9C_827/2016 (f) du 31.07.2017 – Méthode mixte – emploi à 50% et le reste du temps consacré à son enfant au bénéfice d’une allocation pour impotent grave et supplément pour soins intense / Notion d’activité lucrative / Notion de travaux habituels / Pondération des soins aux enfants

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_827/2016 (f) du 31.07.2017

 

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Méthode mixte de l’évaluation de l’invalidité d’une assurée travaillant à 50% et consacrant le reste de son temps en particulier à un de ses enfants au bénéfice d’une allocation pour impotent grave et supplément pour soins intense

Notion d’activité lucrative – 4 al. 1 LAVS

Notion de travaux habituels / 28a al. 2 LAI – 28a al. 3 LAI

Pondération des soins aux enfants

 

Assuré, mère célibataire de deux enfants, B.__ né en 1998 et C.__ né en 2005. Depuis le 01.09.2004, elle a travaillé à 50% en tant qu’enseignante en mathématique dans un cycle d’orientation. Elle a consacré le reste de son temps à l’éducation et aux soins de ses enfants, en particulier de son fils aîné. Celui-ci bénéficie d’une allocation pour impotent de degré grave ainsi que d’un supplément pour soins intenses de huit heures par jour.

Le 04.12.2010, l’assurée a été victime d’un accident de la circulation routière à la suite duquel elle a été entièrement incapable de travailler. Elle a repris son activité lucrative le 22.12.2012. Le médecin du Service médical régional (SMR) a fait état d’une incapacité totale de travail dans toute activité du 04.12.2010 jusqu’en août 2012 ; depuis lors, la capacité de travail était entière.

L’office AI a mis en œuvre une enquête ménagère. L’assurée a indiqué que son fils B.__ avait été placé en internat dans un foyer durant la semaine car elle ne pouvait plus s’en occuper depuis l’accident. Parmi les divers champs d’activités pris en compte, le poste « Soins aux enfants et aux autres membres de la famille » a été pondéré à 30%, l’empêchement dans ce champ étant de 70%.

Par décision du 04.07.2014, l’office AI a fixé le degré d’invalidité à 50% dans l’activité lucrative (empêchement de 100%) et à 18,5% dans la tenue du ménage (empêchement de 37%), l’invalidité totale étant de 69%. II a dès lors alloué trois quarts de rente à l’assurée du 01.12.2011 au 31.08.2012, compte tenu de la capacité de travail recouvrée à ce moment-là.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/850/2016 – consultable ici)

De l’avis du tribunal cantonal, l’assurée doit être considérée comme une personne exerçant une activité lucrative à plein temps, et non à temps partiel. Le degré d’invalidité doit être établi selon la méthode générale de comparaison des revenus, en se référant à l’activité lucrative de 50% que l’assurée exerce en tant qu’enseignante, les autres 50% de l’activité correspondant aux soins prodigués à B.__ et le revenu réalisé à ce titre étant constitué de l’allocation pour impotent et du supplément pour soins intenses.

Par jugement du 20.10.2016, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, annulation de la décision et renvoi de la cause à l’office AI pour instruction complémentaire et nouvelle décision au sens des considérants.

 

TF

Il existe principalement trois méthodes d’évaluation de l’invalidité, la méthode générale de comparaison des revenus, la méthode spécifique et la méthode mixte. Leur application dépend du statut du bénéficiaire potentiel de la rente: assuré exerçant une activité lucrative à temps complet, assuré n’exerçant pas d’activité lucrative et assuré en exerçant une à temps partiel (ATF 137 V 334 consid. 3.1 p. 337).

Selon l’art. 28a al. 3 LAI, lorsque l’assuré exerce une activité lucrative à temps partiel ou travaille sans être rémunéré dans l’entreprise de son conjoint, l’invalidité pour cette activité est évaluée selon l’art. 16 LPGA. S’il accomplit ses travaux habituels, l’invalidité est fixée selon l’al. 2 pour cette activité-là. Dans ce cas, les parts respectives de l’activité lucrative ou du travail dans l’entreprise du conjoint et de l’accomplissement des travaux habituels sont déterminées; le taux d’invalidité est calculé dans les deux domaines d’activité.

En droit des assurances sociales, la notion d’activité lucrative, que l’on retrouve notamment à la base de l’art. 4 al. 1 LAVS (mais également aux art. 3 LAI et 27 LAPG renvoyant à la LAVS), signifie l’exercice d’une activité (personnelle) déterminée visant à l’obtention d’un revenu et destinée à accroître le rendement économique. Peu importe à cet égard que la personne concernée ait subjectivement l’intention de gagner de l’argent pour elle-même. Il s’agit au contraire d’établir l’existence de cette intention sur la base des faits économiques concrets. L’élément caractéristique essentiel d’une activité lucrative réside dans la concrétisation planifiée d’une volonté correspondante sous la forme d’une prestation de travail, ce dernier élément devant également être établi à satisfaction de droit (ATF 128 V 20 consid. 3b p. 25 ss et les références; voir aussi les ch. 2004 ss des Directives de l’OFAS sur les cotisations des travailleurs indépendants et des personnes sans activité lucrative dans l’AVS, l’AI et APG [DIN]).

Au regard des constatations de fait des premiers juges, il n’existe aucun élément économique concret pouvant établir une intention de l’assurée de réaliser un revenu ou d’augmenter sa capacité de rendement économique. En procédure fédérale, l’assurée soutient que les soins constituaient une activité lucrative, mais elle n’allègue pas avoir concrètement réalisé un revenu correspondant, ni eu l’intention ou la volonté de le faire. Il n’y a donc pas lieu de s’attarder sur le caractère imposable ou non imposable de l’allocation pour impotent et du supplément pour soins intenses que l’assurance-invalidité verse à B.__ en raison de son handicap, d’autant moins que l’assurée n’est pas la bénéficiaire de ces prestations.

La loi ne dit pas quelles sont les activités qui sont couvertes par la notion de travaux habituels selon l’art. 28a al. 2 et 3 LAI. Le règlement y consacre une disposition: d’après l’art. 27 RAI, première phrase, par travaux habituels des assurés travaillant dans le ménage, il faut entendre notamment l’activité usuelle dans le ménage, l’éducation des enfants ainsi que toute activité artistique ou d’utilité publique (voir aussi l’arrêt ATF 137 V 334 consid. 3.1.2 p. 337, ainsi que l’arrêt I 249/04 du 6 septembre 2004 consid. 4.1.2). Les travaux ménagers constituent des prestations utiles ayant en principe une valeur économique (cf. ATF 130 V 360 consid. 3.3.4 p. 366 et les références). Il est ainsi constant que les soins et l’assistance apportés gratuitement à des proches font partie des travaux habituels (ATF 141 V 15 consid. 4.4 p. 22), à l’instar du travail accompli par la fille qui s’occupe de sa mère nécessitant des soins (arrêt I 61/81 du 19 octobre 1982). Aussi, le fait qu’un tiers accomplirait les travaux habituels contre rémunération ne permet pas pour autant de les qualifier comme étant des activités lucratives lorsqu’elles sont effectuées par un membre de la famille.

Selon le Tribunal fédéral, dans la mesure où la juridiction cantonale a assimilé les soins que l’assurée apportait à son fils B.__ à une activité lucrative, elle s’est écartée aussi bien de la notion d’activité lucrative au sens du droit des assurances sociales que de celle des travaux habituels au sens des art. 28a al. 2 et 3 LAI. Son raisonnement ne peut être suivi: il revient en définitive à créer un salaire hypothétique pour tout membre de la famille investissant son temps pour les tâches ménagères, au nombre desquelles figurent les soins aux enfants et aux autres membres de la famille, alors que de telles activités ne génèrent pas de revenu pour celui qui les accomplit et constituent des travaux habituels au sens de l’art. 27 RAI. L’assimilation opérée de ces travaux à une activité lucrative ne correspond pas au système prévu par la LAI.

Le statut de l’assurée est celui d’une personne exerçant une activité lucrative à temps partiel en tant qu’enseignante, tout en s’occupant de ses travaux habituels qui comportent notamment les soins dispensés à son fils handicapé. Son degré d’invalidité doit donc être évalué en fonction de la méthode mixte d’évaluation, applicable aux personnes qui exercent une activité lucrative à temps partiel et qui consacrent le reste de leur temps à leurs travaux habituels (art. 28a al. 3 LAI).

Dès lors que la cause doit être renvoyée à la juridiction cantonale afin qu’elle reprenne l’examen de la légalité de la décision administrative en appliquant la méthode mixte d’évaluation de l’invalidité, il est prématuré de revoir les différents champs d’activités de l’enquête ménagère qui ont été pris en compte dans ladite décision, puisque cette tâche incombe d’abord aux juges cantonaux. Dans ce contexte, il faut rappeler que la jurisprudence admet que la pondération des soins aux enfants puisse excéder 30% des travaux habituels, lorsque l’activité de soins et d’assistance doit être considérée comme l’activité principale de l’assuré (cf. arrêt I 469/99 du 21 novembre 2000 consid. 4c). On ajoutera que dans certaines circonstances bien définies, la jurisprudence autorise à tenir compte de la diminution de la capacité d’exercer une activité lucrative ou d’accomplir les travaux habituels en raison des efforts consentis dans l’autre domaine d’activité (ATF 134 V 9; arrêt 9C_713/2007 du 8 août 2008 consid. 4).

 

Le TF admet le recours de l’office AI, annule le jugement cantonal et renvoie la cause à l’instance cantonale pour nouvelle décision au sens des considérants.

 

 

Arrêt 9C_827/2016 consultable ici

 

 

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