9C_773/2016 (f) du 12.01.2018 – destiné à la publication – Droit à une formation professionnelle initiale – 16 LAI – ALCP / Qualification d’une mesure de FPI de l’AI suisse – Règl. 883/2004 / Principe d’égalité de traitement au sens de l’art. 4 du Règl. 883/2004

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_773/2016 (f) du 12.01.2018, destiné à la publication

 

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Droit à une formation professionnelle initiale / 16 LAI – ALCP

Qualification d’une mesure de formation professionnelle initiale de l’assurance-invalidité suisse – Prestations d’une des branches de la sécurité sociale couvertes par le règlement n° 883/2004

Principe d’égalité de traitement au sens de l’art. 4 du règlement n° 883/2004

 

Assuré, ressortissant français et allemand, né en Birmanie en 1994, souffre de bêta-thalassémie majeure. Il habite en France avec ses parents adoptifs. Son père exerce une activité lucrative en Suisse et cotise à l’AVS/AI suisse

Après s’être vu refuser une première demande de prestations, l’assuré a, par l’intermédiaire de ses parents, requis de l’AI la prise en charge d’une formation professionnelle initiale dans le domaine de la restauration et de l’hôtellerie en Suisse. L’Office de l’assurance-invalidité pour les assurés résidant à l’étranger (ci-après: l’office AI) a rejeté cette nouvelle demande au motif que l’enfant n’était pas assujetti à l’AVS/AI suisse.

 

Procédure au TAF

Statuant par un juge unique le 06.10.2014 (C-4842/2013), le Tribunal administratif fédéral (ci-après : TAF) a rejeté le recours formé par l’enfant contre cette décision. Le Tribunal fédéral a, partiellement admis le recours déposé par l’assuré, renvoyant la cause à celui-ci pour qu’il statue dans une composition conforme à la loi (arrêt 9C_807/2014 du 09.09.2015).

Par jugement du 24.10.2016 (C-5859/2015), admission du recours par le TAF et renvoi de la cause à l’office AI pour instruction complémentaire au sens des considérants et nouvelle décision.

 

TF

Selon l’art. 16 al. 1 LAI, l’assuré qui n’a pas encore eu d’activité lucrative et à qui sa formation professionnelle initiale occasionne, du fait de son invalidité, des frais beaucoup plus élevés qu’à un non-invalide a droit au remboursement de ses frais supplémentaires si la formation répond à ses aptitudes. Sont réputées formation professionnelle initiale toute formation professionnelle initiale au sens de la loi fédérale sur la formation professionnelle (LFPr), ainsi que la fréquentation d’écoles supérieures, professionnelles ou universitaires faisant suite aux classes de l’école publique ou spéciale fréquentées par l’assuré, de même que la préparation professionnelle à un travail auxiliaire ou à une activité en atelier protégé (art. 5 al. 1 RAI).

En application de la seule législation interne suisse, l’assurance-invalidité n’a pas à prendre en charge la mesure de réadaptation litigieuse. Comme l’ont retenu les premiers juges, l’assuré ne réalise en effet pas les conditions d’assurance prévues à l’art. 9 al. 2 LAI. Aux termes de cette disposition, une personne qui n’est pas ou n’est plus assujettie à l’assurance a droit aux mesures de réadaptation jusqu’à l’âge de 20 ans au plus si l’un de ses parents: a. est assuré facultativement ou b. est assuré obligatoirement pour une activité professionnelle exercée à l’étranger conformément à l’art. 1a al. 1 let. c LAVS (ch. 1), à l’art. 1a al. 3 let. a LAVS (ch. 2) ou en vertu d’une convention internationale (ch. 3). Le père de l’assuré est assuré obligatoirement à l’AVS/AI en raison d’une activité exercée en Suisse et la mère de celui-ci n’est pas assurée de manière facultative à l’AVS/AI.

Le litige présente un caractère transfrontalier, de sorte qu’il doit être examiné à la lumière des dispositions de l’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses Etats membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP; RS 0.142.112.681) et des règlements auxquels il renvoie. A cet égard, compte tenu de la période à laquelle se sont déroulés les faits déterminants (cf. consid. 1.2 de l’arrêt I 484/05 du 13 avril 2006, non publié in ATF 132 V 244), le règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (RS 0.831.109.268.1; ci-après: le règlement n° 883/2004), qui a remplacé le règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (ci-après: le règlement n° 1408/71) à partir du 1er avril 2012 dans les relations entre la Suisse et les autres Etats membres, est applicable.

En sa qualité de membre de la famille d’un travailleur français qui est soumis à la législation d’un Etat membre, l’assuré entre également dans le champ d’application personnel du règlement n° 883/2004 (art. 2 par. 1, en relation avec l’art. 1 let. i dudit règlement).

Le Tribunal fédéral ne s’est jamais encore prononcé sur la qualification d’une mesure de formation professionnelle initiale de l’assurance-invalidité suisse, en tant que prestations d’une des branches de la sécurité sociale couvertes par le règlement n° 883/2004. A cet égard, l’OFAS relève à raison que l’application des règles européennes de coordination peut conduire à une solution différente quant à la législation applicable et à l’institution compétente selon la branche ou le risque concerné.

La mesure de réadaptation en cause constitue une prestation de sécurité sociale au sens de l’art. 3 par. 1 du règlement n° 883/2004 puisqu’elle est allouée en fonction de critères objectivement définis par la législation suisse et non pas en fonction d’une appréciation discrétionnaire des besoins du bénéficiaire.

Reste à déterminer s’il est possible d’établir un lien suffisant entre cette mesure et l’un des risques mentionnés à l’art. 3 par. 1 du règlement n° 883/2004, seules les let. a (maladie), c (invalidité) et h (chômage) entrant en ligne de compte.

A la suite des premiers juges, il y a lieu de qualifier la mesure de formation professionnelle initiale prévue à l’art. 16 LAI de prestation d’invalidité au sens de l’art. 3 par. 1 let. c du règlement n° 883/2004.

Le règlement n° 883/2004 met en place un système de coordination des différents régimes nationaux de sécurité sociale et établit, à son Titre II (art. 11 à 16), des règles relatives à la détermination de la législation applicable aux travailleurs qui se déplacent à l’intérieur des Etats membres. Celles-ci tendent notamment à ce que les personnes concernées soient soumises au régime de la sécurité sociale d’un seul Etat membre, de sorte que les cumuls (partiel ou total) des législations nationales applicables et les complications qui peuvent en résulter soient évités. Ce principe de l’unicité de la législation applicable trouve son expression, en particulier, à l’art. 11 par. 1 du règlement n° 883/2004 qui dispose que les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul Etat membre (ATF 142 V 192 consid. 3.1 p. 194).

Selon l’art. 11 par. 3 let. a du règlement n° 883/2004, la personne qui exerce une activité salariée ou non salariée dans un Etat membre est soumise à la législation de cet Etat membre. Cette disposition consacre le principe de l’assujettissement à la législation du pays de l’emploi (lex loci laboris). Des règles particulières sont prévues pour les fonctionnaires (let. b), les personnes qui bénéficient de prestations de chômage (let. c) et celles qui sont appelées ou rappelées sous les drapeaux ou pour effectuer le service civil (let. d). Le principe général de la lex loci laboris connaît par ailleurs l’exception de l’art. 11 par. 3 let. e qui prévoit que, sous réserve des art. 12 à 16, les personnes autres que celles visées aux let. a à d dudit paragraphe, sont soumises à la législation de l’Etat membre de résidence, sans préjudice d’autres dispositions du présent règlement qui leur garantissent des prestations en vertu de la législation d’un ou de plusieurs autres Etats membres.

L’assuré n’entre pas dans les catégories de personnes visées à l’art. 11 par. 3 let. a à d du règlement n° 883/2004, mais dans celle prévue à la let. e. Le règlement n° 883/2004 n’impose en effet pas d’appliquer la même législation au travailleur migrant et aux membres de sa famille n’exerçant pas d’activité lucrative et résidant dans un Etat autre que l’Etat compétent (pour le travailleur; ATF 140 V 98 consid. 8.1 p. 102; STEINMEYER, in Europäisches Sozialrecht, op. cit., n° 36 ad art. 11 du règlement n° 883/2004). Il s’ensuit que l’assuré est soumis à la législation de son Etat de résidence, soit à la législation française, à moins que d’autres dispositions, générales ou particulières, du règlement ne lui garantissent des prestations en vertu de la législation d’un autre ou d’autres Etats membres (art. 11 par. 3 let. e du règlement).

A cet égard, le Titre III du règlement n° 883/2004 contient des dispositions particulières aux différentes catégories de prestations et renferme plusieurs règles de rattachement qui peuvent déroger aux règles générales. Comme sous l’empire du règlement n° 1408/71 (ATF 132 V 244 consid. 4.3.2 p. 250 et la référence), le Titre III, chapitre 4, du règlement n° 883/2004 concernant les prestations d’invalidité ne vise cependant que les prestations servies en espèces, à l’exclusion des prestations en nature. Les dispositions du Titre III ne s’appliquent dès lors pas à la mesure de réadaptation requise qui constitue indubitablement une prestation en nature. L’assuré, qui est soumis à la législation française, ne peut donc déduire aucun droit à des mesures de réadaptation de l’assurance-invalidité suisse en vertu des Titres II et III du règlement n° 883/2004.

Il reste à déterminer si la prestation litigieuse peut être allouée à l’assuré en vertu du principe d’égalité de traitement de l’art. 4 du règlement n° 883/2004. Conformément à cette disposition, à moins que le règlement n’en dispose autrement, les personnes auxquelles le présent règlement s’applique bénéficient des mêmes prestations et sont soumises aux mêmes obligations, en vertu de la législation de tout Etat membre, que les ressortissants de celui-ci.

L’art. 9 al. 2 let. a LAI, en relation avec l’art. 2 LAVS, ne prévoit pas de conditions liées à la nationalité, si bien qu’il n’entraîne aucune discrimination directe. Seul l’art. 9 al. 2 let. b ch. 1 en relation avec l’art. 1a al. 1 let. c LAVS prévoit une exigence liée à la nationalité suisse – dans des cas particuliers d’activités exercées au service de la Confédération ou d’organisations internationales ou d’entraide particulières – mais ce cas de figure spécifique n’est pas en cause ici.

C’est le lieu de préciser que le législateur suisse a introduit dans une loi fédérale (art. 9 al. 2 LAI; cf. ATF 137 V 167 consid. 4.6 p. 174), qui s’impose au Tribunal fédéral (art. 190 Cst.; ATF 140 I 353 consid. 4.1 p. 358), les conditions auxquelles une personne qui n’est pas ou n’est plus assujettie à l’assurance a droit aux mesures de réadaptation jusqu’à l’âge de 20 ans au plus. Un citoyen suisse ne pourrait dès lors plus se prévaloir avec succès de la jurisprudence mentionnée par l’autorité précédente et fondée sur une inégalité de traitement au sens de l’art. 8 al. 1 Cst., en relation avec une disposition réglementaire (anc. art. 22quater al. 2 RAI).

Pour être assuré à l’assurance facultative suisse (cf. art. 9 al. 2 let. a LAI), les ressortissants suisses et les ressortissants des Etats membres de la Communauté européenne ou de l’Association européenne de libre-échange (AELE) vivant dans un Etat non membre de la Communauté européenne ou de l’AELE qui cessent d’être soumis à l’assurance obligatoire après une période d’assurance ininterrompue d’au moins cinq ans, peuvent adhérer à l’assurance facultative (art. 2 LAVS). Pour avoir été assuré à l’assurance obligatoire suisse pendant au moins cinq ans sans interruption, il faut avoir été domicilié en Suisse ou y avoir exercé une activité lucrative (art. 1a al. 1 LAVS). Or il est plus facile pour un ressortissant suisse que pour une personne de nationalité étrangère de remplir ces exigences légales. En ce sens l’art. 9 al. 2 let. a LAI en relation avec l’art. 2 LAVS défavorise donc les ressortissants d’autres Etats membres, de sorte qu’il y aurait une discrimination indirecte dans la mesure où la réglementation nationale ne serait pas objectivement justifiée et proportionnée à l’objectif poursuivi.

Sous l’angle de l’objectif de la réglementation nationale en cause, on ajoutera que l’art. 9 al. 2 LAI a pour but de garantir, à certaines conditions, le droit aux mesures de réadaptation notamment à des enfants qui ne peuvent pas adhérer à l’assurance sociale suisse ou à l’assurance sociale d’un Etat membre de l’Union européenne ou de l’AELE (Message, du 22 juin 2005, concernant la modification de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité [5e révision de l’AI], FF 2005 4215, ch. 2.1. p. 4316 s.). Devant le TF, l’assuré n’a pas fait valoir que tel serait son cas, en particulier qu’il ne bénéficierait pas de la protection du système de sécurité sociale français. Il ne s’agit par ailleurs pas, en l’occurrence, de l’affiliation en tant que telle de l’assuré à l’assurance-invalidité suisse, mais seulement en relation avec la mesure de réadaptation d’ordre professionnel prévue par l’assurance-invalidité suisse à l’art. 16 LAI. Or la mesure de formation professionnelle initiale vise à rétablir, maintenir ou améliorer la capacité de gain (cf. art. 8 al. 1 LAI) de la personne concernée et de lui permettre, dans la mesure du possible, de mettre en valeur cette capacité de travail sur le marché du travail du lieu où elle vit, en principe en Suisse. Le lien étroit entre la mesure de réadaptation allouée par l’assurance-invalidité helvétique et la Suisse est mis en évidence par l’art. 9 al. 1 LAI, selon lequel « les mesures de réadaptation sont appliquées en Suisse, elles peuvent l’être exceptionnellement aussi à l’étranger ». Il y a également lieu de prendre en considération que seul un nombre très restreint d’enfants de travailleurs frontaliers (au plus tôt après l’accomplissement de leur dix-huit ans; art. 29 al. 1 LAI) réalisent les conditions d’assurance pour le droit à une rente de l’assurance-invalidité suisse (cf. art. 6 al. 1, art. 6 al. 3, art. 36 al. 1 et 39 LAI, ainsi que l’art. 24 de l’Annexe I ALCP), de sorte qu’une réadaptation en Suisse n’aurait qu’une portée limitée (en ce sens ATF 143 V 1 consid. 5.2.4.2 p. 7). Il semble dès lors objectivement justifié, y compris sous l’aspect de la proportionnalité, de réserver l’exception de l’accès d’une personne non assurée de moins de 20 ans à la mesure de formation professionnelle à la charge de l’assurance-invalidité à des situations particulières dans lesquelles l’intéressé n’est pas soumis au système de la sécurité sociale suisse ou d’un Etat de l’Union européenne ou de l’AELE.

Le principe d’égalité de traitement de l’art. 4 du règlement n° 883/2004 n’a pas pour effet d’obliger les autorités suisses à traiter tous les ressortissants européens (entre eux) de manière identique, sans égard à la législation nationale qui leur est applicable, et de les soumettre à des règles relatives à un Etat avec lequel ils n’ont aucun lien (direct) et dont la législation ne leur est pas applicable en vertu du règlement n° 883/2004 (ATF 142 V 192 consid. 6.2 p. 201; cf. ég. ATF 143 V 1 consid. 5.2.3 p. 5). Dans cette mesure, il importe peu pour la solution du présent litige qu’un ressortissant européen domicilié en France soit exclu de l’affiliation à l’assurance facultative suisse, alors qu’il peut y être assujetti, à certaines conditions, s’il vit en dehors de l’Union européenne. Il n’est en effet pas traité de manière différente qu’un citoyen suisse (sous réserve de l’art. 2 LAVS en relation avec le ch. 1 sous « Suisse » de l’Annexe XI au règlement n° 883/2004 [consid. 7.4.1 supra]).

Il résulte de ce qui précède que la décision de refuser à l’assuré la mesure de réadaptation en cause au motif que l’un de ses parents (au moins) ne réalise pas les conditions de l’art. 9 al. 2 LAI, en relation avec l’art. 2 LAVS, ne porte pas atteinte au principe d’égalité de traitement au sens de l’art. 4 du règlement n° 883/2004.

 

Le TF admet le recours de l’office AI, annule le jugement du TAF et confirme la décision de l’OAIE.

 

 

Arrêt 9C_773/2016 consultable ici

 

 

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