8C_96/2017 (f) du 24.01.2018 – Causalité adéquate selon 115 V 133 – Troubles psychiques – 6 LAA / Agression dans un bar – assuré frappé au visage au moyen d’un verre à bière / Intensité particulière du caractère particulièrement impressionnant de l’accident

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_96/2017 (f) du 24.01.2018

 

Consultable ici : http://bit.ly/2HuRzYE

 

Causalité adéquate selon 115 V 133 – Troubles psychiques / 6 LAA

Agression dans un bar – assuré frappé au visage au moyen d’un verre à bière

Intensité particulière du caractère particulièrement impressionnant de l’accident

 

Faits

Dans la nuit du 28 au 29 novembre 2003, l’assuré, agent technico-commercial, né en 1966, a été agressé par une personne dans un bar. Frappé au visage au moyen d’un verre à bière qui s’est brisé au moment du choc, il a été transporté en urgence à l’hôpital, où il a été opéré la nuit même par un spécialiste en chirurgie plastique reconstructive et esthétique. Dans son rapport opératoire, ce médecin a fait état de plaies complexes de la face avec atteinte de la parotide. La plaie buccale mesurait environ 11 cm et celle au niveau de la joue et de la parotide dépassait les 25 cm en forme de Y renversé. Une seconde intervention a eu lieu le 16 janvier 2004 pour suturer le nerf facial au niveau de sa branche buccale inférieure.

 

Procédure cantonale

Dans le cadre de l’examen de la causalité adéquate en application de l’ATF 115 V 133, la cour cantonale a qualifié l’événement de gravité moyenne à la limite des accidents graves. A l’appui de cette classification, elle a invoqué le fait que l’assuré avait été frappé au visage au moyen d’un verre de bière et que cette agression lui avait causé des lésions graves qui non seulement avaient mis sa vie en danger, mais l’avaient également défiguré de façon permanente. Ces circonstances l’ont également amené à retenir que les critères du caractère particulièrement impressionnant de l’accident et de la gravité des lésions physiques étaient réalisés. Pour la cour cantonale, ces deux critères s’étaient même manifestés de manière particulièrement marquante, de sorte que la causalité adéquate devait être admise en toute hypothèse, à savoir aussi si l’agression était à ranger parmi les accidents de gravité moyenne stricto sensu.

 

TF

Classification de l’accident

Pour procéder à la classification de l’accident dans l’une des trois catégories prévues par la jurisprudence, il faut uniquement se fonder, d’un point de vue objectif, sur l’événement accidentel lui-même. Sont déterminantes les forces générées par l’accident et non pas les conséquences qui en résultent. La gravité des lésions subies – qui constitue l’un des critères objectifs pour juger du caractère adéquat du lien de causalité – ne doit être prise en considération à ce stade de l’examen que dans la mesure où elle donne une indication sur les forces en jeu lors de l’accident (SVR 2013 UV n° 3 p. 7, 8C_398/2012, consid. 5.2; SVR 2012 UV n° 23 p. 83, 8C_435/2011, consid. 4.2; arrêt 8C_929/2015 du 5 décembre 2016 consid. 4.3.1).

Dans un cas récent où un assuré avait été agressé par trois individus qui l’ont frappé à la tête au moyen d’un objet potentiellement dangereux (l’enquête de police n’avait pas pu déterminer s’il s’agissait d’une bouteille, d’une boucle de ceinture ou d’une barre à mine), ce qui avait eu pour conséquence un traumatisme cranio-cérébral, une plaie au front, une fracture des os du nez ainsi qu’une atteinte oculaire suivie d’une perte fonctionnelle de l’œil droit, le Tribunal fédéral a refusé de classer cet événement dans la catégorie supérieure des accidents de gravité moyenne (arrêt 8C_595/2015 du 23 août 2016). Après avoir observé qu’il n’était pas déterminant à cet égard que la victime connaissait ses agresseurs avec lesquels il avait passé sa soirée à s’enivrer, il a constaté que l’ensemble des circonstances établies ne permettaient pas de conclure que la violence de l’agression était telle qu’il faille ranger l’événement à la limite des accidents graves. En particulier, la victime s’était relevée quelques minutes après le départ de ses agresseurs et avait été en mesure d’appeler son collègue de travail qui l’avait rejoint sur place et aidé à marcher jusqu’à son domicile, ne jugeant pas nécessaire de l’emmener immédiatement à l’hôpital.

En l’espèce, au vu de la description du déroulement de l’accident tel qu’elle ressort du dossier, il ne semble pas que la force du coup à l’origine des lésions subies par l’assuré était comparativement beaucoup plus élevée que dans le cadre de l’agression de l’arrêt précité ou dans les autres cas d’agression auxquelles s’est référée la recourante. On doit cependant également tenir compte du fait que le verre à bière s’est brisé sous le choc, ce qui a augmenté l’effet délétère du coup donné par l’agresseur, le verre étant devenu aussi tranchant qu’une lame de couteau, au point d’occasionner des plaies mesurant environ 11 cm au niveau de la bouche et 25 cm au niveau de la joue et de la parotide, et de porter atteinte au nerf facial. Au regard de ces circonstances particulières, le point de vue des juges cantonaux apparaît soutenable, même s’il s’agit d’un cas limite.

Le TF laisse toutefois cette question ouverte, dans la mesure où il y a lieu d’admettre l’existence d’un lien de causalité adéquate même si l’on retient que l’agression dont a été victime l’assuré constitue un accident de gravité moyenne stricto sensu, comme l’a retenu la cour cantonale dans sa motivation subsidiaire, étant précisé que dans une telle éventualité, il faut un cumul de trois critères sur les sept ou au moins que l’un des critères retenus se soit manifesté de manière particulièrement marquante pour l’accident (SVR 2010 UV n° 25 p. 100 consid. 4.5 [8C_897/2009], arrêt 8C_196/2016 du 9 février 2017 consid. 4).

 

Caractère particulièrement impressionnant de l’accident

La raison pour laquelle la jurisprudence a adopté le critère des circonstances concomitantes particulièrement dramatiques ou du caractère particulièrement impressionnant de l’accident repose sur l’idée que de telles circonstances sont propres à déclencher chez la personne qui les vit des processus psychiques pouvant conduire ultérieurement au développement d’une affection psychique. C’est le déroulement de l’accident dans son ensemble qu’il faut prendre en considération. L’examen se fait sur la base d’une appréciation objective des circonstances d’espèce et non pas en fonction du ressenti subjectif de l’assuré, en particulier de son sentiment d’angoisse. Il faut en effet observer qu’à tout accident de gravité moyenne est associé un certain caractère impressionnant, lequel ne suffit pas pour admettre l’existence du critère en question.

En l’espèce, la brièveté de l’agression et la circonstance que l’agresseur s’est approché de l’assuré par derrière ne saurait ôter à l’événement en cause un caractère impressionnant. Alors qu’il se trouvait dans un lieu public, l’assuré a été frappé, par surprise et à courte distance, avec un objet en verre directement au visage, qui est une région du corps particulièrement sensible. Il pouvait immédiatement se rendre compte que son visage avait été entaillé sur une surface importante et que de telles lésions pouvaient potentiellement le laisser défiguré de manière irrémédiable (on rappellera que la plaie buccale mesurait environ 11 cm et que celle au niveau de la joue et de la parotide dépassait les 25 cm). Il s’est par ailleurs vu perdre une quantité importante de sang (au moins 1 litre et demi) dont l’écoulement, du fait de la nature de la blessure infligée, ne pouvait pas être jugulé par des soins sur place, mais seulement par un geste chirurgical. Aussi, quand bien même l’assuré n’aurait-il pas aperçu son agresseur lui porter le coup, les éléments qui précèdent sont suffisamment prégnants pour qu’il se justifie de retenir que l’acte de violence gratuite dont il a été victime a revêtu en l’espèce un caractère impressionnant d’une intensité particulière.

 

Il s’ensuit que le jugement cantonal n’est pas critiquable en ce qui concerne la reconnaissance du lien de causalité adéquate.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_96/2017 consultable ici : http://bit.ly/2HuRzYE

 

 

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