8C_523/2019 (d) du 21.01.2020 – destiné à la publication – Surindemnisation – Genèse et interprétation de l’art. 69 al. 2 LPGA / Notion des frais supplémentaires et des éventuelles diminutions de revenu subies par les proches

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_523/2019 (d) du 21.01.2020, destiné à la publication

 

NB : traduction personnelle, seul le texte de l’arrêt fait foi.

Consultable ici

 

Surindemnisation – Genèse et interprétation de l’art. 69 al. 2 LPGA

Notion des frais supplémentaires et des éventuelles diminutions de revenu subies par les proches / 69 al. 2 LPGA

 

En résumé

Le Tribunal fédéral a procédé à une interprétation de l’art. 69 LPGA selon sa lettre (interprétation littérale). Il a également recherché la véritable portée de la norme au regard notamment de la volonté du législateur telle qu’elle ressort notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique), ou encore de sa relation avec d’autres dispositions légales (interprétation systématique).

Des documents relatifs à l’art. 69 al. 2 LPGA, il ressort que le législateur avait à l’esprit les pertes de revenus des proches résultant des soins médicalement nécessaires prodigués à l’assuré. Le Tribunal fédéral conclut qu’il faut exclure que le législateur ait voulu inclure dans le calcul de la surindemnisation toute perte de revenus des proches causée par l’accident et ait voulu une réglementation similaire au droit de la responsabilité. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner si la perte de revenus de l’épouse de l’assuré doit être traitée comme un « dommage par choc » (« Schockschaden ») en vertu du droit de la responsabilité civile et incluse dans le calcul de la surindemnisation. En outre, il ressort clairement des documents que le législateur a délibérément voulu s’écarter de la méthode de la congruence prévue à l’article 69 al. 1, 2e phrase, LPGA, en ce qui concerne la « congruence personnelle » des pertes de revenus des proches en litige ici, en ce sens que les pertes de revenus peuvent également être prises en compte comme des frais supplémentaires qui ne sont pas survenus pour l’assuré lui-même. Compte tenu de la percée du législateur en matière de « congruence personnelle « , qui est contraire au système, il n’est pas nécessaire d’aller plus loin dans l’interprétation. Enfin, il n’y a aucun élément pour une compréhension différente, même dans le contexte d’une interprétation systématique, historique ou téléologique.

 

 

En détail

Assuré, né en 1962, mécanicien a été victime d’un accident du travail le 22.04.2010. A la suite d’une explosion de gaz et d’une chute de 8 mètres de haut, il a subi des brûlures sur environ 60% de sa surface corporelle, une fracture du bassin, des côtes et de vertèbres et diverses blessures internes. L’assurance-accidents a octroyé les prestations d’assurance. Le 28.03.2013, l’office AI a accordé une rente entière d’invalidité dès le 01.04.2011. Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a octroyé une rente d’invalidité de 100% et une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 87,5%.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a déterminé que, compte tenu de ses prestations et de celles de l’assurance-invalidité, il restait un droit (rétroactif) à l’indemnité journalière de CHF 2’569.65, en raison d’une surindemnisation de CHF 185’537.70.

 

Procédure cantonale

Selon le tribunal cantonal, il fallait examiner si la perte de revenus de l’épouse de l’assuré avait été causée par l’accident du 22.04.2010. L’épouse n’avait pas assisté à l’accident, c’est pourquoi les dommages directs causés par l’accident lui-même ou la vue de l’accident doivent être refusés. En ce qui concerne le lien de causalité, l’assuré invoque la jurisprudence relative aux « dommages par choc » [Schockschaden]. La perte de revenus de l’épouse était basée sur son incapacité à travailler, causée entre autres par un trouble de stress post-traumatique. Aucun autre traumatisme suffisamment grave autre que l’accident de l’assuré n’a pu être déduit du dossier AI de l’épouse, de sorte qu’un lien de causalité naturelle a pu être retenu. Toutefois, un lien de causalité adéquate doit également exister pour que la responsabilité soit admise. L’incapacité de travail de la femme n’est pas due à l’accident, mais à l’expérience quotidienne de la lutte de l’assuré pour survivre ainsi qu’aux multiples charges de son entreprise et des soins familiaux et ménagers.

Selon le tribunal cantonal, il n’y a pas eu de choc soudain, mais un développement au long cours du trouble psychique. La perte de revenus de l’épouse au sens de l’art. 69 al. 2 LPGA a été refusée.

Par jugement des 26.06.2019 et 15.07.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon l’art. 69 LPGA, le concours de prestations des différentes assurances sociales ne doit pas conduire à une surindemnisation de l’ayant droit. Ne sont prises en compte dans le calcul de la surindemnisation que des prestations de nature et de but identiques qui sont accordées à l’assuré en raison de l’événement dommageable (al. 1). Il y a surindemnisation dans la mesure où les prestations sociales légalement dues dépassent, du fait de la réalisation du risque, à la fois le gain dont l’assuré est présumé avoir été privé, les frais supplémentaires et les éventuelles diminutions de revenu subies par les proches (al. 2).

L’art. 69 al. 2 LPGA que des « frais supplémentaires et les éventuelles diminutions de revenu subies par les proches » (« durch den Versicherungsfall verursachten Mehrkosten und allfälliger Einkommenseinbussen von Angehörigen » ; « incluse le spese supplementari provocate dallo stesso evento ed eventuali diminuzioni di reddito subite da congiunti »). La formulation est relativement ouverte. Cela ne signifie pas nécessairement que la perte de revenus des proches doit avoir été causée par la prise en charge des soins et de l’entretien ou par d’autres dépenses en faveur de l’assuré.

Les documents relatifs à l’art. 69 al. 2 LPGA (correspondant à l’art. 76 al. 2 du projet de la LPGA [ci-après : P-LPGA]) montrent que la question de la surindemnisation a subi des modifications au cours des délibérations parlementaires (cf. par exemple BBl 1999 IV 4639 [en allemand ; pour la version française : FF 1999 IV 4290]). Lors de la réunion de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil des Etats (CSSS-CE) du 20.02.1989, il a été déclaré que le revenu de l’assuré doit être ajouté au revenu de la famille proche pour le calcul des prestations d’assurance. Il arrivait souvent que des membres de la famille de personnes invalides quittent leur emploi et restent à la maison pour prodiguer des soins. Cette disposition visait à en tenir compte (procès-verbal de la séance du 20 février 1989, p. 38).

Le rapport de la CSSS-CE du 27.09.1990 indiquait que, pour évaluer la surindemnisation, il convient, comme le prévoit l’art. 76 al. 2 P-LPGA – et comme il en va dans la plupart des branches des assurances sociales – de se fonder sur le gain dont l’assuré est présumé avoir été privé. Pour la détermination de ce gain, le revenu obtenu avant la réalisation du risque assuré constitue naturellement un indice important. Il a été renoncé à calculer le revenu global, y compris celui des proches faisant ménage commun avec l’assuré. C’est seulement lorsque les proches subissent une diminution de revenu, parce qu’ils doivent, par exemple, soigner un invalide, que le montant de cet amoindrissement du gain sera, à l’instar des frais supplémentaires éventuels dus au traitement ou à la surveillance dont l’assuré a besoin, ajouté au gain dont ce dernier a été privé et pris en compte aux fins de voir si la limite de surindemnisation a ou n’a pas été atteinte (BBl 1991 II 267 [en allemand ; pour la version française : FF 1991 II 263]).

Dans sa avis approfondi du 17.08.1994, le Conseil fédéral a estimé qu’une personne qui s’occupe uniquement des travaux ménagers et qui dispense des soins à des proches, une épouse ou un époux qui sacrifie ses vacances pour assurer des soins, quelqu’un qui utilise un moment de ses loisirs pour transporter des proches en voiture auprès d’un médecin dont le cabinet est situé à une distance assez éloignée ont également droit à ce que l’on tienne compte du temps consacré à cette tâche même s’ils ne subissent pas une diminution de revenu. Leur travail décharge en effet aussi les hôpitaux. En conséquence, le Conseil fédéral a demandé l’ajout suivant à l’alinéa 2 : « Les prestations de travail apportées par les proches sont considérées comme des frais supplémentaires même si elles n’entraînent pas de diminution de revenu » (BBI 1994 V 955 [en allemand ; pour la version française : FF 1994 V 933 s.]).

Lors des réunions de la sous-commission LPGA de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national (CSSS-CN), il a toujours été question des soins et soutiens fournis par les proches pour ces services. La question a été abordée de savoir si, dans le cadre de l’art. 76 al. 2 P-LPGA, le travail effectué par les proches dans le cadre des soins et de l’assistance à la personne assurée devait être inclus dans la surindemnisation. Le rapport entre la responsabilité et le droit de la sécurité sociale a également été discuté (procès-verbal du 15 août 1995, p. 21 ss). Il a également été souligné que le Conseil des États n’avait voulu prendre en compte que les pertes de revenus réelles (procès-verbal du 12 septembre 1995, p. 53 ss). La CSSS-CN a déclaré que l’alinéa 2 portait sur la question de savoir quels services de soins et d’assistance fournis par les proches devraient donner droit à une indemnisation (procès-verbal du 17 novembre 1995, p. 32). Enfin, il a été expliqué qu’il s’agissait principalement de services fournis gratuitement par des femmes. S’elles n’étaient plus en mesure de travailler en raison de l’événement assuré, elles subiraient une perte de revenus ou devraient s’organiser différemment. En ce qui concerne la prise en compte des pertes de revenus des proches, il a été fait référence à la réglementation en matière d’assurance militaire et d’assurance maladie (procès-verbal du 15 janvier 1999, p. 33 ss).

Selon le rapport de la CSSS-CN du 26.03.1999, la majorité de la Commission a suivi le Conseil des États. Il a rejeté la proposition du Conseil fédéral selon laquelle le travail effectué par les proches qui n’entraîne pas de perte de revenus doit être considéré comme des frais supplémentaires. Une minorité est d’avis que les pertes de revenus des proches causées par l’événement assuré ne doivent pas être prises en compte.

Comme la formulation étendue proposée par le Conseil fédéral n’a pas été retenue, il est clair que les prestations de travail des proches ne sont pas à prendre-en considération dans la mesure où elles n’ont pas pour conséquence une diminution de revenu (exemple : transports d’un invalide pendant les loisirs, soins prodigués pendant les vacances des proches). La prise en compte des diminutions de revenu des proches trouve déjà son application dans le droit actuel dans l’art 29 al. 1 OAM [Ordonnance sur l’assurance militaire]. La question de savoir quelles diminutions de revenu subies par les proches sont à prendre en considération dans le calcul de la surindemnisation devra trouver sa réponse dans l’application du droit. Il importe ici de citer, dans le rapport du Conseil des Etats, la prise en charge des soins et des diminutions de revenu qui en découlent à titre d’exemple de prise en compte (BBl 1999 IV 4641 ss [en allemand ; pour la version française : FF 1999 IV 4292 s.).

Au Conseil national, il a été expliqué que la minorité des membres de la Commission a demandé que les pertes de revenus des proches ne soient pas incluses dans le calcul de la surindemnisation. Toutefois, la majorité a souhaité qu’il soit pris en compte, ce qui constituerait une extension matérielle du niveau des prestations. Actuellement, les pertes de revenus des proches ne sont prises en compte que dans la loi fédérale sur l’assurance militaire. Avec cette motion sur l’art. 76 al. 2 P-LPGA, la majorité a violé le principe de la méthode de la congruence (AB 1999 N 1250 Votum Hochreutener). Le rapporteur de la Commission a expliqué que la différence à traiter était celle entre le Conseil des Etats, le Conseil fédéral et la majorité de la Commission d’une part, et la minorité de la Commission d’autre part. Conformément aux dispositions du droit de la responsabilité, le Conseil fédéral a voulu inclure le travail effectué par les proches même s’il n’entraîne pas de perte de revenus. La majorité de la Commission avait suivi la version du Conseil des États, selon laquelle seules les pertes de revenus effectivement réalisées par les proches devaient être prises en compte. Il s’agit d’une réglementation modérée, qui correspond à celle de l’assurance militaire (AB 1999 N 1250 Votum Rechsteiner). Le rapporteur francophone a indiqué qu’il pourrait s’agir de pertes de revenus subies par les proches en raison des soins apportés à la personne invalide. Il a cité l’exemple du mari qui s’est abstenu d’exercer un emploi rémunéré afin de s’occuper de sa femme invalide. Des solutions comparables ont déjà été trouvées dans le domaine de l’assurance maladie et de l’assurance militaire (AB 1999 N 1251, Votum Suter). Par la suite, la motion de la majorité a été acceptée (AB 1999 N 1252, vote Suter).

Lors de la séance de la CSSS-CE, il a également été précisé qu’il s’agit de cas dans lesquels les proches de l’assuré renoncent à un emploi en tout ou en partie afin de prendre soin de l’assuré. Le travail effectué par les proches doit être pris en compte si cela entraîne une perte de revenus (procès-verbal de la réunion du 6 septembre 1999, p. 23).

Au Conseil des États, le rapporteur a expliqué que le Conseil fédéral avait voulu établir une réglementation « large » ; le travail effectué par les proches aurait dû être considéré comme des frais supplémentaires, même sans perte de revenus. D’autre part, le milieu économique des assurances, et avec lui une minorité de la Commission du Conseil national, avait exigé que toute perte de revenus des proches causée par l’événement assuré ne soit pas incluse dans le calcul de la surindemnisation. Cette motion minoritaire avait quelque chose à dire d’elle-même en ce sens que le règlement maintenant adopté par le Conseil national enfreignait la méthode de congruence consacrée par l’art. 76 al. 1 P-LPGA. Les représentants de la motion de la minorité au Conseil national avaient également souligné le danger de l’insécurité juridique qui en résultait. Cependant, le Conseil national avait suivi la motion de la majorité de la commission et donc la décision du Conseil des États (AB 2000 S 186 Votum Schiesser). Par la suite, le Conseil des États a approuvé la résolution du Conseil national (AB 2000 S 186).

Les documents montrent également que le législateur a voulu suivre les dispositions de l’assurance militaire et de l’assurance maladie. L’art. 72 al. 3 aLAM (abrogé au 01.01.2003 par le ch. 13 de l’annexe à la LPGA ; RO 2002 3437 [en allemand ; pour la version française : RO 2002 3434]), était libellé comme suit « Les prestations de l’assurance militaire sont réduites jusqu’à concurrence du montant constituant la surindemnisation. La réduction peut être diminuée dans la mesure où le cas d’assurance entraîne un surcroît de frais pour l’assuré ou une perte de revenu pour ses proches. Le Conseil fédéral règle les détails. »

Le commentateur Jürg Maeschi explique, sur la base de la norme de délégation de l’art. 72 al. 3, 3e phrase, aLAM, le Conseil fédéral a édicté les dispositions à l’art. 29 OAM : « La réduction opérée suite une surindemnisation selon l’article 72, 3e alinéa, de la loi est diminuée jusqu’à concurrence du montant constituant la surindemnisation, dans la mesure où le cas d’assurance entraîne un surcroît de frais résultant d’un traitement et de soins pour l’assuré ou d’une perte de revenu pour ses proches et pour autant que ces frais et cette perte ne soient pas déjà couverts par d’autres prestations de l’assurance militaire ».

En ce qui concerne la réglementation dans le domaine de l’assurance maladie, le Tribunal fédéral a précisé que dans le cadre de l’art. 122 al. 1 let. b OAMal, les pertes de revenu effectives des proches aidants pouvaient également être prises en compte comme « frais non couverts dus à la maladie » si et dans la mesure où elles étaient dues à un traitement et à des soins. Toutefois, l’art. 69 al. 2 LPGA exige une perte de revenus effective, c’est pourquoi le travail effectué par les proches qui n’entraîne pas de perte de revenus ne doit pas être pris en compte lors de la « répartition » de la surindemnisation sur les frais supplémentaires non couverts (SVR 2013 KV Nr. 3 S. 6, 9C_43/2012 consid. 4.2, avec référence à l’arrêt 9C_332/2007 du 29 mai 2008 consid. 8 und FRANZ SCHLAURI, Die Leistungskoordination im neuen Krankenversicherungsrecht, in: LAMal – KVG : Recueil des travaux en l’honneur de la Société suisse de droit des assurances, 1997, p. 655).

Conformément au ch. 2.4 de la recommandation n° 3/92 de la Commission ad hoc Sinistres LAA, en cas de surindemnisation, il n’est possible de tenir compte que des diminutions de revenu subies en raison de l’événement assuré de par le traitement et les soins nécessaires au plan médical, dans la mesure où il n’existe pas de couverture afférente de l’assurance sociale (par exemple, allocation pour impotent). . Certes, il s’agit d’une simple recommandation administrative, qui n’est pas contraignante pour le Tribunal fédéral (ATF 139 V 108 consid. 5.3 p. 112 et les références). Néanmoins, il peut être utilisé dans le cas présent pour étayer l’interprétation présentée.

 

Il ressort donc des documents relatifs à l’art. 69 al. 2 LPGA que le législateur avait à l’esprit les pertes de revenus des proches résultant des soins médicalement nécessaires prodigués à l’assuré. Sur la base des éléments cités, il faut exclure que le législateur ait voulu inclure dans le calcul de la surindemnisation toute perte de revenus des proches causée par l’accident et ait voulu une réglementation similaire au droit de la responsabilité. Cela s’applique d’autant plus que la relation entre la sécurité sociale et le droit de la responsabilité est abordée dans cette question, mais que la perspective du droit de la responsabilité n’a pas été adoptée. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner si la perte de revenus de l’épouse de l’assuré doit être traitée comme un « dommage par choc » (« Schockschaden ») en vertu du droit de la responsabilité civile et incluse dans le calcul de la surindemnisation. En outre, il ressort clairement des documents que le législateur a délibérément voulu s’écarter de la méthode de la congruence prévue à l’article 69 al. 1, 2e phrase, LPGA, en ce qui concerne la « congruence personnelle » des pertes de revenus des proches en litige ici, en ce sens que les pertes de revenus peuvent également être prises en compte comme des frais supplémentaires qui ne sont pas survenus pour l’assuré lui-même. Compte tenu de la percée du législateur en matière de « congruence personnelle », qui est contraire au système, il n’est pas nécessaire d’aller plus loin dans l’interprétation. Enfin, il n’y a aucun élément pour une compréhension différente, même dans le contexte d’une interprétation systématique, historique ou téléologique.

 

Cette interprétation est conforme à l’opinion de la doctrine. Selon ADRIAN ROTHENBERGER, le calcul de la surindemnisation tient compte de toute perte de revenus des proches qui survient à la suite des soins et de l’assistance fournis à la personne blessée et qui n’est pas déjà couverte par d’autres prestations de sécurité sociale – en particulier l’allocation pour impotent. Un manque à gagner réel était requis (Das Spannungsfeld von Überentschädigungsverbot und Kongruenzgrundsatz, 2015, Rz. 198). GHISLAINE FRÉSARD-FELLAY/JEAN-MAURICE FRÉSARD déclarent que le législateur a examiné la situation dans laquelle une proche réduit son occupation pour s’occuper de l’assuré. Ils se réfèrent à la genèse de la norme pour souligner que la perte de revenus à prendre en compte doit être liée au traitement et aux soins prodigués à l’assuré (in: Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, N. 45 s. ad Art. 69 LPGA ; cf. également GHISLAINE FRÉSARD-FELLAY, Le recours subrogatoire de l’assurance-accidents sociale contre le tiers responsable ou son assureur, 2007, Rz. 1448, où il est indiqué que le législateur avait prévu des pertes de revenus pour les proches résultant de la renonciation à l’exercice d’une activité lucrative afin de fournir à l’assuré les soins nécessaires. Ces coûts sont connus sous le nom de « frais d’assistance » [Betreuungskosten]). Selon GABRIELA RIEMER-KAFKA, il s’agit également de la perte de revenus des proches qui s’occupent de l’assuré (Schweizerisches Sozialversicherungsrecht, 6. Aufl. 2018, Rz. 5.369). En outre, on peut se référer à l’opinion exprimée par UELI KIESER, selon laquelle toute perte de revenus doit être prise en compte si elle est liée au travail effectué par des proches, ce qui implique une perte de revenus réelle. À cet égard, il existe un parallèle avec la considération du droit de la responsabilité, selon laquelle le manque à gagner réel doit être compensé si la personne concernée a renoncé à une activité rémunérée afin de s’occuper de la personne nécessitant des soins. Dans la mesure où les prestations prévues par la législation sur la sécurité sociale couvraient déjà les pertes de revenus ou compensaient le travail en question (par exemple, l’allocation pour impotent), elles ne pouvaient pas être prises en compte à nouveau dans le cadre d’une surindemnisation (ATSG-Kommentar, 3. Aufl. 2015, N. 47 ff. zu Art. 69 ATSG). En outre, KIESER souligne que le législateur s’est écarté du principe de la « congruence personnelle » lorsqu’il a examiné la perte de revenus des proches (op. cit., N. 23 zu Art. 69 ATSG). JEAN-MAURICE FRÉSARD/MARGIT MOSER-SZELESS indiquent que la principale préoccupation du législateur était la renonciation par le proche à l’exercice d’une activité lucrative afin de prodiguer à l’assuré les soins nécessaires (L’assurance-accidents obligatoire in: Soziale Sicherheit, SBVR Bd. XIV, 3. Aufl. 2016, S. 1056 Rz. 571).

 

L’ATF 139 V 108 traite des frais d’avocat qui servent à faire valoir la propre créance de l’assuré et non des pertes de revenus qui touchent les proches de l’assuré et donc un tiers. Cet arrêt n’est donc pas pertinent, puisqu’il s’agissait d’évaluer un préjudice direct subi par l’assuré, alors que la présente affaire concerne un préjudice indirect. C’est pourquoi ce qui est dit dans l’ATF 139 V 108 concernant les frais d’avocat ne peut être appliqué à la perte de revenus des proches. Comme expliqué ci-dessus, la perte de revenus des proches a été examinée séparément lors de la consultation législative et non pas en même temps que les frais supplémentaires affectant directement la personne assurée.

 

En résumé, en référence à l’art. 69 al. 2 LPGA, il convient de procéder à une interprétation réservée de la perte de revenus en ce sens qu’elle ne couvre que la perte de revenus des proches qui réduisent ou abandonnent leur activité lucrative afin de prodiguer des soins à la personne assurée.

Dans son courriel à l’assurance-accidents du 26 mars 2018, le représentant légal a expressément indiqué que la perte de revenus de l’épouse n’était pas due au traitement et aux soins de l’assuré. Il est donc clair qu’en l’espèce, la perte de revenus de l’épouse de l’assuré n’a pas été causée par la prise en charge de soins et d’assistance fournis à l’assuré ou par d’autres dépenses en sa faveur. Elle a plutôt renoncé à un emploi rémunéré en raison de sa maladie. Pour cette raison, sa perte de revenus ne peut pas être prise en compte dans la surindemnisation prévue à l’art. 69 al. 2 LPGA.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_523/2019 consultable ici

 

 

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