Fellay, in: Droit suisse de la sécurité sociale, Volume II, 2015, p. 344; Alexandra Rumo-Jungo/André Pierre Holzer, Bundesgesetz über die Unfallversicherung [UVG], 4ème éd. 2012, p. 34 s.; André Largier, Schädigende medizinische Behandlung als Unfall, Zurich 2002, p. 99 ss).

Il est pour le moins douteux que l’omission d’ordonner une hospitalisation pour des motifs psychiatriques, même si elle résulte d’une grossière erreur d’appréciation, puisse être constitutive d’un accident en cas de suicide ultérieur du patient.

Le psychiatre a proposé une hospitalisation à son patient pour le protéger en cas de réapparition de ses idées suicidaires. Devant le refus de ce dernier, il a dû procéder à une appréciation des risques encourus et l’a laissé rentrer chez lui, non sans avoir convenu au préalable de certaines mesures de précaution (consigne donnée au patient d’appeler le service des urgences en cas de réapparition des idées suicidaires sans attendre une prochaine consultation médicale; consigne donnée à l’assuré de lui téléphoner le vendredi 16.03.2012 dans tous les cas et consigne donnée au patient de l’appeler dans une plage horaire convenue, le 15 mars 2012, en cas de besoin). Au vu de ce qui précède, on ne saurait quoi qu’il en soit pas parler d’une erreur grossière d’appréciation du psychiatre traitant.

 

Le TF rejette le recours de la veuve.

 

 

Arrêt 8C_195/2015 consultable ici : http://bit.ly/1R9sSNn

 

 

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