9C_68/2020 (f) du 29.12.2020 – Responsabilité de l’employeur – 52 LAVS / Notion d’organe formel niée en l’espèce pour un directeur de société, avec signature collective à deux

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_68/2020 (f) du 29.12.2020

 

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Responsabilité de l’employeur / 52 LAVS

Notion d’organe formel niée en l’espèce pour un directeur de société, avec signature collective à deux – Inscription au registre du commerce pas seule suffisante

 

D.__ SA a changé de but statutaire et est devenue E.__ SA (ci-après : la société) le 09.02.2010. Elle était désormais active dans le domaine du placement de personnel et de la location de services. Elle a été dissoute par suite de faillite prononcée par jugement du 29.05.2013 et radiée du registre du commerce en mars 2015. B.__ en a été l’administrateur (avec signature individuelle) du 09.02.2010 au 07.03.2013, A.__ le directeur (avec signature collective à deux) depuis le 09.02.2010 et C.__ l’administrateur (avec signature individuelle) depuis le 07.03.2013.

Par décisions, confirmées sur opposition, la caisse de compensation a réclamé à A.__, B.__ et C.__, solidairement entre eux, en leur qualité d’organe de la société, la somme de 252’290 fr. 75 à titre de réparation du dommage subi en raison du non-paiement de cotisations sociales pour les années 2011 et 2012.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1158/2019 – consultable ici)

S’agissant de A.__, la juridiction cantonale a constaté qu’il était inscrit au registre du commerce en qualité de directeur avec signature collective à deux depuis le 09.02.2010 et que, malgré ses dénégations, les témoignages ainsi que les documents recueillis démontraient qu’il avait participé à la gestion de la société dont il connaissait la situation financière, de sorte qu’il en revêtait la qualité d’organe de fait. Elle a en outre considéré qu’en se contentant d’un rôle passif quant au règlement des créances de cotisations sociales, A.__ avait fait preuve d’une négligence grave et que son comportement était sans conteste en relation de causalité avec le dommage subi par la caisse de compensation. Elle a dès lors confirmé son obligation de réparer le dommage en question, fixé à 252’290 fr. 75.

Par jugement du 05.12.2019, rejets des recours de A.__ et B.__ par le tribunal cantonal.

 

TF

En matière de responsabilité au sens de l’art. 52 LAVS, la notion d’organe formel vise avant tout les organes légaux ou statutaires tels que les administrateurs, l’organe de révision ou les liquidateurs (ATF 128 III 29 consid. 3a p. 30 s.; cf. aussi THOMAS NUSSBAUMER, Les caisses de compensation en tant que parties à une procédure de réparation d’un dommage selon l’art. 52 LAVS, in RCC 1991 p. 399 ss, ch. 4b/bb p. 403 et les références). D’autres personnes possèdent toutefois la qualité d’organe de fait de la société. Il s’agit des celles qui participent de façon durable, concrète et décisive à la formation de la volonté sociale dans un vaste domaine dépassant les affaires courantes (ATF 128 III 29 consid. 3a p. 30 s.; 122 III 225 consid. 4b p. 227 s.). Dans cette éventualité, il faut cependant que la personne en question ait eu la possibilité de causer un dommage ou de l’empêcher, c’est-à-dire qu’elle ait effectivement exercé une influence sur la marche des affaires de la société (ATF 132 III 523 consid. 4.5 p. 528 s.; cf. aussi ATF 146 III 37 consid. 5 et 6 p. 41 ss). C’est en principe le cas d’un directeur qui a généralement la qualité d’organe de fait en raison de l’étendue des compétences que cette fonction suppose. Il ne doit toutefois répondre que des actes ou des omissions qui relèvent de son domaine d’activité, ce qui dépend de l’étendue des droits et des obligations qui découlent des rapports internes, sinon il serait amené à réparer un dommage dont il ne pouvait empêcher la survenance faute de disposer des pouvoirs nécessaires (arrêt H 128/04 du 14 février 2006 consid. 3 et les références).

Le point de savoir si une personne doit être qualifiée d’organe de fait est une question de fait dans la mesure où cette qualification repose sur une appréciation des circonstances concrètes (cf. arrêt 9C_27/2017 du 8 août 2017 consid. 4.2 et les références).

 

En dépit de son titre de directeur, A.__ ne saurait en l’occurrence être qualifié d’organe de fait. En effet, le tribunal cantonal n’a d’abord pas expressément pris position sur les compétences ou le rôle joué au sein de la société par chacune des personnes inscrites au registre du commerce. Se fondant sur le témoignage d’une employée de E.__ SA, il a certes relevé que A.__ était régulièrement dans les locaux de la société et que le témoin avait des contacts avec lui tous les deux ou trois jours. Il n’a cependant pas cherché à savoir plus précisément sur quelles tâches avaient porté ces contacts, voire quelles instructions ou directives effectives l’employée avait reçues de A.__. Les déclarations du témoin ne permettaient en tout cas pas de déterminer quel était le type d’activités déployées par A.__ pour le compte de la société ni leur ampleur. Les premiers juges ont ensuite discuté des témoignages des autres employés de la société ou de la fiduciaire chargée de la gestion comptable et salariale de cette dernière. Ils n’ont cependant pas pris en considération les éléments s’opposant à une participation déterminante de A.__ dans la marche des affaires de la société. Il ressort toutefois de ces témoignages que la gestion quotidienne de la société était quasi exclusivement assumée par C.__ (99%) et que les rares interventions de A.__ (1%) ne s’étaient produites que lors des vacances de celui-ci. De surcroît, aucun des témoins interrogés n’a été en mesure de définir concrètement la fonction ou le cahier des charges de A.__. La représentante de la fiduciaire a même affirmé qu’à sa connaissance, il avait servi de prête-nom à C.__. Les quelques documents signés par A.__ en trois ans (une demande de délai pour payer un acompte de cotisations, l’attestation des salaires 2011, une demande de délai pour payer le complément de cotisations 2011 et une demande d’adaptation des acomptes 2012) ne sauraient par ailleurs démontrer que celui-ci était responsable de la gestion des salaires au sein de la société, qu’il en connaissait la situation financière et qu’il était à même de l’influencer, d’autant moins qu’il disposait seulement de la signature collective à deux. Le fait que A.__ est l’associé gérant président d’une autre société d’emplois temporaires ne change rien à ce qui précède, puisque le rôle qu’il y exerce ne permet pas d’établir en l’espèce dans quelle mesure il aurait effectivement exercé une influence dans la marche des affaires de E.__ SA.

Dans ces circonstances, il était arbitraire de retenir que A.__ était un organe de fait de la société, en déduisant avant tout de son inscription au registre du commerce une participation déterminante à la formation de la volonté sociale. Sa responsabilité dans le dommage causé par le non-paiement des cotisations sociales pour les années 2011 et 2012 n’est donc pas engagée.

 

Le TF admet le recours de A.__, annule le jugement cantonal, en tant qu’il porte sur la responsabilité de A.__ dans le dommage subi par la caisse de compensation.

 

 

Arrêt 9C_68/2020 consultable ici

 

 

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