4A_613/2017+4A_615/2017 (f) du 28.09.2018 – Vol d’œuvres d’art – Prétention frauduleuse / 40 LCA

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_613/2017+4A_615/2017 (f) du 28.09.2018

 

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Vol d’œuvres d’art – Prétention frauduleuse / 40 LCA

 

B.__ est assuré auprès de Z.__ SA (ci-après : la société d’assurance) depuis 1995. Il se présente comme un collectionneur d’objets d’art qu’il dit avoir acquis au moyen de ses revenus et de prêts, dont un crédit bancaire de 38’000 fr. obtenu en 2001.

Entre 1990 et 2008, il a travaillé en qualité d’opérateur sur machines. Il touchait un revenu imposable de l’ordre de 80’000 fr. en 2005 et de 64’500 fr. en 2006 pour une fortune imposable nulle. Cette activité lui a permis d’acquérir des bijoux et des montres à des prix nettement inférieurs au prix de vente courant.

En 2002, il a déposé avec un tiers la marque «M.__» en Suisse; il a participé au développement de montres de ladite marque.

B.__ a confié sa collection d’objets d’art à A.__, qu’il considère comme sa mère adoptive, pour qu’elle la conserve à son domicile. Celui-ci figurait comme lieu du risque secondaire dans le contrat d’assurance ménage souscrit par le collectionneur. En octobre 2000, le collectionneur précité a fait inventorier les biens situés dans l’appartement de cette amie. L’expert a répertorié 54 tableaux qu’il a estimés à une valeur totale de 247’000 fr., tout en précisant que le collectionneur détenait encore un grand nombre de tableaux et estampes qui ont été photographiés. L’expertise privée a été remise à la société d’assurance.

Le 05.10.2005, A.__ (ci-après: la preneuse d’assurance) a contracté une assurance ménage auprès de la société d’assurance. Le domicile de la prénommée est devenu le lieu du risque principal. L’inventaire de ménage était assuré contre le vol pour une valeur de 488’000 fr., les bijoux et montres pour 20’000 fr. et les valeurs pécuniaires pour 5’000 fr. D’après les conditions générales d’assurance, l’assurance couvrait tous les biens «mobiles» servant à l’usage privé, y compris les biens confiés; la somme assurée ne constituait pas une preuve de l’existence des choses assurées au moment du sinistre, ni de leur valeur.

A la fin de l’année 2006, B.__ et la preneuse d’assurance ont souhaité mentionner le nouveau domicile de la preneuse dans le contrat d’assurance et ajouter quelques pièces. Le contrat a été modifié le 27.11.2006 sans que la société d’assurance n’ait requis l’expertise des objets assurés. La valeur assurée en cas de vol a été portée à 675’000 fr. pour l’inventaire de ménage, à 50’000 fr. pour les bijoux et montres et à 5’000 fr. pour les valeurs pécuniaires.

Le 12.08.2007, la preneuse d’assurance s’est fait voler sa voiture de marque Jaguar. Elle a déclaré la disparition de trois montres «M.__» dont elle a fourni des estimations. La compagnie d’assurance concernée (N.__) a remboursé la valeur maximale assurée, soit 30’000 fr.

Entre le 23.12.2007 et le 26.12.2007, l’appartement de la preneuse d’assurance a été cambriolé et des objets ont été emportés. Une plainte pénale a été déposée. Le 04.01.2008, la preneuse d’assurance a rempli une déclaration de sinistre à l’attention de Z.__ SA. Elle y a joint un inventaire des objets volés, qu’elle a actualisé par la suite.

Le 17.01.2008 s’est tenu un entretien «musclé», au cours duquel la société d’assurance a demandé des informations complémentaires à la preneuse d’assurance et au collectionneur et a mis en doute la valeur des objets volés.

Selon B.__, une partie de l’inventaire dérobé provenant d’une collection d’art qu’il aurait rachetée au dénommé P.__ en Turquie en 2006, au moyen d’un héritage. Le contrat de vente produit, daté du 18.08.2006, indique que P.__ lui a vendu les objets précités pour un montant total de 747’000 nouvelles livres turques (soit environ 640’000 fr. selon le taux de change en vigueur au 18.08.2006). Le contrat détaille chaque miniature et chaque peinture, avec leurs dimensions.

En mars 2009, un inspecteur de police a contacté diverses compagnies d’assurance, dont Z.__ SA, afin de savoir si A.__ était liée à l’une d’elles ; la prénommée faisait l’objet d’une enquête initiée en janvier 2009 pour obtention frauduleuse de prestations sociales et une fraude à l’assurance n’était pas exclue. L’enquête a révélé que la prénommée avait prêté son nom pour conclure des contrats d’assurances pour le compte ou au bénéfice de tiers, dont B.__; toutefois, il n’a pas été établi qu’elle en avait retiré un quelconque enrichissement, dans la mesure où toutes les indemnités d’assurance perçues avaient été reversées aux tiers concernés. La procédure a été classée en juillet 2009.

B.__ a été dénoncé à la Direction générale des douanes pour l’importation non déclarée des objets acquis en Turquie auprès de P.__ le 18.08.2006. Après avoir été auditionné en juin 2009, il a été condamné à une redevance douanière de 53’631 fr. 70 et à une amende de 25’000 fr. Faute de paiement, une poursuite a été diligentée à son encontre et s’est soldée par un acte de défaut de biens. En 2008, le prénommé avait déjà donné lieu à deux actes de défaut de biens pour les sommes de 28’204 fr. 15 et de 6’818 fr. 40 en faveur du canton de Genève.

Par courrier du 05.11.2009, la société d’assurance a formellement refusé d’indemniser la preneuse d’assurance en invoquant l’art. 40 LCA.

 

Procédure cantonale

Le 22.12.2010, A.__ a ouvert action contre la société d’assurance. B.__ est intervenu dans cette procédure pour soutenir les conclusions de la demanderesse. Par jugement du 01.11.2016, le Tribunal de première instance a condamné la société d’assurance à verser à la preneuse d’assurance les montants de 692’910 fr. et 51’844 fr. 50 pour l’indemnisation des objets volés, plus 1’486 fr. 60 à titre de frais de réparation.

Par arrêt du 03.10.2017, la Cour de justice genevoise a admis l’appel déposé par la société d’assurance et a rejeté la demande en paiement.

 

TF

Sous le titre marginal «prétention frauduleuse», l’art. 40 LCA prévoit que si l’ayant droit ou son représentant, dans le but d’induire l’assureur en erreur, dissimule ou déclare inexactement des faits qui auraient exclu ou restreint l’obligation de l’assureur, ou si, dans le but d’induire l’assureur en erreur, il ne fait pas ou fait tardivement les communications que lui impose l’art. 39 LCA, l’assureur n’est pas lié par le contrat envers l’ayant droit.

D’un point de vue objectif, la dissimulation ou la déclaration inexacte doit porter sur des faits qui sont propres à remettre en cause l’obligation même de l’assureur ou à influer sur son étendue; en d’autres termes, une communication correcte des faits conduirait l’assureur à verser une prestation moins importante, voire aucune prestation. Ainsi en est-il lorsque l’ayant droit déclare un dommage plus étendu qu’en réalité, notamment en donnant des indications trop élevées sur le prix d’acquisition de la chose assurée. De surcroît, l’ayant droit doit, sur le plan subjectif, avoir l’intention de tromper. Il doit avoir agi avec la conscience et la volonté d’induire l’assureur en erreur, afin d’obtenir une indemnisation plus élevée que celle à laquelle il a droit; peu importe à cet égard qu’il soit parvenu à ses fins (arrêts 4A_643/2016 du 7 avril 2017 consid. 4.1; 4A_286/2016 du 29 août 2016 consid. 5.1.2; 4A_17/2011 du 14 mars 2011 consid. 2).

L’assureur peut alors refuser toute prestation, ce même si la fraude se rapporte à une partie seulement du dommage (arrêt précité 4A_17/2011 consid. 2; arrêt 5C.11/2002 du 11 avril 2002 consid. 2a/bb, in JT 2002 I 531).

S’agissant d’un moyen libératoire, il incombe à l’assureur de prouver les faits permettant l’application de l’art. 40 LCA, au moins sous la forme d’une vraisemblance prépondérante (ATF 130 III 321 consid. 3.1 p. 323; arrêts 4A_20/2018 du 29 mai 2018 consid. 3.1; 4A_194/2016 du 8 août 2016 consid. 3.1). La jurisprudence se satisfait généralement de ce même degré de preuve restreint s’agissant de la survenance d’un cas d’assurance, notamment en matière d’assurance-vol (ATF 130 III 321 consid. 3.2 p. 325).

En l’espèce, la cour cantonale a constaté en fait que A.__, avec la conscience et la volonté d’induire en erreur la société d’assurance, avait déclaré un dommage plus étendu que celui qu’elle avait subi en réalité, ceci à deux égards.

D’une part, la société d’assurance avait apporté suffisamment d’éléments permettant de douter sérieusement du fait que A.__ ait jamais eu en sa possession les objets prétendument acquis par B.__ auprès de P.__ en Turquie le 18.08.2006. Sous l’angle de la vraisemblance prépondérante, la Cour retenait que B.__ n’avait jamais possédé cette collection.

Parmi les nombreux éléments ayant guidé la Cour de justice, ceux qui relèvent du financement de cette acquisition semblent devoir se détacher par leur importance. Pour les juges d’appel, il n’était pas établi, ni même rendu vraisemblable que B.__ ait perçu un héritage et ainsi disposé des moyens financiers suffisants pour payer le prix d’achat de 650’000 fr.

Dans la même veine, s’y ajoutait le fait que l’office des poursuites avait délivré des actes de défaut de biens à l’encontre de B.__ dans des poursuites antérieures à 2008 et au cambriolage, pour des créances inférieures à 50’000 fr. Si B.__ avait véritablement disposé d’une collection d’œuvres d’art d’une valeur de près de 650’000 fr., celle-ci aurait sans nul doute été saisie. L’explication de B.__ selon laquelle l’office des poursuites lui aurait indiqué qu’il ne tiendrait pas compte de cette collection n’était pas convaincante, le recourant s’étant notamment abstenu de produire le procès-verbal de saisie.

D’autre part, A.__ avait demandé à être indemnisée pour le vol d’une montre, figurant sous le numéro (12) de l’inventaire des biens précités, à savoir une montre M.__ en or gris 10 carats diamant, numéro de série xxx, estimée à 45’000 fr., dont elle avait déjà déclaré le vol durant l’été 2007 et pour lequel elle avait déjà été indemnisée par une autre compagnie d’assurance.

Le cœur du litige est donc de savoir si la cour cantonale s’est livrée à une appréciation des preuves insoutenable. Après examen par le TF, la cour cantonale n’a pas apprécié les preuves de manière arbitraire en retenant que l’assurée avait déclaré un dommage plus étendu qu’en réalité, dans la mesure où les objets acquis auprès de P.__ n’avaient pas été acquis, à tout le moins pas pour le prix indiqué.

 

Le TF rejette les recours de B.__ et A.__.

 

 

Arrêt 4A_613/2017+4A_615/2017 consultable ici

 

 

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