8C_828/2019 (d) du 17.04.2020 – Automutilation (Artefakt) – Trouble factice – 37 al. 1 LAA / Assuré subissant plusieurs amputations chirurgicales de la main / Examen du lien de causalité adéquate entre l’accident initial [moyen à la limite des cas de peu de gravité] et les troubles psychiques – 6 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_828/2019 (d) du 17.04.2020

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi.

 

Consultable ici

 

Automutilation (Artefakt) – Trouble factice / 37 al. 1 LAA

Assuré subissant plusieurs amputations chirurgicales de la main

Examen du lien de causalité adéquate entre l’accident initial [moyen à la limite des cas de peu de gravité] et les troubles psychiques / 48 OLAA

 

Assuré, né en 1971, employé par une entreprise d’horticulture, a glissé le 18.09.2012 avec une tronçonneuse pendant des travaux de jardinage et s’est coupé au niveau du majeur de la main gauche. Il a subi une coupure du tendon extenseur au niveau de l’articulation IPP, qui a été traitée chirurgicalement le même jour par une suture du tendon extenseur et une arthrodèse temporaire.

Six semaines après l’opération, une infection est apparue. Les 06.11.2012 et 16.11.2012, des révisions chirurgicales ont eu lieu à l’hôpital, qui ont rapidement conduit à une réduction des symptômes.

Dans la suite du traitement, l’assuré s’est plaint à plusieurs reprises de douleurs s’étendant aux autres doigts et jusqu’à l’épaule. A plusieurs reprises, des rougeurs et des tuméfactions ont été constatés ou des infections suspectées. Cela a donné lieu à de nombreuses autres interventions chirurgicales, qui n’ont toutefois apporté aucune amélioration des plaintes et des symptômes ou seulement à court terme. En particulier, le 08.08.2013, le majeur gauche de l’assuré a été amputé au niveau de la base de la phalange puis, en raison de la persistance des plaintes, il a été procédé le 22.11.2013 à une « désarticulation » de l’articulation métacarpo-phalangienne [MCP] du majeur.

Le 15.04.2014, l’assuré a subi une révision de plaie et une amputation du 3e métacarpien dans une clinique à Belgrade. L’assurance-accidents a pris en charge cette opération à titre exceptionnel et sans préjudice. Le 18.08.2014, l’assuré a été amputé de l’index gauche, y compris du métacarpien, à Belgrade. Le 25.04.2016, l’assuré a subi l’amputation du pouce de la main gauche, toujours à Belgrade.

L’assurance-accidents a mis en œuvre une expertise pluridisciplinaire. D’un point de vue psychiatrique, le diagnostic présumé est celui d’un trouble factice. Les experts ont considéré que l’automutilation de la part de l’assuré était vraisemblable.

Par décision confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a retenu que l’assuré s’était automutilé. En excluant cette automutilation, la stabilisation de l’état de santé avait été atteint à la mi-mars 2014 au plus tard. L’assurance-accidents a nié le droit aux prestations à compter du 01.04.2014. Une IPAI de 6% a été octroyée pour les seules séquelles de l’accident. Le droit à la rente a été refusé. L’assurance-accidents a, en outre, réclamé le remboursement des indemnités journalières indûment versées depuis le 01.04.2014, soit un total de de CHF 105’955.80.

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a classifié l’accident, au cours duquel seul un doigt a été blessé, comme un événement de gravité moyenne à la limite des accidents de peu de gravité. Pour qu’on puisse admettre le caractère adéquat de l’atteinte psychique, il faut un cumul de quatre critères au moins parmi les sept consacrés par la jurisprudence ou que l’un des critères se manifeste avec une intensité particulière.

Les juges cantonaux ont estimé que la douleur prétendument persistante de l’assuré ne pouvait être attribuée à aucune cause organique. En particulier, un syndrome douloureux régional complexe (SDRC [complex regional pain syndrome – CRPS en anglais]) a été exclu. Le rapport sur le plan orthopédique et traumatologique énumère certaines majorations des symptômes et discrépances ; l’évolution des troubles est décrite comme étant caractérisée par une escalade difficile à expliquer, commençant par une lésion relativement simple et se terminant par de multiples mutilations de la main gauche. Le critère des douleurs physiques [organiques] persistantes n’ayant pu être déterminé de manière suffisamment objective, les critères de la durée anormalement longue du traitement médical, des difficultés apparues au cours de la guérison, des erreurs dans le traitement médical ou du degré et de la durée de l’incapacité de travail due aux lésions physiques ne pouvaient être liés aux prétendues persistantes douleurs. Tout au plus, les deux autres critères (circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou le caractère particulièrement impressionnant de l’accident et la gravité ou la nature particulière des lésions physiques, compte tenu notamment du fait qu’elles sont propres, selon l’expérience, à entraîner des troubles psychiques) pourraient être retenus, de sorte que le lien de causalité adéquate doit être nié.

La juridiction cantonale a relevé qu’un grand nombre de rapports de sortie (de l’hôpital helvétique et des cliniques de Belgrade) ont attesté que les lésions avaient guéri sans complications après les opérations respectives. Le processus de guérison initialement sans problème est plus susceptible d’indiquer que les complications qui se sont produites à plusieurs reprises par la suite étaient dues à la « sphère d’action » [Handlungssphäre] de l’assuré. L’expert en orthopédie-traumatologie s’est également référé à des photographies datant du 31.05.2015, sur la base desquelles un « œdème de choc/de coups » [Klopferödem] ou l’effet de substances nuisibles pour la peau ne pouvait être exclu. En outre, les médicaments prescrits (y compris les analgésiques) n’ont pas pu être détectés dans le sérum sanguin lors de l’expertise médicale, ce qui est en contradiction avec le niveau de souffrance déclaré. Dans l’ensemble, les experts n’ont pas prouvé l’automutilation mais l’ont retenu au degré de la vraisemblance prépondérante.

Par jugement du 29.10.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Si l’assuré a provoqué intentionnellement l’atteinte à la santé ou le décès, aucune prestation d’assurance n’est allouée, sauf l’indemnité pour frais funéraires (art. 37 al. 1 LAA). Même s’il est prouvé que l’assuré entendait se mutiler ou se donner la mort, l’art. 37 al. 1 LAA n’est pas applicable si, au moment où il a agi, l’assuré était, sans faute de sa part, totalement incapable de se comporter raisonnablement, ou si le suicide, la tentative de suicide ou l’automutilation est la conséquence évidente d’un accident couvert par l’assurance (art. 48 OLAA).

L’art. 48 OLAA présuppose un lien de causalité naturelle et adéquate entre l’accident et le suicide, la tentative de suicide ou l’automutilation, les critères relatifs aux suites psychogènes d’un accident (ATF 115 V 133) devant être appliqués pour l’examen de la causalité adéquate (ATF 120 V 352 consid. 5b p. 355 ss). Le caractère adéquat du lien de causalité suppose, par principe, que l’événement accidentel ait eu une importance déterminante dans le déclenchement des troubles psychiques. Il faut décider, sur la base de critères désignés comme pertinents par la jurisprudence, si le lien de causalité adéquate peut être retenu (ATF 120 V 352 consid. 4b p. 354 ; cf. également arrêt U 306/03 du 15 novembre 2004 consid. 2.4). Les critères du lien de causalité adéquate doivent être examinés abstraction faite des troubles psychiques (ATF 140 V 356 consid. 3.2 p. 359). Il n’est pas nécessaire que le comportement de l’assuré soit la seule cause déterminante du risque assuré, il suffit qu’il en soit la cause partielle (ATF 97 V 226 consid. 1c p. 230). Cela étant, il n’est pas nécessaire que l’accident ait été causé par l’assuré. Son comportement doit cependant avoir été à l’origine d’une aggravation des conséquences de l’accident (ATF 121 V 45 consid. 3c p. 50 ; 109 V 150 consid. 3b p. 153 s. ; KASPAR GEHRING, in: Hürzeler/Kieser [Hrsg.], UVG, 2018, N. 14 ad Art. 37 UVG).

Selon l’art. 37 al. 1 LAA, l’automutilation et le suicide supposent un acte intentionnel. Le dol éventuel suffit (ATF 143 V 285 consid. 4.2.4 p. 294). La preuve d’un acte volontaire est souvent difficile à rapporter et l’on appliquera à cet égard la règle de la vraisemblance prépondérante (arrêt 8C_663/2009 du 27 avril 2010 consid. 2.4 et les références). La présomption fondée sur l’instinct de survie de l’être humain selon laquelle, en cas de doute, la mort est due à un acte involontaire et donc à un accident ne vaut toutefois pas en cas d’automutilation (cf. arrêts 8C_591/2015 du 19 janvier 2016 consid. 3.1 ; 8C_663/2009 du 27 avril 2010 consid. 2.3 et 2.4).

Bien que l’expert psychiatre ait mentionné que l’assuré ne s’est pas ouvert à lui, de sorte qu’il n’a pas pu prouver le diagnostic d’un trouble factice, de nombreux éléments indiquent que tel est le cas. Selon l’expert psychiatre, la cause de l’automutilation peut non seulement être un trouble factice (c’est-à-dire un comportement pathologique, seulement partiellement conscient), mais aussi un comportement conscient et intentionnel. Selon l’expert, il n’y a pas non plus d’indices d’une restriction de la capacité de discernement qui pourrait éventuellement exclure l’application de l’art. 37 al. 1 LAA.

Bien que ne le disant pas expressément, le Tribunal fédéral retient comme vraisemblable l’automutilation.

S’agissant du lien de causalité adéquate entre l’accident et les troubles psychiques [examen en lien avec l’art. 48 OLAA], le Tribunal fédéral rejette les allégations et griefs de l’assuré à l’encontre du jugement cantonal.

Pour déterminer le moment à partir duquel la douleur évoquée ne doit plus être considérée comme suite de l’accident mais comme conséquence de l’automutilation, le tribunal cantonal a fondé sa décision sur l’évaluation du médecin-conseil, spécialiste en chirurgie. Ce dernier a déclaré qu’après le débridement des examens bactériologiques ont été effectués le 21.02.2014. Il n’y a eu aucune infection et aucun signe d’inflammation peropératoire n’avait été observé. La stabilisation de l’état de santé est donc atteinte deux à trois semaines après cette opération.

Le Tribunal fédéral rejette les griefs de l’assuré à l’encontre du jugement cantonal sur ce point également.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_828/2019 consultable ici

Proposition de citation : 8C_828/2019 (d) du 17.04.2020 – Automutilation (Artefakt) – Trouble factice, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2020/05/8c_828-2019)

 

Print Friendly, PDF & Email

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.