Cour de justice de l’Union européenne Affaire C-913/19 – Litige transfrontalier entre un professionnel qui s’est vu transférer la créance d’une victime d’un accident de la circulation sur une entreprise d’assurances et cette entreprise : la Cour précise les règles de compétence juridictionnelle

Cour de justice de l’Union européenne Affaire C-913/19 – Arrêt du 20.05.2021

 

Communiqué de presse du 20.05.2021 consultable ici

Arrêt de la CJUE consultable ici

 

Le 28 février 2018, un accident de la route survenu en Pologne implique deux véhicules entrés en collision. La personne responsable de l’accident avait souscrit un contrat d’assurance de la responsabilité civile automobile auprès de Gefion Insurance A/S (ci-après « Gefion »), compagnie d’assurances ayant son siège au Danemark. Le 1er mars 2018, la personne lésée a loué un véhicule de remplacement auprès de l’atelier de réparation auquel son véhicule endommagé avait été confié. En règlement de cette prestation de location, cette personne a transféré à l’atelier de réparation la créance sur Gefion. Le 25 juin 2018, l’atelier de réparation a ensuite cédé cette même créance à CNP spółka z ograniczoną odpowiedzialnością.

Par lettre du 25 juin 2018, CNP a demandé à Gefion de lui verser le montant facturé pour la location du véhicule de remplacement.

Par lettre du 16 août 2018, Crawford Polska sp. z o.o., société établie en Pologne et chargée par Gefion du règlement du sinistre, a partiellement approuvé la facture relative à la location du véhicule de remplacement et accordé à CNP une partie du montant facturé pour cette location. Dans la partie finale de cette lettre, Crawford Polska a indiqué qu’une réclamation pouvait être introduite à son égard, en sa qualité d’organisme agréé par Gefion, ou directement à l’encontre de Gefion, « soit selon les règles de compétence générale, soit devant la juridiction du domicile ou du siège du preneur d’assurance, de l’assuré, du bénéficiaire ou de l’ayant droit en vertu du contrat d’assurance ».

Le 20 août 2018, CNP a assigné Gefion devant le Sąd Rejonowy w Białymstoku (tribunal d’arrondissement de Białystok, Pologne).

Le 11 décembre 2018, une injonction de payer a été émise par cette juridiction.

Gefion a formé opposition à l’injonction de payer en contestant la compétence des juridictions polonaises pour connaître du litige. Dans ce contexte, la juridiction polonaise a décidé de solliciter la Cour de justice quant à l’interprétation du règlement (UE) n° 1215/2012 sur la compétence judiciaire en matière civile et commerciale.

Par son arrêt de ce jour, la Cour examine, premièrement, la question de savoir si le droit de l’Union fait obstacle à ce que, en cas de litige entre, d’une part, un professionnel ayant acquis une créance initialement détenue par une personne lésée sur une entreprise d’assurances et, d’autre part, cette même entreprise d’assurances, la compétence juridictionnelle soit fondée, le cas échéant, de manière autonome, sur les dispositions de l’article 7 du règlement n° 1215/2012 en vertu desquelles sont compétents les tribunaux du lieu où le fait dommageable s’est produit (point 2) et ceux du lieu de situation d’une succursale, d’une agence ou de tout autre établissement d’une entreprise principale, pour des actions introduites contre cette dernière au titre d’activités impliquant la succursale, l’agence ou l’établissement (point 5) (article 7, points 2 et 5).

Elle rappelle à cet égard que la section 3 du chapitre II du règlement n° 1215/2012, intitulée « Compétence en matière d’assurances », établit un système autonome de répartition des compétences juridictionnelles en matière d’assurances. L’objectif de cette section est de protéger la partie la plus faible au contrat au moyen de règles de compétence plus favorables à ses intérêts que ne le sont les règles générales, et qu’un tel objectif implique que l’application des règles de compétence spéciales prévues à cette section (prévues aux articles 10 à 16 du règlement no 1215/2012) ne soit pas étendue à des personnes pour lesquelles cette protection ne se justifie pas. Par ailleurs, si un cessionnaire des droits de la personne lésée, qui peut être lui-même considéré comme partie faible, doit pouvoir profiter des règles spéciales de compétence juridictionnelle (définies aux dispositions combinées de l’article 11, paragraphe 1, sous b), et de l’article 13, paragraphe 2, du règlement no 1215/2012), aucune protection spéciale ne se justifie dans les rapports entre des professionnels du secteur des assurances, dont aucun d’entre eux ne peut être présumé se trouver en position de faiblesse par rapport à l’autre. En l’espèce, CNP a pour activité le recouvrement de créances auprès d’entreprises d’assurances. Cette circonstance, qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier, fait obstacle à ce que cette société puisse être considérée comme étant une partie en position de faiblesse par rapport à la partie adverse, de sorte qu’elle ne saurait bénéficier des règles spéciales de compétence juridictionnelle.

Par conséquent, la section 3 du chapitre II du règlement no 1215/2012 ne s’applique pas en cas de litige entre, d’une part, un professionnel ayant acquis une créance détenue, à l’origine, par une personne lésée sur une entreprise d’assurances de responsabilité civile et, d’autre part, cette même entreprise d’assurances de responsabilité civile, de sorte qu’il n’y a pas d’obstacle à ce que la compétence juridictionnelle pour connaître d’un tel litige soit fondée, le cas échéant, sur l’article 7, point 2, ou sur l’article 7, point 5, de ce règlement.

Deuxièmement, la Cour poursuit en examinant si une société qui exerce, dans un État membre, en vertu d’un contrat conclu avec une entreprise d’assurances établie dans un autre État membre, au nom et pour le compte de cette dernière, une activité de liquidation de dommages dans le cadre de l’assurance de responsabilité civile automobile doit être considérée comme étant une succursale, une agence ou tout autre établissement, au sens de l’article 7, point 5, du règlement n° 1215/2012. Elle relève à cet égard que la règle de compétence spéciale prévue par cette disposition est fondée sur l’existence d’un lien de rattachement particulièrement étroit entre la contestation et les juridictions qui peuvent être appelées à en connaître, qui justifie une attribution de compétence à ces dernières pour des raisons de bonne administration de la justice et d’organisation utile du procès.

La Cour rappelle que deux critères permettent de déterminer si une contestation est relative à l’exploitation d’une succursale, d’une agence ou de tout autre établissement. En premier lieu, ces notions supposent l’existence d’un centre d’opérations qui se manifeste d’une façon durable vers l’extérieur comme le prolongement d’une maison mère. Ce centre doit être pourvu d’une direction et être matériellement équipé de façon à pouvoir négocier avec des tiers qui sont ainsi dispensés de s’adresser directement à la maison mère. En second lieu, le litige doit concerner soit des actes relatifs à l’exploitation d’une succursale, soit des engagements pris par celle-ci au nom de la maison mère.

Concernant le premier critère, la Cour souligne que Crawford Polska dispose, en tant que personne morale, d’une existence juridique indépendante et est pourvue d’une direction. Par ailleurs, il apparaît qu’elle a tout pouvoir pour exercer l’activité de règlement et de liquidation des sinistres, ce qui produit des effets juridiques pour l’entreprise d’assurances, de sorte que Crawford Polska doit être regardée comme étant un centre d’opérations qui se manifeste d’une façon durable vers l’extérieur comme le prolongement d’une maison mère. En revanche, il appartiendra à la juridiction nationale de vérifier si ce centre est matériellement équipé de façon à pouvoir négocier avec des tiers et à dispenser ceux-ci de s’adresser directement à la maison mère.

Quant au second critère, la Cour observe que Gefion a mandaté Crawford Polska pour procéder au règlement et à la liquidation du sinistre au principal. En outre, c’est Crawford Polska elle-même qui a pris, au nom et pour le compte de Gefion, la décision de n’accorder à CNP qu’une partie de l’indemnisation demandée. Or, si cette circonstance devait être confirmée par la juridiction nationale, il en résulterait que Crawford Polska n’a pas été un simple intermédiaire chargé de transmettre des informations, mais a contribué activement à la situation juridique à l’origine du litige devant la juridiction polonaise. Ce litige devrait être alors regardé, compte tenu de l’implication de Crawford Polska dans la relation juridique entre les parties au principal, comme concernant des engagements pris par Crawford Polska au nom de Gefion.

 

 

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