8C_76/2020 (f) du 07.09.2020 – Notion d’accident niée – Tentative de suicide confirmée / 4 LPGA – 37 al. 1 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_76/2020 (f) du 07.09.2020

 

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Notion d’accident niée – Tentative de suicide confirmée / 4 LPGA – 37 al. 1 LAA

 

Assurée, née en 1964, exerçait une activité de podologue indépendante à un taux d’activité de 50% et était assurée à titre facultatif contre le risque d’accident selon la LAA. Le matin du 14.11.2016, il était prévu qu’elle se rende en train à un centre psychiatrique semi-hospitalier pour y être soignée pendant cinq semaines. Vers 9h50, à un arrêt CFF, elle a été heurtée et gravement blessée au genou droit par un train, alors qu’elle était allongée, légèrement recroquevillée, de manière longitudinale entre les rails du chemin de fer. A l’hôpital, ont été constatées de graves blessures au genou droit, au fémur droit et au bas de la jambe, une intoxication alcoolique avec une alcoolémie de 2,2 g o/oo et une suicidalité aigüe.

Après diverses mesures d’instruction, notamment l’obtention de divers rapports médicaux, du rapport de police et de l’ordonnance de classement de la procédure pénale ouverte ensuite de l’événement du 14.11.2016, l’assurance-accidents a refusé la prise en charge de l’événement du 14.11.2016, au motif qu’il s’agissait d’une tentative de suicide commise en état de discernement.

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a estimé qu’il existait un faisceau d’indices permettant de retenir, au degré de la vraisemblance prépondérante, que les atteintes subies par l’assurée le 14.11.2016 du fait du passage du train sur les voies entre lesquelles elle se trouvait étendue résultaient d’une tentative de suicide. Certes, comme personne n’avait précisément vu ce qui s’était passé, une chute accidentelle sur les voies ne pouvait pas d’emblée être exclue. Cependant, le passé de l’assurée, marqué par de nombreuses crises avec menaces de suicide – la dernière remontant au 27.10.2016 –, en relation avec le fait que, selon le conducteur du train, elle était couchée au milieu des voies et n’avait pas réagi à l’arrivée du train et au bruit du freinage d’urgence, montrait qu’il ne pouvait pas s’agir d’une simple chute. Du reste, les rapports médicaux consécutifs à cet événement ne rapportaient aucune lésion qui pourrait être liée à une éventuelle chute sur les voies de train. De même, on peinait à comprendre comment l’assurée aurait pu se trouver exactement entre les voies de chemin de fer en cas de simple chute depuis le quai de gare.

Au surplus, rien au dossier n’étayait la thèse d’une perte de connaissance de l’assurée étendue juste entre les voies. Le conducteur du train, qui, sur question du chef de circulation, avait accepté d’aller voir la personne restée entre les voies, avait même parlé à l’assurée, qui lui avait répondu avant de se mettre à crier.

Par ailleurs, l’assurée avait consulté un psychiatre à cinq reprises entre le 14.10.2016 et le 02.11.2016 tout en lui téléphonant de nombreuses fois. Certes, ce spécialiste avait indiqué qu’il n’avait pas pu mettre en évidence d’arguments convaincants pour une suicidalité aigüe et imminente pendant toute la période de suivi. Cet avis était toutefois relativisé par les propos tenus par l’assurée lorsque la police était intervenue le 27.10.2016 à son domicile dans le cadre d’un différend de couple ; en effet, les agents avaient alors découvert l’assurée en pleurs et très perturbée, et une ambulance avait été demandée en raison de ses propos selon lesquels elle voulait mettre un terme à sa vie en se jetant sous un train.

Enfin, le compagnon de l’assurée avait indiqué à la police que celle-ci ressentait une certaine pression à l’idée d’être hospitalisée, que dans les heures qui avaient précédé le passage du train, elle avait essayé de le contacter téléphoniquement à plusieurs reprises pour finalement, alors qu’il l’avait rappelée, l’invectiver et lui dire qu’elle en avait « marre de tout » ; à la question de savoir si elle lui avait écrit un message avant le passage à l’acte ce jour-là, il a répondu que non mais qu’au téléphone elle lui avait dit qu’elle voulait s’en aller. Relevant que ce complément accréditait aussi la thèse d’une tentative de suicide, les juges cantonaux ont retenu que l’assurée ne s’était pas retrouvée couchée entre les deux voies fortuitement ou par accident, mais avait tenté de s’ôter la vie.

Par jugement du 01.12.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal, considérant que l’événement du 14.11.2016 devait être qualifié, au degré de vraisemblance prépondérante, comme une tentative de suicide qui n’avait pas été commise dans un état de totale incapacité de discernement.

 

TF

Est réputé accident toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort (art. 4 LPGA). Aux termes de l’art. 37 al. 1 LAA, si l’assuré a provoqué intentionnellement l’atteinte à la santé ou le décès, aucune prestation d’assurance n’est allouée, sauf l’indemnité pour frais funéraires. Toutefois, selon l’art. 48 OLAA, même s’il est prouvé que l’assuré entendait se mutiler ou se donner la mort, l’art. 37 al. 1 LAA n’est pas applicable si, au moment où il a agi, l’assuré était, sans faute de sa part, totalement incapable de se comporter raisonnablement, ou si le suicide, la tentative de suicide ou l’automutilation est la conséquence évidente d’un accident couvert par l’assurance.

Selon la jurisprudence, lorsqu’il y a doute sur le point de savoir si la mort (ou l’atteinte à la santé) est due à un accident ou à un suicide (ou à une tentative de suicide), il faut se fonder sur la force de l’instinct de conservation de l’être humain et poser comme règle générale la présomption naturelle du caractère involontaire de la mort (ou de l’atteinte à la santé), ce qui conduit à admettre la thèse de l’accident. Le fait que l’assuré s’est volontairement enlevé la vie (ou a volontairement attenté à sa vie) ne sera considéré comme prouvé que s’il existe des indices sérieux excluant toute autre explication qui soit conforme aux circonstances. Il convient donc d’examiner dans de tels cas si les circonstances sont suffisamment convaincantes pour que soit renversée la présomption du caractère involontaire de la mort (ou de l’attein-te à la santé). Lorsque les indices parlant en faveur d’un suicide (ou d’une tentative de suicide) ne sont pas suffisamment convaincants pour renverser objectivement la présomption qu’il s’est agi d’un accident, c’est à l’assureur-accidents d’en supporter les conséquences (arrêts 8C_453/2016 du 1er mai 2017 consid. 2; 8C_773/2016 du 20 mars 2017 consid. 3.3; 8C_591/2015 du 19 janvier 2016 consid. 3.1; 8C_324/2010 du 16 mars 2011 consid. 3.2; 8C_550/2010 du 6 septembre 2010 consid. 2.3).

 

Selon le Tribunal fédéral, l’appréciation de la cour cantonale ne peut qu’être partagée, nonobstant l’argumentation contraire de l’assurée. Le fait que la surveillance 24h/24 mise en place à l’hôpital dans les jours qui ont suivi l’événement du 14.11.2016 en raison du risque de suicide a ensuite été levée ne contredit pas la thèse de la tentative de suicide. Il en va de même du fait qu’à l’issue de l’intervention de la police du 27.10.2016, le médecin de piquet auquel la patrouille avait fait appel n’a pas préconisé de placement à des fins d’assistance.

C’est par ailleurs à tort que l’assurée prétend que lorsqu’elle a dit à son compagnon le jour du drame qu’elle voulait « s’en aller », elle aurait pu faire référence à une envie de s’éloigner de lui : en effet, la déclaration du compagnon a été faite en réponse à la question de savoir si l’assurée lui avait écrit un message avant le passage à l’acte ce jour-là, et cette déclaration est d’autant moins équivoque qu’il a mentionné plusieurs tentatives de suicide.

Le fait que le compagnon de l’assurée a déclaré qu’il ne comprenait pas le geste, dans la mesure où elle avait préparé tous les sacs pour se rendre à l’hôpital et était allée jusqu’à la gare avec ceux-ci, n’est pas de nature à exclure la thèse de la tentative de suicide ni même à l’affaiblir.

Quant à l’absence de réaction de l’assurée à l’approche du train, malgré le bruit généré par le freinage d’urgence, il ne saurait s’expliquer par un prétendu état second dans lequel se serait trouvée l’assurée, laquelle a été capable de parler au conducteur du train après le choc. L’hypothèse de l’assurée selon laquelle ce serait en raison d’un état second provoqué par la consommation d’alcool et la prise de médicaments qu’elle aurait chuté sur la voie où elle serait restée en position recroquevillée apparaît peu plausible au regard de l’absence de toute lésion pouvant accréditer une telle chute et de la position de l’assurée, qui était allongée de manière longitudinale entre les rails du chemin de fer. La circonstance que, selon la passante qui l’a croisée peu avant les faits, l’assurée était agenouillée sur le quai en train de chercher quelque chose dans son sac et pleurait ne permet pas davantage d’affirmer, comme le fait l’assurée, qu' »une mauvaise chute due à un état second sur les rails paraît être l’explication la plus probable ». Au contraire, au vu de l’ensemble des éléments discutés ci-dessus, c’est bien la thèse de la tentative de suicide qui, au degré de vraisemblance prépondérante requis en droit des assurance sociales (cf. ATF 144 V 427 consid. 3.2 p. 429; 137 V 334 consid. 3.2 p. 338; 138 V 218 consid. 6 p. 221 s.), doit être retenue.

Dès lors qu’il n’est plus contesté devant le Tribunal fédéral que l’assurée n’était pas privée de sa capacité de discernement au moment de l’acte, c’est à bon droit que la cour cantonale a confirmé le refus de prester de l’assurance-accidents au regard de l’art. 37 al. 1 LAA.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 8C_76/2020 consultable ici

 

 

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