8C_606/2018 (f) du 12.06.2019 – Aide financière accordée par l’aide sociale – Versement du rétroactif des allocations familiales – Interprétation par le TF d’une norme cantonale sous l’angle de l’arbitraire

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_606/2018 (f) du 12.06.2019

 

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Aide financière accordée par l’aide sociale – Versement du rétroactif des allocations familiales / 22 LPGA – 29 de la loi [du canton de Fribourg] sur l’aide sociale (LASoc; RSF 831.0.1)

Interprétation par le TF d’une norme cantonale sous l’angle de l’arbitraire

 

A.__ et B.__, ressortissante érythréenne dont la demande d’asile avait été refusée, ont emménagé ensemble dans le logement du prénommé au mois de juillet 2007. A cette époque, B.__ était au bénéfice de prestations d’aide sociale allouées par ORS Service AG, organisme d’encadrement des requérants d’asile et des réfugiés (ci-après: ORS). Deux enfants sont nés de cette union: C.__, en 2008 et D.__, en 2010. ORS a alloué des prestations d’aide sociale à la mère et aux deux enfants jusqu’au 17.10.2012 – date à laquelle la reconnaissance formelle des enfants par leur père est intervenue. Le 06.05.2013, B.__ a quitté le logement de A.__ avec les deux enfants et a bénéficié de prestations allouées par ORS jusqu’à ce qu’elle reçoive son autorisation de séjour, le 13.06.2013. Dès le 01.08.2013, elle a obtenu des prestations du Service de l’aide sociale de la Ville de Fribourg (SASV). Au mois de février 2014, B.__ et les enfants sont retournés vivre avec A.__ et les parents se sont mariés le 17.10.2014.

Le 08.03.2013, A.__ a saisi la caisse de compensation d’une demande tendant à l’octroi d’allocations familiales pour ses deux enfants, avec effet rétroactif au 30.09.2008. Par décision, partiellement réformée sur opposition les 19.01.2016 et 28.01.2016, la caisse de compensation a reconnu le droit de A.__ aux allocations familiales pour ses deux enfants et a réparti le versement rétroactif des allocations entre ORS, le SASV et l’intéressé. Ainsi, elle a indiqué que des montants de 9’430 fr. en faveur de C.__ et de 7’360 fr. en faveur de D.__ devaient être versés à ORS. En outre, un montant de 490 fr. par enfant devait être versé au SASV pour les mois d’août et septembre 2013. Quant à A.__, il bénéficiait à titre rétroactif de 5’360 fr. pour chacun des enfants, ainsi que de l’allocation de naissance d’un montant de 1’500 fr. pour D.__.

Saisie d’une demande de l’intéressé tendant à la reconsidération de la décision du 28.01.2016, en ce sens que l’intégralité des allocations familiales et l’allocation de naissance lui soient versées, la caisse de compensation a rendu une décision sur opposition par laquelle elle a confirmé sa décision du 28.01.2016.

 

Procédure cantonale

Les juges cantonaux ont examiné le cas sous l’angle des art. 9 LAFam et 12 de la loi [du canton de Fribourg] sur les allocations familiales dans sa version entrée en vigueur le 01.01.2013 (LAFC; RSF 836.1). Ils ont considéré que les art. 9 LAFam et 12 LAFC n’étaient pas applicables. En effet, il n’était pas établi et il n’y avait pas de risque que l’éventuel versement à l’assuré des allocations familiales dues pour les périodes en question pourrait ne pas servir à couvrir des frais d’entretien des deux enfants auxquels ces prestations étaient destinées. La caisse de compensation ne pouvait dès lors pas se fonder sur ces dispositions pour décider de verser les allocations familiales en cause à ORS et au SASV en lieu et place de l’assuré.

En revanche, la cour cantonale a appliqué l’art. 29 de la loi [du canton de Fribourg] sur l’aide sociale (LASoc; RSF 831.0.1). Plus particulièrement, la juridiction cantonale s’est référée à l’al. 4 de cette disposition [Le service social qui accorde une aide matérielle à titre d’avance sur les prestations des assurances ou de tiers tenus de verser des prestations est subrogé dans les droits du bénéficiaire, jusqu’à concurrence de l’aide matérielle accordée.]. Elle a constaté que pour les périodes respectives de juin 2009 à octobre 2012 et d’août à septembre 2013, ORS et le SASV avaient alloué des prestations d’aide matérielle en faveur des enfants C.__ et D.__ et pris également en charge directement leurs primes d’assurance-maladie. Il n’était par ailleurs pas contesté que le droit aux allocations familiales pour les deux enfants portait notamment sur ces deux périodes. Vu cette concordance temporelle et le constat que les deux types de prestations étaient destinées à permettre d’assurer l’entretien des deux enfants prénommés (concordance matérielle), les prestations octroyées au titre de l’aide sociale constituaient, au sens de l’art. 22 al. 2 LPGA, des avances sur les allocations familiales qui devaient être perçues ultérieurement. ORS et le SASV, en tant qu’autorités d’assistance, bénéficiaient donc de la subrogation instituée par l’art. 29 al. 4 LASoc. En effet, ce qui était déterminant, ce n’était pas à qui les allocations et avances matérielles étaient versées mais leur objet, en l’occurrence la couverture des frais d’entretien des enfants.

Selon la cour cantonale, la caisse de compensation était en droit de verser à ORS et au SASV les allocations familiales en faveur des deux enfants pour les périodes respectives de juin 2009 à octobre 2012 et d’août à septembre 2013. Cette mesure s’inscrivait dans le sens même de la subrogation légale prévue à l’art. 29 al. 4 LASoc qui a pour but de garantir aux autorités d’aide sociale le remboursement indirect des prestations d’aide matérielle qu’elles allouent à titre d’avance sur des montants à verser ultérieurement par des assurances sociales.

Par jugement du 05.07.2018, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

L’assuré fait valoir que la subrogation n’était pas applicable, car il est l’ayant droit aux allocations familiales. La mère (et l’autorité prétendument subrogée) n’avait pas un droit à faire valoir à son encontre au titre des allocations familiales.

Sauf exceptions non pertinentes en l’espèce (cf. art. 95 let. c, d et e LTF), on ne peut invoquer la violation du droit cantonal ou communal en tant que tel devant le Tribunal fédéral (art. 95 LTF a contrario). Il est néanmoins possible de faire valoir que son application consacre une violation du droit fédéral, en particulier la protection contre l’arbitraire (art. 9 Cst.) ou la garantie d’autres droits constitutionnels. Le Tribunal fédéral n’examine alors de tels moyens que s’ils sont formulés conformément aux exigences de motivation qualifiée prévues à l’art. 106 al. 2 LTF (ATF 142 V 577 consid. 3.2 p. 579 et la référence). L’assuré doit en particulier indiquer précisément quelle disposition constitutionnelle ou légale a été violée et démontrer par une argumentation précise en quoi consiste la violation (voir par ex. arrêt 2D_42/2018 du 11 mars 2019 consid. 2).

Appelé à revoir l’interprétation d’une norme cantonale sous l’angle de l’arbitraire, le Tribunal fédéral ne s’écarte de la solution retenue par l’autorité cantonale de dernière instance que si celle-ci apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective, adoptée sans motifs objectifs et en violation d’un droit certain. En revanche, si l’application de la loi défendue par l’autorité cantonale n’apparaît pas déraisonnable ou manifestement contraire au sens et au but de la disposition ou de la législation en cause, cette interprétation sera confirmée, même si une autre solution – même préférable – paraît possible. En outre, pour qu’une décision soit annulée au titre de l’arbitraire, il ne suffit pas qu’elle se fonde sur une motivation insoutenable; encore faut-il qu’elle apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 144 I 113 consid. 7.1 p. 124).

L’objection soulevée ici par l’assuré n’a pas échappé à la juridiction cantonale qui a estimé – à tort ou à raison, la question peut demeurer indécise – qu’elle ne faisait pas obstacle à l’application de la subrogation prévue à l’art. 29 al. 4 LASoc. L’assuré – qui ne soulève pas le grief d’arbitraire ni n’invoque ici une autre garantie d’ordre constitutionnel – ne formule aucun argument qui satisfasse aux exigences précitées de motivation. Il ne démontre en tout cas pas en quoi l’interprétation – peut-être discutable – par les premiers juges de la disposition en question serait insoutenable.

 

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_606/2018 consultable ici

 

 

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