9C_751/2018 (f) du 16.04.2019 – Prestations complémentaires – Evaluation de la fortune – 11 al. 1 LPC – 17 OPC-AVS/AI – 23 OPC-AVS/AI / Fortune et biens immobiliers en Tunisie – Caractère transférable des devises tunisiennes en Suisse / Estimation du prix d’appartements en Tunisie – Valeur locative

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_751/2018 (f) du 16.04.2019

 

Consultable ici

 

Prestations complémentaires – Evaluation de la fortune / 11 al. 1 LPC – 17 OPC-AVS/AI – 23 OPC-AVS/AI

Fortune et biens immobiliers en Tunisie – Caractère transférable des devises tunisiennes en Suisse

Estimation du prix d’appartements en Tunisie – Valeur locative

 

L’assuré perçoit une rente de vieillesse de l’AVS depuis le 01.06.2012. Il a sollicité le 24.09.2012, et obtenu dès le 01.01.2013, des prestations complémentaires de la caisse cantonale de compensation AVS (ci après : la caisse).

La caisse a appris le 18.07.2015 que l’assuré avait omis de déclarer les biens mobiliers et immobiliers qu’il détenait en Tunisie ainsi que les revenus qu’il en tirait. La caisse a requis la production de diverses pièces justificatives pour qu’elle puisse procéder à la révision du droit aux prestations complémentaires. Entre autres documents, elle a obtenu de l’intéressé sa décision de taxation 2014, des relevés de clôtures de son compte bancaire suisse pour les années 2012-2015, des certificats de copropriété relatifs à des terres agricoles, un contrat portant sur la vente d’un appartement sis à B.__, un acte constatant le partage d’un bien immobilier sis à C.__, un rapport d’expertise relatif à l’évaluation de la valeur d’une habitation de deux appartements sise à C.__ ainsi que des relevés de comptes bancaires tunisiens.

Sur la base de ces éléments, l’administration a recalculé le montant du droit aux prestations complémentaires puis réclamé le remboursement de 43’229 fr. payés indûment entre les 01.06.2012 et 31.10.2016. L’assuré s’y est opposé. Il contestait en particulier la prise en considération dans le calcul des prestations complémentaires de ses biens tunisiens dans la mesure où il ne pouvait ni les réaliser ni transférer des dinars tunisiens en Suisse. La caisse a rejeté l’opposition.

 

Procédure cantonale (arrêt PC 1/17 – 9/2018 – consultable ici)

Les juges cantonaux ont retenu que la fortune tunisienne de l’assuré – immobilière, mobilière ainsi que les revenus qui en découlaient – devait être prise en compte pour calculer les prestations complémentaires et ont corroboré le montant fixé par la caisse. La cour cantonale a rappelé que, dans d’autres cas analogues, le Tribunal fédéral avait tenu compte de biens tunisiens.

Par jugement du 25.09.2018, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon le Tribunal fédéral, il est vrai que la fortune déterminante au sens de l’art. 11 al. 1 let b et c LPC englobe effectivement les actifs que l’assuré a reçus et dont il peut disposer sans restriction. Les immeubles ainsi que les titres qu’il possède doivent donc être pris en compte dans le calcul des prestations complémentaires quelle que soit leur situation. L’OFAS a toutefois émis des directives selon lesquelles les éléments de fortune situés à l’étranger et ne pouvant être transférés en Suisse ou réalisés pour une raison quelconque ne doivent pas être pris en considération dans la fortune déterminante (ch. 3443.06 des Directives de l’OFAS concernant les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI [DPC], valable dès le 1er avril 2011 [état: 1er janvier 2016]). Ce principe a été jugé conforme au droit fédéral (arrêt du Tribunal fédéral des assurances P 82/02 du 26 mai 2003 consid. 2.2; cf. également arrêt 9C_333/2016 du 3 novembre 2016 consid. 4.3.1, in SVR 2017 EL n° 1 p. 1).

En l’espèce, aucune des deux autorités (tribunal cantonal et la caisse de compensation) n’a réellement examiné la question du caractère transférable des devises tunisiennes en Suisse à la lumière des arguments avancés par l’assuré et des pièces produites par celui-ci. Or, si le site internet de la Poste tunisienne (www.poste.tn, consulté le 15 avril 2018) proposait effectivement toujours à ses clients divers moyens pour recevoir de l’argent de l’étranger et en transférer vers l’étranger sans mentionner de restrictions particulières, d’autres extraits internet (tels que le site swissbankers.ch) et d’autres documents (tels que le décret tunisien de 1977 concernant la législation des changes et le commerce extérieur) produits par l’assuré en instance cantonale suggèrent l’existence de telles restrictions. Par ailleurs, les premiers juges ne pouvaient se référer à l’arrêt 9C_540/2009 du 17 septembre 2009 pour justifier la prise en considération des biens tunisiens dans le calcul des prestations complémentaires dans la mesure où le consid. 3 de cet arrêt constate que, selon le droit tunisien, seul le produit de la vente d’un bien immobilier tunisien acquis en devises étrangères semble exportable. Or l’assuré prétend avoir hérité des appartements de C.__. Dans ces circonstances, ni la juridiction cantonale ni la caisse avant elle ne pouvaient se dispenser d’obtenir de l’assuré des renseignements fiables sur la façon dont celui-ci avait acquis ses biens en Tunisie (achat, héritage, etc.) et d’établir si l’éventuel produit de la vente de ces biens était transférable en Suisse au besoin en requérant des informations à ce propos auprès de l’ambassade tunisienne ou de l’ambassade suisse en Tunisie à l’instar de ce qui avait été réalisé dans le cas objet de l’arrêt P 82/02 du 26 mai 2003.

 

S’agissant de l’estimation du prix des appartements de C.__, on relèvera que le Tribunal fédéral admet la possibilité de se référer à un rapport d’expertise réalisée à l’étranger pour déterminer la valeur d’un immeuble s’il n’est pas raisonnablement possible de procéder à une autre estimation (cf. arrêt 9C_540/2009 du 17 septembre 2009 consid. 5.2). Les juges cantonaux ne pouvaient toutefois inférer du seul fait que les autorités tunisiennes avaient pris des mesures « pour démanteler les cellules terroristes et renforcer la sécurité dans les lieux à forte influence » que les experts avaient tenu compte de l’influence des attentats commis en Tunisie en 2015 lors de l’évaluation des biens immobiliers. L’absence de toute répercussion sur le marché immobilier, pas plus que l’éventuelle diminution de valeur que pourraient engendrer de tels événements ne peuvent être en soi exclues et ne ressortent en tout cas pas du rapport d’expertise produit. Il appartenait à la caisse et à la juridiction cantonale de s’en assurer, au besoin avec l’aide de l’assuré, auprès de professionnel de l’immobilier.

S’agissant en outre de la valeur locative des appartements en question telle que fixée par la caisse et entérinée par le tribunal cantonal, on relèvera que le montant qui doit en principe être pris en considération à titre de loyer lorsqu’un immeuble est vide alors même qu’une location serait possible est le loyer qui est usuellement pratiqué dans la région ou, autrement dit, un loyer conforme à la loi du marché (ch. 3433.03 des DPC; arrêt P 33/05 du 8 novembre 2005 consid. 4). En l’occurrence, il apparaît que la caisse et les juges cantonaux n’ont entrepris aucune démarche pour déterminer le loyer que pourrait effectivement obtenir l’assuré. Il leur aurait appartenu de le faire en vertu de leur devoir respectif d’instruction, au besoin en demandant la participation de l’assuré, avant de mettre en application une autre méthode.

 

Le TF admet le recours de l’assuré. Le jugement cantonal et la décision administrative doivent être annulés et la cause renvoyée à la caisse de compensation pour qu’elle complète l’instruction dans le sens des considérants.

 

 

Arrêt 9C_751/2018 consultable ici

 

 

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