4A_458/2018 (f) du 29.01.2020 – Licenciement immédiat injustifié – Dommage à l’évolution de l’avoir vieillesse LPP du travailleur / Changement non consenti d’institution de prévoyance et baisse du montant des cotisations LPP – Passage d’un régime surobligatoire à un régime obligatoire

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_458/2018 (f) du 29.01.2020

 

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Licenciement immédiat injustifié – Dommage à l’évolution de l’avoir vieillesse LPP du travailleur

Changement non consenti d’institution de prévoyance et baisse du montant des cotisations LPP – Passage d’un régime surobligatoire à un régime obligatoire

 

A.__ est courtier en valeurs financières. La société X.__ Sàrl s’est vouée statutairement au courtage financier. Son capital social est entièrement détenu par Y.__ LLC; cette société à responsabilité limitée sise aux Etats-Unis d’Amérique dispose d’une succursale dans le canton de Vaud, dont les locaux servent de siège à la société précitée.

Le 15.12.2007, X.__ Sàrl en qualité d’employeuse et A.__ en tant qu’employé ont signé un contrat de travail en vertu duquel celui-ci était engagé dès le 01.01.2008 comme directeur responsable du département des actions.

Au chapitre de la rémunération, l’art. 3 a) du contrat rédigé en anglais prévoyait un « Fixed Draw » de 502’900 fr. par an, susceptible d’être réduit par l’employeuse moyennant certaines conditions. La forme écrite était nécessaire pour modifier le contrat, selon l’art. 18.2 des « Terms and conditions » intégrés au contrat. L’employeuse a pris à bail un appartement de 9 pièces pour y loger l’employé et sa famille et en a assumé le loyer (9’950 fr. par mois), qu’elle payait directement à la bailleresse. Elle a aussi pris en charge les frais du leasing contracté par l’employé sur une voiture de luxe (4’717 fr. 05 par mois) et versé 5’000 USD par an à titre de participation à ses primes d’assurance-maladie. En outre, elle a obtenu de l’administration fiscale des arrangements pour l’employé – imposable à la source -, en ce sens que 85% de son salaire serait traité comme du revenu, soumis aux cotisations sociales et à l’impôt à la source, tandis que 15% du salaire serait considéré comme des frais de représentation forfaitaires. Il a également été convenu que la prise en charge par l’employeuse des frais de logement serait qualifiée à raison d’un tiers comme charge d’entreprise.

S’agissant de la prévoyance professionnelle, l’employé a initialement été affilié à la Caisse P1.__. Au 1er janvier 2010, le salaire annuel assuré était de 450’000 fr. et la cotisation annuelle totale (employeuse et employé) de 83’829 fr. 60.

L’employeuse a transféré le compte de prévoyance professionnelle de l’employé auprès de l’institution P2.__, avec effet au 01.01.2011. Selon le certificat établi par celle-ci le 11.08.2011, le salaire annuel assuré n’était que de 59’160 fr. et la cotisation annuelle totale de 10’952 fr. 90.

Le 29.12.2011, l’employeuse a congédié l’employé pour le 06.04.2012 en le libérant de l’obligation de travailler jusqu’à cette échéance. Le même jour, le travailleur a résilié son contrat de travail pour le 31.03.2012 en invoquant notamment la réduction de son salaire. L’employeuse a accepté cette résiliation en confirmant que le 31.03.2012 constituait le dernier jour d’engagement, tout en rappelant que le travailleur était délié de l’obligation de travailler.

A la suite d’un incident, l’employeuse a licencié l’employé avec effet immédiat, par courrier du 11.01.2012. L’intéressé a contesté le congé immédiat et a offert ses services. L’employeuse n’a pas réagi.

S’étant annoncé auprès de l’assurance-chômage, le travailleur a touché des indemnités de 8’572 fr. 80 nets pour la période du 12.01.2012 au 06.04.2012.

 

Procédures cantonales

L’employé a saisi la Chambre patrimoniale du canton de Vaud. La Caisse cantonale de chômage a déposé une demande d’intervention contenant des conclusions en paiement de 8’572 fr. 80, soit l’équivalent des indemnités versées du 12.01.2012 au 06.04.2012. Statuant le 27.12.2016, la Chambre patrimoniale vaudoise a statué comme il suit [pour la prévoyance professionnelle] : […] 4) Le changement non consenti d’institution de prévoyance et la baisse du montant des cotisations LPP fondait une prétention de 36’438 fr. 35. […] La caisse de chômage étant subrogée aux droits de l’employé, les défenderesses devaient lui rembourser 6’942 fr. 30 pour les indemnités versées entre le 12.01.2012 et le 31.03.2012, à déduire de ce qui avait été alloué au demandeur.

L’employé a fait appel de cette décision. Par jugement du 21.06.2018, l’autorité d’appel a statué comme il suit [pour la prévoyance professionnelle] : […] 4) Il ne pouvait pas davantage être indemnisé pour le changement d’institution de prévoyance et la baisse des cotisations (réforme du jugement). […] La caisse de chômage était subrogée à concurrence de 6’942 fr. 30 (confirmation du jugement).

 

TF

Licenciement immédiat injustifié – Dommage à l’évolution de l’avoir vieillesse LPP du travailleur

Selon la jurisprudence qui s’appuie sur l’art. 10 al. 2 let. b LPP, la résiliation immédiate, même injustifiée, du contrat de travail met fin au rapport de prévoyance professionnelle obligatoire. Alors que l’indemnité de l’art. 337c al. 1 CO comprend en principe les cotisations aux assurances sociales, elle ne saurait inclure la cotisation LPP, s’agissant d’une période où le rapport de prévoyance n’existe plus (arrêt B 55/99 du 8 novembre 2001 consid. 2 et 3c, rés. in PJA 2002 583). La doctrine en déduit que le congé immédiat injustifié cause un dommage à l’évolution de l’avoir vieillesse LPP du travailleur, qui disposera d’une prestation de libre passage inférieure à celle qu’il aurait obtenue si les rapports avaient pris fin à l’échéance ordinaire.

D’aucuns préconisent de revoir la jurisprudence et d’admettre une prolongation du rapport de prévoyance jusqu’à l’échéance ordinaire (ISABELLE VETTER-SCHREIBER, BVG FZG Kommentar, 3e éd. 2013, n° 13 ad art. 10 LPP, qui convainc JÜRG BRECHBÜHL, in LPP et LFLP, [SCHNEIDER ET ALII ÉD.] 2010, n° 18 ad art. 10 LPP [= n° 19 de la 2e éd. 2019 en allemand, BVG und FZG]; MARKUS MOSER, Die Zweite Säule und ihre Tragfähigkeit, 1992, p. 53 ss, spéc. p. 55 in fine, approuvé par MARC HÜRZELER, Berufliche Vorsorge bei Stellenwechsel und Entlassung, in Stellenwechsel und Entlassung, 2e éd. 2012, § 12 n. 12.7 et sous-note 10). A défaut, il y aurait matière à indemnisation selon l’art. 337c al. 1 CO (STREIFF/VON KAENEL/RUDOLPH, Arbeitsvertrag, 7e éd. 2012, p. 1149 et p. 1170; REHBINDER/STÖCKLI, Berner Kommentar, 3e éd. 2014, p. 369; JÜRG BRÜHWILER, Einzelarbeitsvertrag, 2014, n° 5 § 1 in fine ad art. 337c CO). Le travailleur pourrait ainsi réclamer le dommage correspondant à la part patronale des cotisations épargne que l’employeur aurait payée (prévoyance obligatoire et surobligatoire) jusqu’à l’échéance ordinaire, soit l’équivalent de la contribution de l’employeur à la prestation de libre passage, sous déduction de ce qui serait versé par un nouvel employeur pour la période correspondante en cas de prise de nouvel emploi (WYLER/HEINZER, op. cit., p. 762; MOSER, op. cit., p. 53 et la sous-note 32; cf. aussi WERNER GLOOR, in Commentaire du contrat de travail, [DUNAND/MAHON ÉD.] 2013, n° 15 ad art. 337c CO; BRUNNER/BÜHLER/WAEBER/BRUCHEZ, Commentaire du contrat de travail, 2004, n° 2 ad art. 337c CO). Un des auteurs cités concède que l’art. 337c al. 1 CO ne permet pas nécessairement d’appréhender ce type de dommage (MOSER, op. cit., p. 53 s.).

L’employé ne critique pas la jurisprudence précitée et ne se prévaut pas de la thèse selon laquelle le rapport de prévoyance devrait être prolongé jusqu’à l’échéance ordinaire. Se plaçant sur le terrain de l’art. 337c al. 1 CO, il réclame le paiement en ses mains de la part «employeur» des cotisations que la société aurait théoriquement dû verser entre le congé immédiat et l’échéance ordinaire du contrat.

Ce faisant, il semble méconnaître les explications doctrinales précitées, dont il ressort que le dommage réside dans une prestation de libre passage moindre, due aux lacunes de cotisations qui n’ont pas été versées jusqu’à l’échéance ordinaire du contrat. On connaît tout au plus le montant du salaire assuré et de la cotisation annuelle totale due aux institutions de prévoyance auxquelles l’employeuse s’est successivement affiliée, ainsi que le montant global des indemnités de chômage versées dès le 12.01.2012 (sur la situation d’une personne au chômage, cf. par ex. HÜRZELER, op. cit., § 12 n. 12.42 s.). Dans un tel contexte, il n’est pas possible d’établir quel dommage l’employé a pu subir du fait de la résiliation prématurée du contrat de travail. Cette constatation conduit au rejet du grief, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les questions soulevées par la doctrine.

Il s’ensuit que sous l’angle de l’art. 337c al. 1 CO, l’arrêt attaqué n’est pas critiquable.

 

Changement non consenti d’institution de prévoyance et baisse du montant des cotisations LPP

D’après l’arrêt attaqué, le contrat de travail ne contenait aucune précision sur l’identité de l’institution de prévoyance choisie par l’employeuse, sur le montant des cotisations ou encore sur la nature des prestations assurées.

L’employé a d’abord été affilié à la Caisse P1.__. Au 01.01.2010, son salaire annuel assuré était de 450’000 fr. et la cotisation annuelle totale de 83’829 fr. 60, répartie à parts égales entre l’employeuse et l’employé. En 2011, l’employeuse a transféré le compte de l’employé auprès de P2.__. Son salaire assuré n’était plus que de 59’160 fr. et la cotisation annuelle totale de 10’952 fr. 90. Les conditions dans lesquelles l’employeuse a opéré le transfert sont nébuleuses ; un courrier de la Caisse P1.__ adressé à l’employé le 12.08.2011 donne à penser que l’employeuse a fait accroire indûment à une résiliation des rapports de travail en décembre 2010.

Il est en tout cas patent que l’employeuse a passé d’un régime surobligatoire à un régime obligatoire, sachant que le salaire coordonné maximal était de 58’140 fr. en janvier 2009 et 2010, puis de 59’160 fr. en janvier 2011 et janvier 2012.

Les juges d’appel ont refusé toute indemnisation après avoir déployé une argumentation à plusieurs pans, dans laquelle ils soulignaient notamment que le silence de l’intéressé pendant plus de deux ans, malgré les différentes sources d’information relatives au changement de régime litigieux, devait être considéré comme une acceptation tacite de la résiliation et de la réaffiliation à une nouvelle institution. Qui plus est, dans la mesure où le contrat ne contenait aucune précision relative à la prévoyance professionnelle, une modification en cette matière ne pouvait être assimilée à une modification du contrat de travail. Par ailleurs, le travailleur n’était pas le créancier des cotisations d’employeur sur lesquelles il fondait son prétendu dommage: seule l’était l’institution de prévoyance. Il disposait d’un droit à l’égard de l’institution, lorsqu’un certain nombre de conditions étaient réalisées. Il n’était pas titulaire à titre personnel du montant non versé à son ancienne caisse LPP. La conclusion tendant au paiement, en ses mains, de la différence des cotisations employeur dans l’ancien et le nouveau régime ne pouvait donc qu’être rejetée.

L’employé concède dans sa réplique qu’il conviendrait de recalculer la prestation de sortie en tenant compte des cotisations arriérées dues par l’employeuse. Or, le caractère lacunaire des informations données empêche d’établir concrètement le dommage résultant du fait que l’employeuse, en changeant d’institution, a passé d’un régime surobligatoire à un régime obligatoire, avec des cotisations nettement inférieures. Il n’apparaît pas, notamment, que l’employé ait produit les règlements des institutions de prévoyance. Dans ces circonstances, il n’est pas possible d’établir une comparaison entre la situation telle qu’elle se présente concrètement, et telle qu’elle aurait été si l’employeuse avait maintenu le régime surobligatoire initial. L’autorité précédente n’a pas enfreint le droit fédéral en rejetant la conclusion qui, n’en déplaise au recourant, tendait bel et bien au paiement en ses mains d’une somme correspondant à la différence entre les cotisations employeur du régime surobligatoire initial et celles du régime obligatoire contesté. Point n’est besoin d’examiner les arguments alternatifs émis par l’autorité précédente, ni de trancher les questions délicates discutées en doctrine qui ont trait, entre autres, à la distinction entre modification contractuelle du régime LPP ou changement unilatéral (cf. l’exposé de JÉRÔME NICOLAS, La réduction du régime LPP surobligatoire lors d’un transfert selon l’art. 333 CO, in Panorama III en droit du travail, 2017, p. 345 ss, spéc. p. 377). Tout au plus mettra-t-on en exergue la nécessité d’une réaction rapide en cas d’opposition à un changement d’institution de prévoyance (cf. RÉMY WYLER, in LPP et LFLP, op. cit., n° 19 ad art. 11 LPP [= n° 18 de la 2e éd. 2019]), étant entendu que ce n’est pas tant ce changement en soi qui pose problème que la modification des prestations offertes par la nouvelle institution (NICOLAS, op. cit., p. 350 in fine et s.).

 

Le TF rejette le recours de l’employé.

 

 

Arrêt 4A_458/2018 consultable ici

 

 

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