8C_826/2019 (f) du 13.05.2020 – Causalité naturelle – Vraisemblance de l’existence d’un traumatisme cranio-cérébral et de lésions cérébrales structurelles ou d’une lésion traumatique de type « coup du lapin » – 6 LAA / Troubles psychiques

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_826/2019 (f) du 13.05.2020

 

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Causalité naturelle – Vraisemblance de l’existence d’un traumatisme cranio-cérébral et de lésions cérébrales structurelles ou d’une lésion traumatique de type « coup du lapin » / 6 LAA

Troubles psychiques

 

Le 03.03.2010, assurée, née en 1974, percutée par un véhicule de tourisme alors qu’elle traversait à pied une route à Genève. Hospitalisée jusqu’au 05.03.2010 au sein du Service de chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil moteur. Entre le 05.03.2010 et le 07.04.2010, elle a suivi une réadaptation orthopédique. Le rapport médical initial LAA faisait état d’une fracture du plateau supérieur de L1, d’une fracture de la tête du péroné droit, ainsi que de contractures musculaires multiples (surtout dans les régions lombaire, cervicale et à la cuisse droite). Dans leur rapport de sortie du 26.04.2010, les médecins de l’hôpital ont confirmé le diagnostic posé dans le rapport initial LAA.

Dans le cadre de son traitement ambulatoire, l’intéressée – qui s’est plainte également de troubles d’ordre psychique – a été examinée par plusieurs thérapeutes, lesquels ont posé divers diagnostics complémentaires (syndrome post-traumatique et dysfonctionnement cervico-occipital bilatéral ; état de stress post-traumatique ; épisodes dépressifs et troubles dissociatifs de conversion mixte ; trouble dépressif léger à moyen).

Dans un rapport du 16.08.2012, un spécialiste en radiologie et neuroradiologie diagnostique a indiqué qu’un méningiome – mis en évidence lors d’une IRM cérébrale en juin 2010 – n’avait pas grandi et que l’on pouvait encore observer des lésions punctiformes non spécifiques banales pour l’âge dans la substance blanche des lobes frontaux.

Le médecin-conseil, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, a indiqué que l’accident survenu quatre ans auparavant n’avait pas révélé de traumatisme crânien évident. Il a précisé que quelques épisodes de lombalgies persistaient ensuite de la fracture de la première vertèbre lombaire, mais qu’ils étaient plutôt liés à une mauvaise position au poste de travail ou à la station assise prolongée. Il a enfin relevé que l’incapacité de travail de l’assurée (de 40%) semblait liée uniquement à des problèmes neuropsychologiques et psychiatriques. Le médecin-conseil a retenu un taux d’atteinte à l’intégrité de 6% en raison des affections à la colonne vertébrale.

Dans son rapport du 01.04.2014, le psychiatre-conseil a posé le diagnostic différentiel de troubles dissociatifs de conversion versus neurasthénie et personnalité obsessionnelle ou schizoïde.

En date du 18.07.2016, l’assurée s’est soumise à une IRM cérébrale, en vue de mettre à jour une éventuelle lésion cérébrale. L’examen a révélé la présence de plusieurs anomalies de signal de la substance blanche mais a conclu à l’absence d’hémorragie intracrânienne et de lésion structurelle post-traumatique.

Au terme de son rapport du 24.03.2017, le neurologue-conseil de l’assureur-accidents a indiqué qu’en l’absence de traumatisme cranio-cérébral et de lésions cérébrales structurelles objectivables, un lien de causalité entre les troubles neurocognitifs de l’assurée et l’accident du 03.03.2010 n’était pas établi au degré de la vraisemblance prépondérante.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a mis fin à ses prestations pour les suites de l’accident du 03.03.2010, avec effet au 28.02.2018 au soir, et a alloué à l’assurée une IPAI de 6% pour les séquelles dues à la fracture de sa première vertèbre lombaire.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 112/18 – 147/2019 – consultable ici)

La cour cantonale a retenu que l’existence d’un TCC consécutif à l’accident du 03.03.2010 – qui aurait selon l’assurée eu pour conséquence des troubles neuropsychologiques – n’avait pas été établie au degré de la vraisemblance prépondérante, au vu des documents médicaux. Il s’agissait tout au plus d’une hypothèse possible. Se référant aux pièces médicales, les juges cantonaux ont en outre relevé que les anomalies de signal de la substance blanche, de même que le méningiome, ne présentaient pas les caractéristiques d’une atteinte traumatique. Aucun rapport médical au dossier ne faisait état d’une éventuelle lésion du rachis cervical ou d’un traumatisme à la colonne cervicale analogue à celui de type « coup du lapin ». Soulignant, pour résumer, l’absence de TCC ou de traumatisme du rachis cervical, ainsi que d’autre lésion cérébrale d’origine accidentelle, la cour cantonale a ensuite nié tout lien de causalité adéquate entre l’accident et les troubles psychiques de l’assurée, laissant ouverte la question du lien de causalité naturelle.

Par jugement du 11.11.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Le droit aux prestations suppose notamment qu’il existe, entre l’événement dommageable de caractère accidentel et l’atteinte à la santé, un lien de causalité naturelle. Cette condition est réalisée lorsqu’il y a lieu d’admettre que, sans cet événement accidentel, le dommage ne se serait pas produit du tout ou qu’il ne serait pas survenu de la même manière. Il n’est pas nécessaire que l’accident soit la cause unique ou immédiate de l’atteinte à la santé: il suffit qu’associé éventuellement à d’autres facteurs, il ait provoqué l’atteinte à la santé, c’est-à-dire qu’il apparaisse comme la condition sine qua non de cette atteinte. Savoir si l’événement assuré et l’atteinte en question sont liés par un rapport de causalité naturelle est une question de fait que l’administration, ou le cas échéant le juge, examine en se fondant essentiellement sur des renseignements d’ordre médical, et qui doit être tranchée à la lumière de la règle du degré de vraisemblance prépondérante, appliquée généralement à l’appréciation des preuves dans l’assurance sociale (ATF 142 V 435 consid. 1 p. 438 et les références citées).

En vertu de l’art. 36 al. 1 LAA, les prestations pour soins, les remboursements de frais ainsi que les indemnités journalières et les allocations pour impotent ne sont pas réduits lorsque l’atteinte à la santé n’est que partiellement imputable à l’accident. Lorsqu’un état maladif préexistant est aggravé ou, de manière générale, apparaît consécutivement à un accident, le devoir de l’assurance-accidents d’allouer des prestations cesse si l’accident ne constitue pas la cause naturelle (et adéquate) du dommage, soit lorsque ce dernier résulte exclusivement de causes étrangères à l’accident. Tel est le cas lorsque l’état de santé de l’intéressé est similaire à celui qui existait immédiatement avant l’accident (statu quo ante) ou à celui qui serait survenu même sans l’accident par suite d’un développement ordinaire (statu quo sine). A contrario, aussi longtemps que le statu quo sine vel ante n’est pas rétabli, l’assureur-accidents doit prendre à sa charge le traitement de l’état maladif préexistant, dans la mesure où il a été causé ou aggravé par l’accident (arrêt 8C_97/2019 du 5 août 2019 consid. 3.2 et les références citées).

En matière de lésions du rachis cervical par accident de type « coup du lapin », de traumatisme analogue ou de traumatisme cranio-cérébral sans preuve d’un déficit fonctionnel organique, l’existence d’un lien de causalité naturelle entre l’accident et l’incapacité de travail ou de gain doit en principe être reconnue en présence d’un tableau clinique typique présentant de multiples plaintes (maux de têtes diffus, vertiges, troubles de la concentration et de la mémoire, nausées, fatigabilité, troubles de la vue, irritabilité, dépression, modification du caractère, etc.). Il faut cependant que l’existence d’un tel traumatisme et de ses suites soit dûment attestée par des renseignements médicaux fiables (ATF 134 V 109 consid. 9.1 p. 122).

 

Aucun médecin n’a diagnostiqué une lésion du rachis cervical de type « coup du lapin » ou un traumatisme cranio-cérébral. On relèvera – avec les juges cantonaux – qu’un éventuel TCC n’a été évoqué par certains thérapeutes qu’au titre de simple hypothèse. Le spécialiste en neurologie, électroencéphalographie et électroneuromyographie a quant à lui fait allusion à un « discret traumatisme cranio-cérébral ». Cela étant, il a, dans le même rapport, considéré qu’une telle atteinte n’était pas la cause probable des symptômes de l’assurée, qu’il a plutôt attribués aux difficultés de cette dernière dans l’organisation de sa vie, à un état anxio-dépressif et à un stress important « inhérent à la prise en charge de sa vie ». Enfin, les examens radiologiques (en particulier les IRM) auxquels s’est soumise l’assurée n’ont pas révélé de lésion traumatique de type « coup du lapin ».

La seule mention par l’assurée de douleurs au niveau des cervicales postérieurement à l’accident ne permet pas non plus de retenir l’existence d’un traumatisme de type « coup du lapin ».

Il en va de même des circonstances de l’accident mises en avant par l’assurée. Celle-ci explique que la vitesse du véhicule lors du choc (20 km/h selon elle) et la distance à laquelle elle aurait été projetée (plus de cinq mètres selon elle) seraient, indépendamment des autres circonstances de l’espèce, de nature à causer un traumatisme crânien de type « coup du lapin ». Une telle présomption d’ordre général, en l’absence de tout renseignement médical venant étayer une lésion de cet ordre dans le cas concret, ne saurait être admise. La jurisprudence citée par l’assurée (arrêt U 265/05 du 21 juin 2006 consid. 3.1) ne lui est d’aucun secours ; contrairement à ce qu’elle affirme, le considérant évoqué ne fixe pas une vitesse entre 10 et 15 km/h comme « limite de vitesse dommageable » pour admettre une lésion de type « coup du lapin ». En tout état de cause, on ne saurait considérer que toute collision d’un piéton avec un véhicule lancé à plus de 10 ou 15 km/h devrait induire – de manière générale et sans égard au cas particulier – la reconnaissance d’une telle lésion.

Il ne ressort pas des documents médicaux que les diverses affections (troubles de la concentration, de céphalées, de troubles mnésiques et attentionnels, de prosopagnosie, d’angoisse, d’anxiété, d’un ralentissement psychomoteur, de troubles de l’humeur, de fatigabilité et d’irritabilité) constituent les suites d’un traumatisme cranio-cérébral, de lésions du rachis cervical ou d’une lésion analogue provoqués par l’accident. Or la jurisprudence précitée exige bien que les symptômes du tableau clinique typique soient mis en lien avec un tel type de traumatisme et que celui-ci soit dûment attesté.

Il s’ensuit que la cour cantonale était fondée à confirmer la décision de l’assurance-accidents de clore le dossier de l’assurée avec effet au 28.02.2018, de mettre fin à ses prestations pour les suites de l’accident du 03.03.2010 et de lui allouer une IPAI correspondant à un taux de 6%, seule l’atteinte à l’intégrité résultant de la fracture de la vertèbre L1 étant en relation de causalité avec l’accident, à l’exclusion des troubles psychiques respectivement cognitifs et dysexécutifs.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_826/2019 consultable ici

 

 

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