8C_800/2019 (f) du 18.11.2020 – Maladie professionnelle niée – 9 al. 2 LAA / Lien de causalité naturelle que possible

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_800/2019 (f) du 18.11.2020

 

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Maladie professionnelle niée / 9 al. 2 LAA

Lien de causalité naturelle que possible

 

Assuré, né en 1975, travaillait depuis le 01.07.2016 en qualité d’ouvrier étancheur. Par courrier du 31.07.2017, son assurance perte de gain maladie a informé l’assurance-accidents d’une incapacité de travail de l’assuré depuis le 01.05.2017 et d’une suspicion de maladie professionnelle en rapport avec l’exposition chronique aux solvants organiques employés sur son lieu de travail. Dans un rapport du 05.07.2017 de l’Institut C.__, le docteur D.__, chef de clinique et spécialiste FMH en médecine du travail, a posé les diagnostics de céphalées chroniques d’origine indéterminée et de possible encéphalopathie chronique toxique liée à une exposition professionnelle aux solvants organiques.

Se fondant sur les avis de son spécialiste en médecine du travail, l’assurance-accidents a rendu une décision, confirmée sur opposition, par laquelle elle a refusé d’allouer les prestations d’assurance sollicitées. Elle a considéré qu’il n’était pas prouvé que les troubles déclarés par l’assuré aient été causés exclusivement ou de manière nettement prépondérante par l’exercice de son activité professionnelle (art. 9 al. 2 LAA).

 

Procédure cantonale

Par jugement du 07.11.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon l’art. 9 al. 1 LAA, sont réputées maladies professionnelles les maladies dues exclusivement ou de manière prépondérante, dans l’exercice de l’activité professionnelle, à des substances nocives ou à certains travaux ; le Conseil fédéral établit la liste de ces substances ainsi que celle de ces travaux et des affections qu’ils provoquent. Se fondant sur cette délégation de compétence – à laquelle renvoie l’art. 14 OLAA -, le Conseil fédéral a dressé à l’annexe I de l’OLAA la liste des substances nocives, d’une part, et la liste de certaines affections, ainsi que des travaux qui les provoquent, d’autres part. Ces substances et travaux, ainsi que les affections dues à ceux-ci, sont énumérés de manière exhaustive (arrêt 8C_757/2018 du 28 mars 2019 consid. 4.2 et la référence).

Selon la jurisprudence, l’exigence d’une relation prépondérante requise par l’art. 9 al. 1 LAA est réalisée lorsque la maladie est due pour plus de 50% à l’action d’une substance nocive mentionnée à l’annexe 1 de l’OLAA (ATF 133 V 421 consid. 4.1 p. 425 et les références).

Sont aussi réputées maladies professionnelles les autres maladies dont il est prouvé qu’elles ont été causées exclusivement ou de manière nettement prépondérante par l’exercice de l’activité professionnelle (art. 9 al. 2 LAA). La condition d’un lien exclusif ou nettement prépondérant n’est réalisée que si la maladie a été causée à 75% au moins par l’exercice de l’activité professionnelle (ATF 126 V 183 consid. 2b p. 186; 119 V 200 consid. 2b p. 201 et la référence). Cela signifie, pour certaines affections qui ne sont pas typiques d’une profession déterminée, que les cas d’atteinte pour un groupe professionnel particulier doivent être quatre fois plus nombreux que ceux que compte la population en général (ATF 116 V 136 consid. 5c p. 143; RAMA 2000 n° U 408 p. 407, U 235/99, consid. 1a; arrêt 8C_73/2017 du 6 juillet 2017 consid. 2.2, publié in: SVR 2017 UV n° 46 p. 158).

Pour constater l’existence d’une atteinte à la santé en lien avec l’exercice d’une activité professionnelle, le juge doit se fonder sur des rapports médicaux auxquels on peut attribuer un caractère probant suffisant selon la jurisprudence (cf. ATF 140 V 193 consid. 3.2 p. 195; 125 V 351 consid. 3a p. 352).

L’élément déterminant pour la valeur probante d’un rapport médical n’est ni son origine, ni sa désignation comme rapport ou comme expertise, mais bien son contenu. A cet égard, il importe que les points litigieux aient fait l’objet d’une étude circonstanciée, que le rapport se fonde sur des examens complets, qu’il prenne également en considération les plaintes exprimées par la personne examinée, qu’il ait été établi en pleine connaissance de l’anamnèse, que la description du contexte médical et l’appréciation de la situation médicale soient claires et enfin que les conclusions de l’expert soient dûment motivées (ATF 134 V 231 consid. 5.1 p. 232; 125 V 351 précité consid. 3a p. 352).

Selon la jurisprudence, il découle du principe de l’égalité des armes, tiré du droit à un procès équitable garanti par l’art. 6 par. 1 CEDH, que l’assuré a le droit de mettre en doute avec ses propres moyens de preuve la fiabilité et la pertinence des constatations médicales effectuées par un médecin interne à l’assurance. Le fait, tiré de l’expérience de la vie, qu’en raison du lien de confiance (inhérent au mandat thérapeutique) qui l’unit à son patient, le médecin traitant est généralement enclin à prendre parti pour celui-ci (ATF 135 V 465 consid. 4.5 p. 470; 125 V 351 consid. 3a/cc p. 353 et les références) ne libère pas le juge de son devoir d’apprécier correctement les preuves, ce qui suppose de prendre également en considération les rapports versés par l’assuré à la procédure. Le juge doit alors examiner si ceux-ci mettent en doute, même de façon minime, la fiabilité et la pertinence des constatations des médecins internes à l’assurance. Lorsqu’une décision administrative s’appuie exclusivement sur l’appréciation d’un médecin interne à l’assureur social et que l’avis motivé d’un médecin traitant ou d’un expert privé auquel on peut également attribuer un caractère probant laisse subsister des doutes quant à la fiabilité et la pertinence de cette appréciation, la cause ne saurait être tranchée en se fondant sur l’un ou sur l’autre de ces avis. Il y a lieu de mettre en œuvre une expertise par un médecin indépendant selon la procédure de l’art. 44 LPGA ou une expertise judiciaire (ATF 135 V 465 consid. 4.5 p. 470 et consid. 4.6 p. 471).

S’agissant des cinq rapports du docteur E.__, spécialiste en médecine du travail de l’assurance-accidents, dont les deux derniers ont été établis en cours de procédure cantonale, il est douteux qu’ils remplissent les conditions posées par la jurisprudence pour se voir reconnaître pleine valeur probante. En effet, même si ce spécialiste a correctement exposé l’anamnèse professionnelle de l’assuré en relevant qu’une exposition aux solvants et aux résines époxy était mentionnée dans le rapport de l’Institut C.__ du 05.07.2017, il semble néanmoins remettre en doute les déclarations de l’assuré faites lors de son examen à l’Institut C.__ selon lesquelles des moyens de protection (par exemple des masques respiratoires avec cartouches) n’étaient que rarement utilisés. En concluant de manière apodictique à l’impossibilité de retenir une relation de causalité nettement prépondérante au sens de l’art. 9 al. 2 LAA entre l’exposition professionnelle et les troubles présentés par l’assuré, le docteur E.__ omet de considérer qu’en présence d’exposition à des substances nocives énumérées dans la liste à l’annexe I de l’OLAA, telles que résines époxy et xylènes, il convient d’appliquer l’art. 9 al. 1 LAA, nonobstant la question de savoir si des mesures de protection ont été prises. Ce point pourra néanmoins être considéré lorsqu’il s’agit d’examiner concrètement si, et le cas échéant dans quelle mesure, les troubles sont dus, dans l’exercice de l’activité professionnelle, à des substances nocives.

Quant au résultat, le jugement cantonal n’apparaît pas critiquable. En effet, l’appréciation des autres rapports médicaux versés au dossier ne permet pas de considérer que la symptomatologie présentée par l’assuré, en particulier les céphalées chroniques, serait due exclusivement ou de manière prépondérante – soit pour plus de 50% (cf. consid. 3.1.1 supra) – aux substances nocives auxquelles il a été exposé durant ses activités professionnelles:

Dans son rapport du 05.07.2017 le docteur D.__ de l’Institut C.__ a évoqué une « possible encéphalopathie chronique toxique liée à une exposition professionnelle aux solvants organiques ». Ce diagnostic hypothétique n’a pas pu être confirmé, dès lors qu’un des deux tests recommandés dans le dépistage ou le suivi d’encéphalopathie toxique liée à l’exposition chronique aux solvants organiques était normal (test de Farnsworth) et que l’autre (le questionnaire Euroquest de dépistage de symptômes neurotoxiques) retrouvait des scores altérés principalement sur les symptômes centraux. Le spécialiste en médecine du travail a donc proposé de faire un bilan neuropsychologique. Après avoir effectué ces examens à la Clinique romande de réadaptation (CRR), lesquels ont mis en évidence des troubles modérés de la mémoire, des difficultés attentionnelles et exécutives ainsi qu’un ralentissement, le docteur D.__ a revu l’assuré en consultation et a indiqué que les troubles neuropsychologiques « pourraient être compatibles avec une possible encéphalopathie toxique ». Dans un rapport ultérieur, il a encore relativisé cette hypothèse en indiquant qu’il avait « effectivement évoqué la possibilité d’une encéphalopathie chronique liée aux solvants organiques » et qu’ensuite du bilan neuropsychologique, il ne pouvait pas « exclure un lien entre les symptômes présentés par l’assuré et ses expositions professionnelles ».

Dans ces conditions, c’est à juste titre que la cour cantonale a considéré que l’exigence d’une relation prépondérante n’était pas réalisée et que l’administration de preuves supplémentaires sous la forme d’une expertise médicale ne pourrait rien changer à ce constat (cf. ATF 144 V 361 consid. 6.5 p. 368 s. sur l’appréciation anticipée des preuves).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_800/2019 consultable ici

 

 

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